La mosquée Al-Azhar porte bien son nom

J’y suis. Au Caire, le début du voyage, l’aventure en solitaire. Je n’en prends réellement conscience que maintenant, alors que je me promène au bord du Nil. Il coule et fait vivre, majestueux, depuis des millénaires. Son eau, brunâtre, part de très loin. Je le sais car il y a bientôt 10 ans, je jouais avec le petit filet d’eau qui coulait d’un minuscule tube au Burundi. Je ne suis pas sûr que le petit barrage que j’avais confectionné dans les collines d’Afrique centrale ait eu un impact sur ce géant. Toutefois, beaucoup d’endroit se vante d’abriter la source de ce grand fleuve. Le limon de cette eau sombre fait me fait penser à une phrase de Cendrars, dans la prose du transsibérien: « Et les eaux limoneuses de l’Amour charriaient des millions de charognes ». Le Nil ne doit pas être tout blanc, ni tout bleu d’ailleurs. En parlant de Nil bleu, je dois avouer que je suis très triste, car l’Éthiopie et ces trésors sont entrain de me fermer leurs portes. L’état d’urgence est déclaré, c’est la guerre entre le peuple et ces dirigeants. Peut-être devrais-je annuler ma visite là-bas. À voir comment les choses évoluent.

Mon arrivée ici n’as pas été des plus faciles, mais je dois avouer que je me suis compliqué les choses. Tel un grand voyageur autonome, j’avais comme projet de prendre une navette pour la place Tahrir, à mon arrivée à l’aéroport du Caire. J’ai juste négligé une chose : absolument tout est écrit en arabe. Ce que je n’avais absolument pas imaginé. Au Liban il y avait beaucoup de français et en Turquie je pouvais au moins déchiffrer les mots. Ici, impossible. Je ne savais même pas quelle ligne je devais prendre pour arriver à destination. Je suis resté une quarantaine de minutes à l’arrêt de bus, n’attendant pas de navette, mais un miracle. J’ai donc décidé de chercher un café muni d’un wifi dans l’aéroport, mais à nouveau, ca ne s’est pas passé comme prévu. L’entrée du terminal est réservée aux passagers, de manière à réduire les risques d’attentat. Encore un truc impensable pour un occidental. Mais je commence à m’habituer à ce genre de surprise. Je décide alors de prendre un taxi, que je paie un peu cher pour ici. À peine sorti du véhicule, je me fais accoster par un jeune gars, qui me propose de m’amener à l’hôtel. Je tente de refuser mais il est tellement insistant que je suis contraint de le suivre. Bien sûr, à mi-chemin se trouve son magasin de papyrus. Je refuse le thé qu’il m’offre « gracieusement », et vais directement à mon hôtel dont il m’a indiqué le chemin. Première prise de contact avec mon point du chute : l’ascenseur, et je risque de m’en souvenir : il est ouvert des deux côtés et n’est pas entouré par des murs, si bien qu’ il pend dans le vide.Heureusement, il fonctionne à merveille. Une fois installé dans ma chambre, je peux me reposer seul, dans une pièce, dormir et choisir ce que je veux faire. Il est midi lorsque je prends ma chambre, et ce jour de repos est vraiment le bienvenu. L’hôtel est sobre, simple et un peu décrépis, mais ma chambre est immense et les salles de bains communes sont propres et toujours disponibles. Lorsque le manager m’appelle pour prendre de mes nouvelles et me donner quelques informations, je réserve deux nuit supplémentaires. Cette journée est calme et réparatrice. Je garde aussi précieusement le petit flacon qui contient ma première arnaque africaine, qui date de mon unique sortie de la journée, dans le but de chercher à manger. En rentrant, je me suis fais accoster par un autre jeune homme sympathique, car ils sont toujours sympas au début. Il m’emmène dans son magasin pour me donner sa carte et va préparer du thé, pendant que son frère me parle de ces « parfums faits d’essences naturelles de production familiale ». Je trouve cela intéressant et original, donc je me laisse prendre au jeu. Après en avoir senti quelques uns, il me propose alors un échantillon pour 2 livres égyptiennes, c’est à dire rien du tout. Il sort alors un énorme flacon et me demande 200 livres. Lorsque que je lui rétorque que ce n’est ni un échantillon, ni un prix d’amis et que c’est très loin de son prix initial, il retourne alors la situation à son avantage et me pose en fautif : il n’a jamais parlé d’échantillon et les deux livres sont le prix du millilitre. Je comprends maintenant. Je me fâche, prends un autre mini flacon qu’il me tend, lui donne 20 livres et pars, un peu honteux et fâché de m’être fais avoir. Je garde donc précieusement cette « essence de lotus », qui pourrait bien s’appeler « Lotus Flower by Hugo Boss « , tellement elle sent le laboratoire. 

Après une nuit très réparatrice où je m’accorde la première grace matinée depuis 2 semaines, je me mets en route pour le Nil. Il est à deux pas de mon hôtel, ce qui n’empêche pas une vingtaine d’arnaqueurs professionnels de m’aborder le temps du trajet. Alors que j’arrive à destination, un jeune homme enlève ses écouteurs et m’aborde. Je suis dans un premier temps sceptique, mais ensuite très reconnaissant. Il me recommande d’aller avec lui dans l’autre direction, car je me dirigeais directement dans une manifestation anti-gouvernementale. Même si cela pouvait être intéressant, ce n’est pas ce que je cherchais sur le moment. J’ai donc pu me promener tranquillement au bord du fleuve, où j’ai commencé à écrire cet article. Apres quelques kilomètres de promenade, je décide de rentrer, car les 34 degrés sont durs à supporter. J’en profite pour chercher sur internet un endroit tranquille où me laisser le temps d’atterrir en Afrique et commencer mon voyage sereinement.

Je décide alors de partir pour le parc Al-Ahzar, qui est décrit comme une oasis de calme dans cette ville qui ne s’arrête jamais. Je trouve un itinéraire, mets mes chaussures  et part découvrir la ville jusqu’à mon but. Sur le chemin, je passe alors du centre-ville, qui est fait de banques, d’agences de voyages et de magasins de papyrus, à un autre monde, lui aussi commercial mais très différent. Celui qui n’est pas officiel, il est fait de marchands de rues, de marché noir et de marchandage. Je m’embarque sur la rue Al-Azhar, l’endroit le plus bondé que j’ai vu de ma vie. Vous voyez la fête des vendanges et ses dizaines de personnes qui tentent de se frayer un chemin ? Alors ajoutez-y des voitures et des scooters, des porteurs et des livreurs, des chiens errants et chats de gouttières et vous aurez un petit aperçu de l’activité du quartier. Il est possible d’acheter n’importe quoi ici. Et les grands écarts sont gigantesques. Un marchand de roues de chaises discute avec son voisin, qui vend des stylos, des batteries de téléphone et des briquets, devant un magasin qui exposent ces plus belles étoffes. Les gens ici sont accueillants. Je reçois plus de sourires que de bousculades, plus de « Welcome to Cairo » que de « Pssit, come here ! ». Cela me fait le plus grand bien après le harcèlement continuel du centre-ville. Le décor s’y prête très bien. Il s’agit de très vielles maisons, où les étages sont des habitations et les entrées de commerces. Le tout est illuminé par des dizaines de pancartes vacillantes et colorées, qui n’ont souvent rien à voir avec les objets vendus juste en dessous. Toutefois, elles attirent l’œil et sont donc utiles. Le chemin est très long  et j’entrevois des dizaines de petites rues étroites qui m’attirent par leurs ambiances et leurs populations, mais si je veux avoir mon couché de soleil depuis le parc, je suis obligé de continuer. Mais je me promets d’y revenir.

Alors que j’arrive à un endroit plus dégagé, un petit monsieur m’aborde et me demande mon origine dans un anglais impeccable. Je lui réponds que je suis Suisse et que je viens de Neuchâtel. Il fronce les sourcils quelques instants et me demande : « Il y a un bon club de foot dans cette ville, non ? Il y avait deux joueurs égyptiens qui évoluaient là-bas dans les années 90 ». Très étonné qu’il évoque le club de foot où j’ai joué quelques temps en tant que junior, je lui réponds que oui pour la qualité du club, sans toutefois pouvoir lui confirmer la présence des joueurs, n’étant pas né à ce moment là. Il rigole et me conseille de demander à mon père, pour vérifier la véracité de son information. Il me questionne alors sur ma destination et je lui explique mon projet d’aller au parc voir le couché de soleil. Sur ce, il me propose de le suivre, car il connaît un endroit plus intéressant pour cela. Je décide alors de lui accorder ma confiance, je n’ai rien à y perdre et en plus, il me parait très sympathique. Sur le chemin, j’apprends qu’il s’appelle Muhammad et qu’il m’amène dans une mosquée où il pourra me faire monter sur le minaret. Apprenant que je suis étudiant, il me propose de marchanderl le bakchiche de l’entrée pour moi, ce que j’aurais été incapable de faire. En arrivant, je donne donc un petit billet au gardien et j’ai carte blanche me permettant d’aller où bon me semble dans cette vieille mosquée magnifique, tombant en ruine à certains endroits. Il me conseille aussi d’aller ensuite me promener dans le quartier à droite de la sortie, qui devrait me plaire d’après lui. Je le remercie alors qu’il s’en va prier et commence à explorer le lieu. Elle est très différente des autres que j’ai pu observer à Istanbul ou Beyrouth. La pierre orange qui la constitue est plus chaleureuse et accueillante et son aspect délabré est plus intimiste que les monuments de Turquie. J’apprendrai par la suite qu’elle a plusieurs centaines d’années et un rôle majeur dans la protection de l’identité musulmane du quartier lors des différentes colonisations de la région.

Je pars ensuite seul, dans le quartier qu’il m’a indiqué. C’est un quartier populaire, où les gens vivent simplement. Il y a aussi quelques marchands, mais leur produits sont plutôt artisanaux ou alimentaires. L’ambiance du soir se prête merveilleusement à la découverte de cet endroit. À nouveau, je suis très bien accueilli, et on me salue par un mouvement de tête et un sourire. Personne ne me propose de quelques manières quelques chose à acheter. Même si je suis différent, que je ne suis pas musulman, je ne dérange personne. Ici s’applique à merveille un des principes fondamentaux de l’islam : seul Dieu peut juger un homme. Je me sens bien, entouré de ces gens souriants, simples, dans ce quartier sombre, où un bâtiment sur deux est une ruine. La lumière ne vient pas des lampes, mais des cœurs bienveillants qui m’entourent. Après plus d’une heure de promenade dans cette oasis, je me mets en tête de retrouver l’homme qui m’a permis de faire cette expérience, et de lui offrir le souper. Il s’agit en même temps d’un moyen de le remercier et d’essayer de m’approcher de lui. Il pourra sûrement m’aider pour la suite de mon séjour. Je retourne alors à l’endroit où je l’ai rencontré, et quand je l’aperçois, lui propose mon idée. Il semble très touché, me prend par l’épaule et accepte. Le seul bémol est que je n’ai pris que peu d’argent pour payer un restaurant pour deux personne et la somme que je porte est trop petite pour réaliser cela. Toutefois, dans ma cachette magique que constitue ma ceinture, j’ai un billet de 50 euros. Cela le fait rire pendant cinq bonnes minutes. Il me propose alors de me le changer, à un taux vraiment avantageux comparé à celui d’une banque. J’accepte et nous partons en direction le shish kebab le plus réputé du quartier. Moi qui ne savait pas où trouver des plats typiquement égyptiens, ils viennent maintenant à moi. Pendant le repas, nous faisons vraiment connaissance. Cet homme à 47 ans, il est père de famille et tient un magasin dans lequel il vend des jeux d’échecs et des backgammons artisanaux, ainsi que quelques articles religieux. Il maitrise parfaitement l’anglais, de par ces études d’avocats. Il a toutefois laissé tomber cette profession, car ici il est plus rentable de vendre des objets de valeurs au marché que d’officier en tant qu’avocat. On parle ensuite de politique, de religion, de famille, de la vie. Il est très cultivé et très intéressant. J’en apprends plus sur l’Egypte en une soirée qu’avec mes quatre heures de lecture de la journée précédente. À la fin de notre brochette succulente, il m’offre le thé dans une échoppe pittoresque. En fumant le narghilé, il me propose alors de m’inviter pour le repas du lendemain, et me glisse qu’il aura avec lui un petit cadeau. Très touché, j’accepte avec un plaisir inouï. Le rendez-vous est posé, demain 18 heures 30 à l’endroit où l’on s’est rencontré.

Sur le chemin du retour, je vois que l’agitation extérieure s’est calmée, mais ce sont mes émotions personnelles qui s’agitent. J’ai un ami, quelqu’un qui peut m’aider dans cette fourmilière qu’est le Caire. J’ai pu rentrer en contact avec une personne, sans être simplement un touriste qu’il faut plumer. Avant ce jour, je pensais qu’il était quasiment impossible de faire ce genre de rencontre. Mais il y a des occasions qu’il ne faut pas hésiter à saisir. Et si ça s’est passé ici, ça peut se passer partout, sur la route de mon voyage comme ailleurs. Le scepticisme des premières heures fait place à l’espoir et la curiosité. Demain, je serais à 18h30 devant la mosquée Al-Azhar, qui porte à cette occasion très bien son nom.

4 réflexions sur “La mosquée Al-Azhar porte bien son nom

  1. Merci beaucoup pour la fraicheur de tes expériences. A chaque fois je les lis attentivement, souvent elles me font rire parce qu’elles sont vraies, sans apriori, simplement fraîches malgré les 34 degrés ambiants. Pour la suite de tes aventures je t’envois une tonne d’ondes positives. Le papa de Nicolas et Quentin

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  2. Merci Thibaud de nous faire voyager dans les réalités quotidiennes des pays que tu traverses. C’est mieux que ce que l’on capte de nos médias qui ne se baladent pas souvent sur les trottoirs des grandes villes du monde…
    Tes textes nous aident à mieux appréhender la diversité et la complexité de notre planète, et puis c’est un plaisir de te découvrir un peu mieux, de te voir « naviguer » entre confiance et hésitation, entre émerveillement et lucidité…
    Bonne chance Thibaud sur ces chemins d’Afrique.
    Olivier ton parrain

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