Pour mon départ, Evode m’emmène à la station de bus et m’aide à prendre mon billet. Je le remercie encore pour tout ce que lui et sa famille ont fait pour moi ces derniers temps. Mon bus quitte Kigali à huit heure pour Cyangugu, la ville qui borde la frontière entre le Congo et le Rwanda. Du côté congolais, c’est Bukavu, sur les rives du lac Kivu. Le trajet est agréable, jusqu’à la route de montagne qui traverse le parc national de Nyungwe. Trop secoués par la conduite énergique du chauffeur, cinq passagers rendent leur petit-déjeuner par la fenêtre. Pour ma part, je discute avec ma voisine, qui vient de Goma, de l’autre côté du lac, la capitale du Nord-Kivu au Congo. Elle vient voir sa famille réfugiée ici durant les multiples guerres qui ont ravagées les régions de l’est du Congo. Nous arrivons à destination en début d’après-midi. Je me rends ensuite à la frontière en moto. À la sortie du Rwanda, un petit monsieur dont le visage m’est familier vient à ma rencontre :
– « Bonjour ! Est-ce que vous êtes Bibu ? » me demande-t-il. Un peu déconcerté je lui réponds :
– « Non, je suis Thibaud. Mais si cela peut vous aider, je suis le fils de « Da Véro ». Au moment où je prononce la version congolaise du prénom de ma maman, son visage s’illumine :
– « Haaa ! Karibu ! Je suis Dechi, c’est père Adrien qui m’envoie vous chercher ! »
Il me semblait que ce visage m’était familier, et à raison. Cet homme, je l’ai vu sur beaucoup de photos. C’est un ami de ma mère et un des chauffeurs qui travaille avec mon ami de longue date, Adrien. Nous commençons à discuter en attendant que j’effectue ma sortie du territoire rwandais. Je remarque alors que la dame devant moi me fixe avec insistance depuis quelques instants. Elle finit par me demander si je ne suis pas « Jésus ». Prenant cette intervention pour de la plaisanterie, je détache mes cheveux pour l’amuser encore plus. Loin de la faire rire, ce geste ne fit que confirmer ses soupçons si bien qu’elle dit à mon ami en swahili :
– « C’est vraiment Jésus, je dois prendre une photo pour montrer aux gens de mon Eglise que j’ai vu Jésus Christ. Je ne peux pas rester devant lui, je dois lui céder ma place, je ne peux pas passer avant Jésus. »
Mon ami me traduit ces paroles, plié en deux par cette intervention. Alors je me laisse prendre en photo, et je tente de refuser la place de cette vieille dame. Mais en vain, elle me pousse devant elle. Tout cela sous le regard amusé des témoins de cette scène plutôt coquasse. Une fois mes obligations administratives remplies, Dechi et moi partons pour le poste frontière du Congo. Avant même de pénétrer dans le bâtiment, l’atmosphère de désorganisation du pays commence déjà à se faire sentir. L’employé de la frontière semble suspicieux ma venue Congo, surtout en cette période de troubles politiques. Mais lorsque Dechi lui annonce que je viens voir le père Adrien, mon passeport m’est rendu en quelques secondes. Ici, il est nécessaire d’être bien accompagné. On embarque alors dans son énorme 4×4 s’engageant sur la route défoncée menant à Bukavu.
Premier arrêt et première rencontre. Nous sommes chez Sœur Pilar, une autre amie à ma mère. Elle souligne ma ressemblance avec ma mère, mais surtout avec ma sœur, qu’elle a pu rencontrer l’année précédente. Autour d’un jus d’ananas, cette religieuse, dont l’accent et la peau sont les seules traces de ses origines espagnoles, me demande comment se passe mon voyage. Elle est très impressionnée par mon projet que je lui détaille rapidement. Je lui raconte les grandes lignes et elle semble passionnée. Mais nous sommes pressés par le temps, nous repartons rapidement. Nous devons porter une lettre à Adrien. Je le retrouve à l’endroit où les containers envoyés par « Un Seul But » sont déchargé. Les retrouvailles sont toujours un moment fort. En plus, la dernière fois que je l’ai vu c’était cet été, lorsqu’il est venu passer quelques jours à la maison. Nous rions tellement nous sommes heureux de nous revoir. Je rencontre aussi le fameux Birindwa, gardien des containers. Beaucoup d’autres gens viennent me serrer la main, et une poignée connait maman. Je me rends compte que je n’imaginais pas la portée du réseau de connaissance de ma mère. Après quelques minutes, Adrien m’annonce que nous partions pour Burhiba, le lieu qui deviendra notre quartier général à Bukavu. La paroisse est située juste à côté de la brasserie de la ville, qui est la seule entreprise qui a survécue aux multiples conflits ayant déchirés la région de la région. Les congolais ont le sens des priorités.
Dans l’aumônerie qui sera ma maison ici, je fais encore connaissance avec des amis de ma mère l’ambassadrice. Père Sylvestre et père Richard la connaissent bien, père Pierre-Innocent peu et père Louis-Pasteur ne l’a jamais rencontrée, bien qu’ils aient entendu beaucoup de bien quant à ses actions ici. Adrien me laisse alors en bonne compagnie, ces prêtres sont pleins de vie et très drôles. Il me promet aussi de repasser dans la soirée pour organiser un peu ma semaine. Même s’il ne pourra pas tenir sa promesse, mon arrivée ici est déjà plus qu’intéressante. Je rencontre beaucoup de gens qui connaissent, respectent et admirent ma mère pour ce qu’elle fait ici. Pour ceux qui ne connaitraient pas notre association familiale « Un Seul But », je vous promets de vous en dire un peu plus très bientôt.
Mais en attendant, mon arrivée dans cette région dont on m’a si longuement parlé et qui semble si folle, surpasse la mesure de ce que j’attendais. J’ai une semaine pour infiltrer le milieu, ensuite maman sera là et tous les projets de l’asso’ se mettrons en place. Ces prochains jours s’annoncent passionnants !