Catégorie : Rwanda
La grande traversée
Après avoir pris le temps de se retrouver, Alex et moi décidons d’aller explorer Kigali. Nous partons à pied, pour qu’elle puisse voir et sentir la ville, les gens. C’est le premier contact avec l’Afrique. Elle s’émerveille devant chaque chose inattendue, est touchée par les sourires que les passants nous offrent. Je suis tellement heureux d’être là avec elle, touché aussi par cet entrain et cette confiance qui émane d’elle. Même si ont passe dans des petites rues assez pauvres, situés dans les vallées entre les collines de la ville, ce n’est pas la pauvreté extrême. Pas encore. Durant les quelques jours où nous sommes à la capitale, nous commençons aussi à planifier la suite. Le prochain arrêt de fera à Nyungwe, la forêt tropicale de l’ouest du pays. Durant le trajet assez inconfortable comme d’habitude, je la regarde s’émerveiller devant les paysages du Rwanda. Devant aussi les petits villages perdus entre les collines, où encore du nombre de chèvres que les gens promènent. Et je m’émerveille de la voir. Je suis tellement content et soulagé que son arrivée se passe bien.
Nyungwe est magnifique et nous partons pour une randonné qui nous mènera à une sublime chute d’eau. On se fraie un chemin entre les fougères en espérant voir des singes sauter au dessus de nos têtes. Alex en verra un, très éloigné. C’est 20 fois moins que ce qu’on a vu lors du trajet pour venir !
Après avoir joué à Tarzan et Jane, nous rentrons sereinement à notre « guest house ». Le raccourci que nous montre notre guide nous fait passer dans les plantations de thé de la région. On dirait un grand tapis vert qui s’allonge sur tout le paysage. Le lac Kivu n’est pas loin, mais juste trop pour l’apercevoir. On pense aussi à maman qui se trouve à quarante petits kilomètre d’où nous sommes. Mais la frontière est, comme je peux en attester, presque infranchissable.
La journée qui suit, c’est Alexandra, qui va vous la raconter ! Voilà l’Afrique dans les yeux de Jane.
Complément écrit par Thib, alias Tarzan…
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Apres notre magnifique séjour à Nyungwe, il est temps de partir pour la Tanzanie. Peu d’informations sont disponibles en ce qui concerne les bus menant jusqu’à la frontière. Notre aubergiste nous aide donc à réserver deux places dans un bus nous menant jusqu’à Kigali. Comme il nous faut partir à 6h30, il nous prépare un « breakfast » à l’emporter. Nous nous couchons tôt afin d’avoir l’énergie nécessaire pour affronter la traversée du pays.
À 6h, le réveil sonne. Au bord de la route dès 6h40, nous sommes rassurés lorsque notre bus pointe le bout de son par choc à 7h, c’est à dire avec seulement une vingtaine de minutes de retard. Toujours aussi chanceux, nous sommes assis sur deux vrais sièges jumeaux, et non sur les sièges de fortune occupant l’aller pour rentabiliser davantage le trajet pour les compagnies de transport. Le trajet se passe sans embûche, en apercevant encore quelques singes par la fenêtre.
Une fois sortis du bus, nous sommes plongés dans la jungle de la station routière. Nous sommes guidés par un passager de notre précédent bus jusqu’à la compagnie effectuant des trajets jusqu’à la frontière tanzanienne. Après une bousculade musclée jusqu’au comptoir, nous achetons enfin nos billets. En attendant le bus, nous essayons de nous reposer quelques instants dans une toute petite échoppe avant de retourner affronter la cohue jusqu’à notre car.
Encore une fois nous sommes chanceux. Nous obtenons deux sièges côte-a-côte. Malheureusement, la voisine de Thibaud, qui s’installa plus qu’allègrement sur son assise, voyageait avec une grosse malle en métal bleue, malle qui titillera les mollets de Thibaud pendant tout le voyage. Quant à moi, le plancher du bus se surélevait sous mes jambes pour laisser place à la roue, m’empêchant d’étendre mes jambes normalement. Tant pis, on sera encore plus contents d’être arrivés!
Ce second trajet s’avère toutefois être très agréable. Bien que nous n’ayons pas pris beaucoup de photos sur le chemin, les paysages étaient magnifiques. Progressivement, nous remarquons toutefois qu’ils se transforment, les champs deviennent moins verts, les collines moins hautes et les villages rencontrés plus pauvres. Comme nous n’avons pas encore notre visa pour entrer sur le sol tanzanien, le chauffeur de bus nous dépose à la frontière, ou nous avons prévu de passer la nuit.
Commence alors la longue quête vers le motel promis par internet. Un peu perdus et fatigués, nous errons dans les rues du petit hameaux construits le long des barbelés tanzaniens. Apres un virage, c’est la délivrance : un ensemble de bâtisses, certes en mauvais état, annonce une « réception ». Nous pensons alors être enfin arrivés à bon port, après plus de 9 heures de voyage. Mais lorsque nous nous en approchons d’un peu plus près, c’est la désillusion : tout est vide. Nous décidons alors de nous poser quelques instants afin de reprendre des forces.
Bien que nous soyons sereins car certains de trouver une solution, nous commençons à nous impatienter, la fatigue se faisant sentir. Heureusement, un jeune homme rencontré sur le chemin du retour nous informe que le motel annoncé sur le net est en réalité le bar que nous avions aperçu en venant. Rassurés et heureux, nous nous dirigeons vers l’imposante maison rouge fluo bordant la route.
Derriere sa façade criarde se cache un joli jardin plutôt bien entretenu dans lequel se trouve un bar et de nombreuses tables et chaises dispersées entre les arbustes. Nous demandons alors s’il est possible de passer la nuit ici, ce que l’aubergiste nous confirme. Très accueillant et chaleureux, il nous amène jusqu’à notre chambre sommairement meublée mais très propre. Les sanitaires sont toutefois en très mauvaise état et sans eau, ce qui au final ne nous dérangera pas, ayant tout ce dont nous avions besoin pour faire un brin de toilette avant de dormir, la journée ayant été fatigante.
Avant de nous endormir, nous faisons notre traditionnel point du jour : chacun raconte ce qui l’a particulièrement marqué durant la journee. Pour ma part, c’est la chance qui nous accompagne à chaque instant que j’ai eu envie de rappeler. Alors que nous ne savions pas s’il était possible de se rendre à la frontière en bus ni même s’il était faisable d’y dormir, tout s’est passé d’une manière si fluide et si belle que j’ai eu envie que nous nous remémorions cela. Comment ne pas avoir confiance? On fait vraiment une sacrée équipe.
Ensemble on est plus fort
Lorsque je quitte Bukavu, j’ai le ventre douloureux. Avec maman, on a surement mangé quelque chose qui n’est malheureusement pas passé. Mais j’ai aussi le ventre noué car je vais enfin voir, ma chérie. On s’est donné rendez-vous à Kigali pour nos retrouvailles. Maman et Dechi m’accompagnent à la frontière. L’adieu est touchant, et je suis très fier de ma maman, et je crois qu’elle l’est aussi de moi. Moi en tout cas, j’admire beaucoup tout ce qu’elle fait ici. L’envie, la force et la détermination qu’elle dégage ici est incroyable et je suis vraiment heureux d’avoir été à ses côtés quelques semaines. Elle reste ici encore quelques temps, pour lancer de nouveaux projets. J’espère pouvoir être à ses côtés plus tard, pour d’autres voyages là-bas. Assurément j’y serai depuis notre QG de Paul-Vouga.
On se quitte alors après une longue étreinte. Presque aussi forte que celle du jour où je l’attendais du côté de la frontière d’où elle me regarde m’éloigner. Merci maman pour cette expérience magnifique et encore merci à mes parents pour m’avoir donné cette passion de l’Afrique, il y a quelques années.
Le trajet jusqu’à Kigali me parait incroyablement long et très inconfortable. Comme le bus est plein, je dois tenir mes deux sacs entre les jambes, et sacrifier mon genou gauche. Mais le moment de retrouver ma chérie avance. Avec cette idée en tête, la douleur est bien plus supportable. En arrivant, je me rends à l’hôtel et m’accorde un petit plaisir occidental, un hamburger. Pour la dernière fois depuis mon départ, je me couche seul dans un lit trop grand. Juste avant d’aller dormir, je parviens à échanger quelques mots avec elle, qui s’apprête à prendre l’avion. J’essaye tant bien que mal de contenir son appréhension, et prie pour que tout se passe pour le mieux.
Très tôt, je reçois un message qui m’apprends son arrivée à Addis Abeba, la dernière escale. L’avion devrait être à l’heure, l’attente ne sera pas plus longue que prévu. Heureusement. Je m’assoupis encore quelques minutes puis au réveil, je pars en quête d’une première découverte à lui offrir. Les fruits de la région sont une merveille, je vais donc chercher mes préférés. J’ai l’impression que l’heure n’avance pas. Alors je tourne en rond et décide de déjà me rendre à l’aéroport, même si l’avion n’arrive que dans une heure. Le ventre noué, je tourne encore en rond, alors que les policiers et militaires de l’aéroport me regardent d’un œil amusé. Même si je suis persuadé que tout se passera bien, c’est tout de même la première fois qu’Alexandra sort d’Europe. De plus, l’Afrique n’est pas l’expérience la plus facile. Je me dit qu’il n’y a aucune raison que ce voyage ne se passe pas bien.
L’avion est là, alors je me poste à l’entrée. L’attente est toujours longue, mais comme je l’avais suspectée, elle est la première à sortir du terminal. Elle ne me voit pas au premier coup d’œil, alors je l’appelle. Puis on se prend dans les bras, comme on en rêve depuis mon départ. Je ne sais même pas combien de temps cela a pu durer, et je n’ai pas envie de savoir. Mais ce moment était magique. La force des retrouvailles. On est à nouveau ensemble. Irréel. Même au moment où nous décidons de rejoindre notre hôtel, nous n’avons pas encore réalisé de ce qu’il se passe. Mon ventre se délie à ce moment, et mon sourire ne se relâche pas un instant.
En s’approchant des taxis, Alex m’étonne déjà par son sens de la négociation. Mais le prix final est toujours trop cher pour nous, alors je propose un peu honteux de prendre une moto. J’espérais ne pas avoir à lui infliger ça après une nuit blanche et dix-huit heures de voyage. Mais son enthousiasme balaie vite ma culpabilité et l’aventure commence déjà. A notre arrivée, je crois que mes petites intentions lui ont fait plaisir.
Après de longs mois, on peut enfin se toucher, se parler sans téléphone, se voir sans écran. Il n’y a pas de coupure. On peut se retrouver et se redécouvrir. On peut penser les prochaines semaines en terme de nous. On va pouvoir se découvrir dans un contexte différent du quotidien. On est aussi prêt à partir découvrir une partie de ce continent, ensemble. Car ensemble on est plus forts. Le sentiment d’être incroyablement chanceux ne peut pas dépasser celui que j’ai ressenti lorsqu’on s’est retrouvé. Merci pour tout ma chérie, de me laisser vivre ce rêve, et d’avoir tout fait pour qu’on puisse le partager quelques temps. Je suis persuadé que ce sera inoubliable.
L’arrivée en terre promise
Pour mon départ, Evode m’emmène à la station de bus et m’aide à prendre mon billet. Je le remercie encore pour tout ce que lui et sa famille ont fait pour moi ces derniers temps. Mon bus quitte Kigali à huit heure pour Cyangugu, la ville qui borde la frontière entre le Congo et le Rwanda. Du côté congolais, c’est Bukavu, sur les rives du lac Kivu. Le trajet est agréable, jusqu’à la route de montagne qui traverse le parc national de Nyungwe. Trop secoués par la conduite énergique du chauffeur, cinq passagers rendent leur petit-déjeuner par la fenêtre. Pour ma part, je discute avec ma voisine, qui vient de Goma, de l’autre côté du lac, la capitale du Nord-Kivu au Congo. Elle vient voir sa famille réfugiée ici durant les multiples guerres qui ont ravagées les régions de l’est du Congo. Nous arrivons à destination en début d’après-midi. Je me rends ensuite à la frontière en moto. À la sortie du Rwanda, un petit monsieur dont le visage m’est familier vient à ma rencontre :
– « Bonjour ! Est-ce que vous êtes Bibu ? » me demande-t-il. Un peu déconcerté je lui réponds :
– « Non, je suis Thibaud. Mais si cela peut vous aider, je suis le fils de « Da Véro ». Au moment où je prononce la version congolaise du prénom de ma maman, son visage s’illumine :
– « Haaa ! Karibu ! Je suis Dechi, c’est père Adrien qui m’envoie vous chercher ! »
Il me semblait que ce visage m’était familier, et à raison. Cet homme, je l’ai vu sur beaucoup de photos. C’est un ami de ma mère et un des chauffeurs qui travaille avec mon ami de longue date, Adrien. Nous commençons à discuter en attendant que j’effectue ma sortie du territoire rwandais. Je remarque alors que la dame devant moi me fixe avec insistance depuis quelques instants. Elle finit par me demander si je ne suis pas « Jésus ». Prenant cette intervention pour de la plaisanterie, je détache mes cheveux pour l’amuser encore plus. Loin de la faire rire, ce geste ne fit que confirmer ses soupçons si bien qu’elle dit à mon ami en swahili :
– « C’est vraiment Jésus, je dois prendre une photo pour montrer aux gens de mon Eglise que j’ai vu Jésus Christ. Je ne peux pas rester devant lui, je dois lui céder ma place, je ne peux pas passer avant Jésus. »
Mon ami me traduit ces paroles, plié en deux par cette intervention. Alors je me laisse prendre en photo, et je tente de refuser la place de cette vieille dame. Mais en vain, elle me pousse devant elle. Tout cela sous le regard amusé des témoins de cette scène plutôt coquasse. Une fois mes obligations administratives remplies, Dechi et moi partons pour le poste frontière du Congo. Avant même de pénétrer dans le bâtiment, l’atmosphère de désorganisation du pays commence déjà à se faire sentir. L’employé de la frontière semble suspicieux ma venue Congo, surtout en cette période de troubles politiques. Mais lorsque Dechi lui annonce que je viens voir le père Adrien, mon passeport m’est rendu en quelques secondes. Ici, il est nécessaire d’être bien accompagné. On embarque alors dans son énorme 4×4 s’engageant sur la route défoncée menant à Bukavu.
Premier arrêt et première rencontre. Nous sommes chez Sœur Pilar, une autre amie à ma mère. Elle souligne ma ressemblance avec ma mère, mais surtout avec ma sœur, qu’elle a pu rencontrer l’année précédente. Autour d’un jus d’ananas, cette religieuse, dont l’accent et la peau sont les seules traces de ses origines espagnoles, me demande comment se passe mon voyage. Elle est très impressionnée par mon projet que je lui détaille rapidement. Je lui raconte les grandes lignes et elle semble passionnée. Mais nous sommes pressés par le temps, nous repartons rapidement. Nous devons porter une lettre à Adrien. Je le retrouve à l’endroit où les containers envoyés par « Un Seul But » sont déchargé. Les retrouvailles sont toujours un moment fort. En plus, la dernière fois que je l’ai vu c’était cet été, lorsqu’il est venu passer quelques jours à la maison. Nous rions tellement nous sommes heureux de nous revoir. Je rencontre aussi le fameux Birindwa, gardien des containers. Beaucoup d’autres gens viennent me serrer la main, et une poignée connait maman. Je me rends compte que je n’imaginais pas la portée du réseau de connaissance de ma mère. Après quelques minutes, Adrien m’annonce que nous partions pour Burhiba, le lieu qui deviendra notre quartier général à Bukavu. La paroisse est située juste à côté de la brasserie de la ville, qui est la seule entreprise qui a survécue aux multiples conflits ayant déchirés la région de la région. Les congolais ont le sens des priorités.
Dans l’aumônerie qui sera ma maison ici, je fais encore connaissance avec des amis de ma mère l’ambassadrice. Père Sylvestre et père Richard la connaissent bien, père Pierre-Innocent peu et père Louis-Pasteur ne l’a jamais rencontrée, bien qu’ils aient entendu beaucoup de bien quant à ses actions ici. Adrien me laisse alors en bonne compagnie, ces prêtres sont pleins de vie et très drôles. Il me promet aussi de repasser dans la soirée pour organiser un peu ma semaine. Même s’il ne pourra pas tenir sa promesse, mon arrivée ici est déjà plus qu’intéressante. Je rencontre beaucoup de gens qui connaissent, respectent et admirent ma mère pour ce qu’elle fait ici. Pour ceux qui ne connaitraient pas notre association familiale « Un Seul But », je vous promets de vous en dire un peu plus très bientôt.
Mais en attendant, mon arrivée dans cette région dont on m’a si longuement parlé et qui semble si folle, surpasse la mesure de ce que j’attendais. J’ai une semaine pour infiltrer le milieu, ensuite maman sera là et tous les projets de l’asso’ se mettrons en place. Ces prochains jours s’annoncent passionnants !
Noël
Je crois que passer Noël en t-shirt est une idée qui fait sourire beaucoup d’occidentaux. Je dois vous avouer que c’est plutôt agréable. La famille « Evode » d’Entebbe m’a invité à passer les fêtes avec eux dans leur famille au Rwanda. Les retrouvailles sont touchantes, même cela ne fait que deux semaines que nous nous sommes quittés. Toute la fraterie va bien et on est ravi de se retrouver. On discute alors un petit moment dans le salon, avec inévitablement la télévision bruit de fond.
Après un petit moment, Evode me propose de l’accompagner en ville pour y faire quelques courses. J’accepte alors, ravi et intrigué par cette ville qui s’annonce étonnante. Les routes sont parfaites, les rues propres, les panneaux de signalisation existants. Le centre-ville a des airs d’occident, avec de hauts buildings de verres flambants neufs. La circulation est fluide. Beaucoup de détails qui détonnent avec les capitales voisines. La ville est construite sur de nombreuses collines ce qui semble être un endroit très peu pratique pour accueillir une capitale. Mais il faut tout de même avouer que cela apporte un petit charme à la cité. Evode m’explique aussi le plan actuel du gouvernement, qui est de refaire complétement la colline principale du centre-ville. Toutes les anciennes bâtisses, les petites usines coloniales, les entrepôts et les maisons vont être détruites au profit de ce plan de développement du centre urbain. Il m’assure que toutes les personnes ainsi que les entreprises et personnes lésées par ce plan seront indemnisées, sans qu’elles n’aient toutefois eu leur mot à dire lors du processus de décision. Un article de la constitution stipulant que la terre appartient à l’état, il peut donc reprendre n’importe quel territoire si cela le chante. Voilà mon premier contact avec le côté autoritaire du gouvernement rwandais.
A peine revenu à l’hôtel, nous nous préparons pour aller rejoindre la famille de Christine. Une fête a lieu aujourd’hui. Je pensais que ce serait un réveillon de Noël, mais j’ai été surpris. Une grande partie de la famille est là et je fais connaissance avec une multitude de cousins, d’oncles et de tantes. Je rencontre aussi le père de Christine, un vieil homme qui inspire le respect. Alors que nous dégustons un « sucré » (soda) sur la terrasse, un minibus surpeuplé arrive à l’entrée de la vieille maison familiale. C’est une partie de la belle-famille de Christine, chargés de caisses de sodas et de bières. Chacun se salue d’une accolade avant de pénétrer dans la maison. En ce jour de Noël, ce que nous fêtons est une sorte de cérémonie durant laquelle les petits-enfants sont présentés à leurs grands-parents. La tradition veut que les parents les présentent aux grands-parents pour qu’ils les reconnaissent et les bénissent. Le reste de l’après-midi se passe au rythme de longues tirades en kinirwanda entre les chefs de familles et de prières collectives. J’ai entendu dire récemment que les africains aimaient parler et cet après-midi ne fait que le confirmer. Après le repas, les enfants rencontrent les grands-parents et des cadeaux sont données aux deux familles, comme pour sceller une union entre elles. Cette expérience est très intéressante, mais la barrière de la langue limite ma compréhension, je ne peux que comprendre les grandes lignes. La fête se termine assez tôt, à la tombée de la nuit. Nous retournons alors en ville pour manger un petit quelque chose. De retour à l’hôtel, nous attendons minuit pour se souhaiter un joyeux noël. Puis la fatigue me submerge et je pars me coucher.
Le lendemain matin, nous nous rendons à la seconde messe de Noël de la cathédrale de Kigali. Elle est célébrée en anglais. Cette langue a remplacé le français dans l’administration et l’éducation rwandaise. Peut-être pour se distancier du passé colonial belge, où pour se rapprocher de l’allier américain ? Difficile d’en connaitre réellement la raison. La messe est intéressante, et animée par un cœur de Gospel très énergique. Avant l’office, quelques tambourinaires animaient la place située devant le lieu de culte. L’occasion pour moi de me remémorer quelques rythmes, joués au Burundi avec la troupe qui m’avait accueilli. Après l’office, la famille se sépare et je pars à nouveau avec Evode. On mange dans un petit restaurant de la capitale en discutant de ces expériences au sein d’organisations humanitaires. Il s’était destiné à être prêtre, mais les événements de nonante-quatre ont contrecarré ses plans. Alors qu’il cherchait du travail, il a été engagé dans une organisation d’aide aux réfugiés et a appris son métier de logisticien sur le tas. Il n’a jamais quitté ce domaine, qui l’a mené au Soudan du Sud, au Tchad et même un moment en Somalie. Il a maintenant une très bonne situation financière, qui compense les risques encourus lors de ses missions sur le terrain. Cet argent ne profite pas uniquement à sa femme et ses enfants. Ici, si un membre de la famille demande une aide financière, la coutume veut qu’elle lui soit accordée.
En rentrant à l’hôtel, je profite longtemps du wifi pour appeler ma famille et ma chérie, qui me manquent. Encore plus dans un jour comme celui-ci. Après avoir réussi à parler avec tout le monde, quelques membres de la famille d’Evode et Christine viennent à l’hôtel leur rendre visite. Nous discutons autour d’une traditionnelle brochette de chèvre, avant de se quitter pour aller voir Jean-Claude, le petit frère de Christine, que je connais depuis Entebbe. Une fois avec lui, nous partageons un bon et copieux repas. Je rencontre aussi une petite fille, l’enfant d’une autre famille invitée. Elle est fascinée par ma peau si claire et mes cheveux. Son admiration ne l’empêche toutefois pas de s’énerver, ne comprenant pas ce qu’elle essayait de me dire. Malgré tout, elle ne me lâche pas, si bien que lorsqu’elle et ses parents partent, elle me tire jusqu’à leur voiture pour que je les suive. Mais mon programme ne me permet pas de les suivre ; demain matin je repars déjà, en direction du Congo. Je vais enfin à Bukavu. J’en entends parler depuis longtemps et je me réjouis de voir cette ville de mes propres yeux.
PS:

Retour au point de départ
Après l’obtention laborieuse de mon visa pour le Congo, je peux me remettre en route. C’est même une obligation si je veux tenir les délais que je me suis fixés. Je laisse alors Entebbe et l’Ouganda derrière moi. Je remercie les personnes qui se sont occupées de moi cette dernière semaine, après que le reste de la famille soit partie pour Kigali. Shafiq et Jacques ont été une très bonne compagnie, et rester en petit comité m’a permis d’apprendre beaucoup de choses. En effet j’ai pris un peu de temps pour sortir de la maison, visiter les rives du lac Victoria et l’endroit magnifique qu’est Entebbe. J’ai aussi appris à me débrouiller plus par moi-même, durant mes multiples voyages à Kampala, la capitale du pays. Les bus entre ces deux villes n’ont plus de secrets pour moi.
Les cars de jour pour le Rwanda étant complets en ces jours de fêtes, je réserve une place dans un bus de nuit. Je partirai donc le 23 décembre à vingt heure, sur le siège numéro 52. Lorsque j’arrive accompagné de mon ami Jean-Claude, je monte dans le bus à la recherche de ma place. Le seul problème est que le bus n’en comporte que 50… Je m’approche donc d’un employé de la compagnie de bus pour lui exposer mon problème ; par chance, il reste un siège sur lequel je pourrai voyager. Je suis prêt à passer cette longue nuit de somnolence. Le passage de la frontière se fait à quatre heure du matin, dans la brume glaciale des montagnes du Rwanda. Le poste frontière de Katuna est situé à près de deux-milles mètres d’altitude, tout près de fameux volcans et des derniers gorilles. Par chance, j’ai pris une chemise et un coupe-vent, qui m’éviteront l’hypothermie. Pour la première fois depuis longtemps, j’ai l’impression d’être en hiver.
Je fais aussi connaissance avec le strict Rwanda. Tous les bus sont vidés, les sacs ouverts afin de vérifier ce que les passagers transportent. A six heure trente, nous reprenons la route. Le soleil se lève au moment où nous commençons à nous faufiler entre les collines. Lorsque le soleil commence à poindre et éclaire les collines rwandaises, la nostalgie m’envahie peu à peu. J’ai l’impression d’être envoyé sept ans en arrière, lors de ma seconde visite au Burundi. Les paysages sont si proches, les maisons, les rizières et les plantations de thés sont presque semblables. Je suis dans le pays frère de celui qui m’a fait aimer l’Afrique, pour la première fois. Alors que je somnole après cette longue nuit, je me perds entre mes souvenirs et mes attentes pour cette nouvelle étape.
On rejoint Kigali à huit heure, après treize heures de voyage. Par chance, mon ami Evode m’attend à la station de bus. De retour du Sud-Soudan, ou il travaille, il reste quelques temps dans son pays d’origine pour passer du temps en famille. Il m’amène à l’hôtel où ils ont pris leurs quartiers. Je suis étonné de voir que tous les motards portent un casque, mais aussi qu’ils en ont tous un second à donner à leur passager. Evode m’expliquera que le gouvernement rwandais a réussi à imposer cette règle sur l’ensemble du pays. La moto est un des moyens de transport urbain les plus courant dans cette partie du monde. Après ce que j’ai vu au Kenya et en Ouganda, le respect de cette obligation me paraît une vraie prouesse. De plus, les rues sont propres, il n’y a presque pas de déchets. Cela me parait encore plus improbable que le port du casque. En effet, le gouvernement réprime fortement la mauvaise gestion des déchets. Même les sacs plastiques, qui sont un vrai fléau pour l’environnement, sont interdis sur le territoire. J’en avais deux en arrivant, mais ils m’ont été confisqués à la frontière.
Tout ce qui n’est pas contrôlé par le politique me fait penser au Burundi. Même si je ne suis pas là depuis longtemps, la proximité de ces deux pays est frappante. La culture, la langue, tout est si proche. Même la manière particulière de serrer la main est la même. La main gauche vient toucher le coude du bras droit, tandis que la tête s’incline respectueusement. Amakuru mes amis. Je ne suis jamais senti si proche du Burundi et même si les derniers événements politiques m’en ont fermé les portes, je suis vraiment ému de revenir si près. Presque un retour au point de départ.