Les retards ont aussi du bon

Voilà, mon séjour à Khartoum est déjà terminé. J’ai sincèrement l’impression que tout est allé très vite et que mon séjour ici était trop court. Mais je me suis promis de revenir, et de ne pas me limiter qu’à la capitale la prochaine fois. Avec l’aide d’Alexandra, j’ai réservé un vol pour Nairobi il y a quelques jours. Sans aide extérieur, il m’aurait été impossible de quitter le pays, ma carte de crédit n’était pas acceptée sur le domaine internet ainsi que sur le territoire du Soudan. J’ai aussi fait attention à prendre un vol me permettant d’arriver tôt dans la journée à Nairobi, histoire de ne pas me perdre dans cette jungle urbaine.

Le matin du départ, je n’ai qu’à préparer mon sac, puis à aller dire au revoir à Thabi qui dort encore. Je croise aussi mes amis entraineurs de volley venus suivre une formation ici au Soudan. Le soir d’avant, j’ai passé pas mal de temps à discuter avec l’un d’eux. Il s’appelle Junior et est originaire du Cameroun. Il maitrise très bien le français, ce qui était très agréable pour moi. Avant de les quitter je nous remémore son visage lorsque je lui ai appris que la bière était illégale ici. On rigole une dernière fois et on se promet de se revoir un jour à Yaoundé, ou en Suisse. Etant le statisticien de l’équipe de volley féminine camerounaise, peut-être sera t’il amené un jour à visiter la Suisse ! Quoi qu’il en soit, nous resterons en contact.

Je prends alors mon sac et me dirige à pied vers l’aéroport, qui est à deux pas de mon auberge. A nouveau, la plupart des accès sont bloqués par des dispositifs de sécurité. Mais je trouve relativement facilement ma route. Je montre mon billet à l’entrée et passe le premier contrôle. J’essaye alors de changer le reste de mes livres soudanaises, mais le discours est malheureusement le même que celui entendu à Assouan. La seule monnaie disponible est celle que j’essaye de changer. Je laisse vite tomber, c’est peine perdue. Heureusement que j’ai prévu beaucoup d’avance, car lorsque je me présente à l’enregistrement des bagages, le guichetier m’annonce que j’ai une semaine d’avance. Et oui, lors de l’achat du billet, on s’est planté d’une semaine. Le guichetier me rassure : j’ai suffisamment de temps pour aller changer de billet avant que le vol du matin pour Nairobi ne décolle. Mais il faut déjà trouver le guichet en question, et avec quatorze kilos sur le dos, se dépêcher n’est pas la chose la plus facile. J’atteins finalement le bon bureau pour y trouver un jeune homme nonchalant à souhait. Mais à ma demande, il va chercher son supérieur, qui lui changera mon billet en moins de dix minutes, moyennant le paiement d’un petit supplément. Moi qui cherchais à me débarrasser de quelques livres, j’y suis en partie arrivé. Je retourne alors à l’entrée de la zone de départ et me rends tranquillement jusqu’au hall d’attente.

Je sympathise alors avec un guide touristique canadien établi en Ethiopie et une américaine ayant travaillé aux Nations-Unies. Pendant la conversation, les passagers de tous les vols de la matinée sont appelés, mais pas de nouvelles nous concernant. C’est alors qu’entre en scène mon ami du bureau. Il vient vers nous la mine tendue et nous annonce que le vol aura au minimum trois heures de retard, à cause d’un problème technique. Parfait, on est tous sûrs de rater notre correspondance, mais au moins on est une bonne équipe ! On m’assure que j’aurais une place dans le vol du soir, mais mon ami guide lui est dans une mauvaise posture. Lui et son groupe de vingt personnes devaient se rendre à Djibouti, qui n’est desservi que par un seul vol par jour depuis Addis. Ils devront passer la nuit dans la capitale et perdre une journée sur leur planning. L’avion aura quatre heures trente de retard finalement.

On arrive à Addis de nuit. Les derniers rayons de soleil nous ont permis d’observer depuis le ciel le lac Tana, la source du Nil bleu. Les lumières de la capitale sont hypnotisantes et ma seule envie lorsque je suis dans l’aéroport est de sortir et de rester quelques temps ici. Mais ce sera pour une prochaine fois. A noter aussi qu’à la sortie de l’avion, j’ai vraiment eu froid. C’est une sensation que j’avais presque oubliée mais qui est vraiment agréable après la fournaise du désert. Je me mets alors en quête d’un billet pour le prochain vol en partance pour le Kenya. Un des employés m’indique la mauvaise direction et à mon retour, je me retrouve dernier de la file. J’attends ici quarante-cinq minutes avant d’être pris en charge, mais ma patience est récompensée car j’obtiens la dernière place du vol. Un autre européen avec qui j’ai échangé deux mots quelques minutes plus tôt me demande si je vais à Nairobi. Il m’invite alors à boire une bière avec lui une fois mon attente terminée. Je le retrouve alors, mais je suis épuisé. Je me dis qu’il sera difficile d’enchainer maintenant une conversation en anglais avec un natif. Mais il s’avère qu’il parle français à la perfection, sa mère venant de Chambéry. Lui a grandi en Irlande et est maintenant basé à Nairobi. Il bosse pour MSF et était en mission de trois semaines au Darfour. La conversation est très intéressante et son expérience de l’Afrique vraiment bienvenue. Il me donne des conseils très précieux sur Nairobi et le Kenya. La bière que nous dégustons semble être une libération pour lui, en ayant été privé pendant tout son séjour. Il me fait alors penser à mon ami Camerounais. Il m’offre toutes les consommations de la soirée, sous prétexte « qu’il sait ce que c’est d’être étudiant », le tout suivi d’un petit clin d’œil.

Le vol jusqu’à ma prochaine destination se déroule sans encombre. A mon arrivée, j’obtiens facilement le visa que je convoitais deux semaines plus tôt à l’ambassade des dormeurs. Il me permettra de me déplacer librement pendant 90 jours, au Kenya, mais aussi en Ouganda et au Rwanda. Si tout semblait compliqué ce matin, tout roule le soir même. Lorsque nous attendons nos bagages, Philippe me propose de se partager le prix du taxi. En effet, mon auberge est sur la route de son appartement. Moi qui voulait arriver de jour pour me faciliter les choses, cette arrivée de nuit est bien plus agréable que ce que j’aurais pu connaitre de jour mais en me débrouillant seul. Mon ami négocie le prix du taxi, me donne quelques derniers conseils concernant la ville sur le chemin de l’auberge et me tend sa carte de visite, que je puisse le contacter en cas de coup dur. Une fois de plus, je ne sais pas d’où tombe toute cette chance.

J’arrive à deux heures du matin au gite dans lequel j’ai prévu de rester quelques jours et sympathise rapidement avec le gardien de nuit. Lorsque je découvre un lit douillet et une chaleur supportable dans la chambre, c’est la libération. Je pourrai dormir pour la première fois depuis le début de mon voyage avec une couverture qui ne sera pas inutile. Avant de sombrer dans les bras de Morphée, je me demande encore d’où peut provenir toute cette chance ? Est-ce juste un hasard ? Où la magie de l’Afrique ? Où peut-être celle du voyage ? Je n’en sais absolument rien et je me le demande encore maintenant alors que j’écris ce texte. Mais vraiment, que c’est bon ce genre d’aventure !

 

(Petite) galerie du Soudan 

Le bateau de croisière
Levé du soleil sur le lac Nasser

Le désert à Wadi Halfa
L’Hotel étoilé
Un bus magnifique
Prendre du bon temps à l’université de Khartoum
La marque reste la même en arabe
Mais pas pour l’Ovomaltine
Le parc abandonné
Mogran
Garibala et moi

Voilà une toute petite galerie de mon séjour au Soudan. C’est presque toutes les photos que j’ai fait, car je n’avais pas l’autorisation des autorités pour prendre librement des images. J’ai dû me limiter aux espaces fermé et privés, avec juste un petit passe-droit pour Mogran. 

À bientôt et merci beaucoup de votre soutien, on a atteint les 3000 lectures ! 

Mogran

Mon amie est maintenant rentrée chez elle, et les dernières nouvelles sont plutôt bonnes. Je décide, pour mon dernier jour à Khartoum, de me rendre à Mogran. Ce mot signifie convergence, réunion. C’est l’endroit où les deux Nils se rencontrent pour se diriger ensemble ensuite dans le désert en direction du Nord et de l’Egypte. Je voulais m’y rendre de bonne heure, mais j’ai encore une fois raté mon réveil, preuve que cela n’arrive pas qu’avant l’uni. Je pars alors, lorsque le soleil commence à devenir très chaud. Le chemin est assez long, mais je veux m’y rendre à pied, comme les gens d’ici. Je passe par le quartier que j’ai visité avec mon ami Eiseed, vivant et populaire. Un peu plus loin, ce sont les hôtels de luxe qui m’entourent. L’animation de la rue a disparue. L’atmosphère s’y fait très pesante, mais les passants continuent de m’adresser des sourires. Lorsque je me rapproche de mon but, après plus d’une heure trente de marche, j’aperçois une grande barrière, avec au bord du Nil bleu, un petit guichet. Je m’y rends pour demander si l’entrée se trouve ici, car je ne vois pas d’autre moyen d’accéder à la rive. Le soldat au guichet me confirme qu’il s’agit bien de l’entrée. Je paye mon billet et il m’escorte sur une partie du chemin, en m’expliquant que les touristes viennent plutôt en voiture et qu’il est étonné de me voir à pied. Puis, tel un vrai professionnel, il me donne son trousseau de clé et me dit de continuer tout droit jusqu’à croiser son collègue. Le chemin pour se rendre à Mogran est particulièrement étonnant. L’endroit est plein de carrousels démontés, de cabanes de restaurations abandonnées et de bancs cassés. Je me dis que ça doit être un ancien petit parc d’attraction pour les familles, que le temps a usé et démonté. J’aperçois alors l’autre garde qui vient à ma rencontre, marchant dans un champ redevenu sauvage entre deux balançoires rouillées. Je lui donne la clé de son collègue et lui sert la main. Il est directement très avenant et jovial, malgré son anglais assez limité. Sur le chemin, on discute comme on peut et je découvre un homme très gentil et aidant.

La barrière sur notre droite est cassée sur quelques centimètres, il s’avère que c’est la porte d’entrée. On salue au passage les deux pêcheurs souriants qui ont posés leurs lignes là, avant de se rendre à la pointe, l’endroit exact de la rencontre des deux fleuves. Le paysage est assez surprenant. A gauche, on voit le Nil blanc, très clair, qui porte magnifiquement son nom. Au-dessus de lui, un grand pont terne relie Khartoum à Omdurman. La circulation sur cet ouvrage grisâtre est difficile, comme souvent ici. Le débit d’eau est aussi très impressionnant ; malgré une petite île, scindant la rivière, qui cache une partie de l’immensité du flot. Derrière cette île, on aperçoit très bien les innombrables minarets d’Omdurman. A droite, coule le Nil bleu au milieu duquel se dresse l’île de Tuti et toute sa verdure. L’eau est telle que je l’ai décrite lors de ma visite avec Eiseed, brune et très chargée. L’île empêche aussi de voir la grandeur de cet affluent. Au loin, on entend les pompes, drainant l’eau limoneuse dans les cultures de Tuti. Et entre ces deux géants, on peut observer les couleurs des différentes eaux se mélanger. La clarté victorienne est entrainée dans des tourbillons bruns venus d’Ethiopie. Les couleurs sont très impressionnantes. L’arrière fond urbain rend le spectacle encore plus étonnant, malgré les rives verdoyantes.

Mogran

Abdelrahim, le garde, me demande alors pourquoi je ne prends pas de photos. Je lui explique que je n’ai pas l’autorisation nécessaire pour ça, ce qui le fait rire. Amusé, il me dit me donner spécialement l’autorisation, comme pour me signifier que je n’ai pas à m’en faire. Il insiste aussi pour me prendre en photo à cet endroit spécial. J’accepte, plus pour lui faire plaisir que par amour des souvenirs picturaux. Après quelques minutes je lui annonce qu’on peut reprendre le chemin de la ville. Il me propose alors de s’asseoir quelques minutes à l’ombre pour profiter de l’endroit, ce que j’accepte avec plaisir. Un vieux pêcheur vient alors vers nous et nous propose un thé. Ce serait une insulte de refuser, de plus que cela me fait très envie. Il se dirige lentement vers sa cabane et revient quelques minutes plus tard avec de l’eau chaude, du thé et du sucre. L’eau était déjà brune, avant d’être infusée, et je suis convaincu qu’elle a été puisée directement dans la rivière. Le thé est comme toujours, succulent. Le vieil homme ne parle pas un mot d’anglais mais le garde m’explique qu’il pêche toujours ici, et que tous les soirs, il emmène ses prises au marché d’Omdurman. Il vit ici dans la cabane où il est allé faire chauffer l’eau, entre deux barques grinçantes. Son fils vit avec lui et est pour le moment très occupé avec ces cannes à pêches.

Cet homme se nomme Garibala. Dès que j’entends ce nom je me dis que cet homme pourrait absolument être un personnage d’un roman de Joseph Kessel. C’est un homme simple, mais incroyablement attachant. À chaque fois que nos regards se croisent, il me sourit et plisse les yeux. Il n’y a pas besoin de parler pour exprimer de la sympathie et de la bienveillance. Lorsque nous décidons de nous en aller, je prends mon courage à deux mains et fais quelque chose qui m’avait toujours fait peur depuis le début du voyage : je demande à Garibala si je peux le prendre en photo. Il est étonné dans un premier temps, puis un sourire se dessine sur son voyage, laissant entrevoir ses dents manquantes. Alors il se lève sur ses pieds nus, ramasse son chapeau de paille et se prépare pour la photo. Il a l’air touché par cette proposition. Il se prend au jeu et prend quelques poses, puis invite Abdelrahim à se joindre à lui, et enfin moi-même. Au moment de partir, je lui redonne mon verre de thé et lui tend un petit billet. Lorsqu’il s’en aperçoit, il lève ses yeux interloqués et refuse de prendre cet argent. Il dit ensuite quelques mots à Abdelrahim pour qu’il me les traduise. Le message est très simple, il veut m’offrir ce thé, car pour lui il est normal d’agir de cette manière. Mais il insiste sur un autre aspect. Il veut que je comprenne par ce geste, le jour où je me retrouverais à sa place, j’agirais de la même manière. Il est important d’agir ainsi, sans attendre aucune contrepartie. Ces mots m’ont particulièrement touché. Si une situation permet de donner, sans demander de contrepartie, il est important de le faire. La confiance en l’autre, l’entraide, se font sur cette base et si on peut compter sur le don des autres, le monde pourrait devenir bien plus agréable et accueillant que ce qu’il n’est aujourd’hui. Il termine cette leçon de vie en me disant que si un jour ses pas l’amène en Suisse, il aura grand plaisir à boire un thé avec moi.

Garibala et Abdelrahim

Sur le chemin du retour, au côté d’Abdelrahim, je dois avouer que je suis un peu chamboulé par cette leçon d’humanité. La discussion est encore une fois très intéressante, pleine de simplicité. Il me propose de boire un café avec lui à l’entrée du parc abandonné. Le café se transforme en une multitude de café et plus de trois heures de discussion avec lui et ses amis, sous l’ombre d’un arbre. On parle de sa famille, du Soudan, mais il me pose aussi beaucoup de questions sur la Suisse et sur notre mode de vie. J’apprends qu’il vit avec sa femme et qu’il a une fille. Malgré son poste et son salaire, il est difficile pour lui de faire vivre sa petite famille. Lorsque je veux lui donner un peu d’argent pour le remercier et pour l’aider, lui aussi refuse, avec comme argument qu’il n’y a pas d’histoire d’argent entre amis. Il insiste aussi pour m’offrir toutes les boissons de la journée. Très touché, je n’ai pas d’autre choix que d’accepter. En fin d’après-midi, je décide de reprendre le chemin de l’hôtel, car malgré l’ambiance magique du lieu et de l’atmosphère, la chaleur a raison de moi. Après quelques centaines de mètres, j’entends quelqu’un qui m’appelle. Lorsque je me retourne, je reconnais un ami d’Abdelrahim. Il tient un billet dans sa main et me dit que cela est tombé de ma poche. En plus de leur hospitalité incroyable, ce sont des gens incroyablement honnêtes. Je dois avouer que je suis vraiment impressionné par ces actions. Le sourire collé sur mes lèvres ne veut pas me quitter durant tout le trajet du retour.

Le soir avant de m’endormir, je me promets à moi-même de revenir au Soudan pour mieux découvrir ce pays si accueillant. J’aimerais découvrir les campagnes et les gens simples qui se battent constamment contre le désert et l’aridité, où la politique autoritaire d’un dictateur, d’un roi des temps modernes. Et qui sont prêt à tout pour aider un visiteur, un ami qui vient à leur rencontre.

 

La fuite

Après avoir passé la journée avec mon ami Eiseed, j’ai fait une autre rencontre très intéressante à l’hôtel. Une jeune fille était arrivée le soir d’avant, le pas très pressé et la mine soucieuse. Je lui ai par hasard adressé la parole ce qui a mené à une conversation de plus de trois heures. Son parcours est plutôt singulier. Originaire de Somalie, elle est née au Canada et a vécu partout au Moyen-Orient mais aussi au Soudan et à Nairobi, son père étant homme d’affaire. Elle parle aussi quatre langues et est sur le point de finir ces études de médecine à Khartoum. Son air préoccupé n’a pas empêché la conversation d’être agréable et joyeuse. Comme toutes les femmes de sa religion elle porte le hijab et respecte scrupuleusement les règles issues de sa religion. Malgré sa culture assez occidentale, issu de ses nombreux voyages partout dans le monde et de sa naissance au Canada, nombreuses sont nos habitudes qui lui sont inconnues et lui semblent étranges. Par exemple, elle n’a jamais envisagé qu’il était possible de boire de l’alcool sans être ivre. Ou encore que je puisse aider ma mère dans les tâches ménagères. Elle est aussi très impressionnée lorsque je lui annonce que lors de ce voyage, je lave ma propre lessive à la main. Enfin, j’essaye. L’échange est très enrichissant. J’apprends aussi beaucoup sur la culture arabe, surtout en ce qui concerne le rôle de la femme, dans une société arabo-africaine. Nous en sommes venus à ce sujet lorsque j’ai plaisanté en demandant si les croyants avaient l’habitude de se recoucher après la prière du matin. Elle m’explique que les hommes le font régulièrement, mais que c’est impossible pour les femmes, surtout les premières nées de la famille. Etant elle-même la plus âgée de sa fratrie, elle a une matinée très chargée. Après avoir prié, elle doit s’occuper, avec sa sœur, de préparer ces trois petits frères et sœur pour l’école. Elle doit ensuite se préparer pour aller à l’université, mais aussi s’occuper du petit déjeuner de toute la famille. Après ses cours, c’est encore à elle que revient la tâche de prendre soin des plus petits. Elle m’explique aussi qu’il est courant pour une mère de laisser toutes ces tâches aux filles ainées de la famille, et de prendre du bon temps à la maison. Elle-même est complétement dépendante de sa famille : Impossible pour elle de sortir de la maison sans l’aval de son père. Ses frères ne sont pas non plus tenus de l’aider pour quoi que ce soit, au contraire ! Elle est même parfois tenue de nettoyer et de ranger leurs chambres. Ces restrictions sont pour elle de plus en plus dure à vivre. Le seul moment où elle n’est pas à la merci de ces coutumes est lorsqu’elle est à l’université.

Au-delà de cette conversation plutôt normale jusqu’ici, je lui demande alors la raison de son séjour ici. Sa famille vit à Khartoum, et d’après ce qu’elle me raconte, il est plutôt difficile d’imaginer sa famille la laisser partir dormir dans une auberge de jeunesse. A cette question, son visage redevient tendu et froid. Elle me demande si je veux vraiment savoir, et que si oui cela pourrait prendre un peu de temps. Comme j’acquiesce, elle commence à raconter. Elle est en fuite. Elle fuit sa prison familiale, mais surtout les violences que lui font subir son père et d’autres personnes de sa famille. Elle m’explique que la violence est assez courante dans sa culture, et que ce sont souvent les femmes qui en sont victimes. Mais pour elle, cela n’a rien à voir avec sa religion, bien plus avec les us et coutumes du pays de sa famille. Elle est originaire de Somalie et m’explique que son père n’a jamais laissé de côté sa culture d’origine. Ce type d’événement arrive, d’après elle, a beaucoup de femmes et enfants à l’intérieur des murs des maisons.

Avec l’aide de sa sœur, elle a réussi à fuir la maison sans que son père ne s’en rende compte. La meilleure solution à ce moment-là était de courir se réfugier à l’ambassade du Canada pour leur demander de l’aide. Elle espère qu’elle sera rapatriée sur le sol canadien pour se trouver enfin loin de son père. En effet, le Canada pratique le droit du sol. Y était née, elle possède donc le passeport canadien et peut légitimement faire appel à ce pays pour assurer sa protection. Dans le meilleur des cas, la délégation canadienne pourrait l’envoyer en lieu sûr au Canada et l’aider à recommencer sa vie. Elle m’explique que la réponse définitive tombera le lendemain. Cela fait maintenant quatre jours qu’elle est en fuite et son père met tout en œuvre pour la retrouver. Il a aussi pensé à l’ambassade, mais elle ne lui a donné aucune information. Actuellement, il a mandaté des gens pour vérifier les différents hôtels de la ville, et a contacté tous les amis de mon cette jeune femme qui va devenir mon amie. Mais le plus affolant, c’est qu’elle ne peut s’en sortir seule. Elle n’a pas d’argent, puisqu’elle n’est pas autorisée à sortir de la maison pour travailler. Les gens de l’ambassade semblaient toutefois confiant, et mettent tout en oeuvre pour l’aider à trouver une solution.

Je suis personnellement très touché par cette histoire et cette situation. Je lui promets que je vais tout faire pour l’aider, durant mon séjour ici.

La suite est assez longue et pleine de rebondissement. Je consacrerais cinq jours ici à chercher des informations pour elle, la soutenir et tenter de trouver des solutions. L’ambassade a refusé de l’extrader, argumentant que son père a assez d’argent pour lui payer le billet d’avion jusqu’au Canada. Cette réponse peut sembler absurde, mais parfois les méandres de la bureaucratie sont difficiles à comprendre. Les pistes que l’on creuse alors sont ses amis à l’étranger qui pourrait l’aider à sortir du pays. L’idée de partir directement au Canada est difficilement réalisable, car assez chère. Le nombre d’amis susceptible de l’aider est aussi assez petit, car de par sa situation, le seul endroit où elle a pu sociabiliser un minimum se limite à l’école. On contacte tous ses amis vivant aux Emirats Arabes Unis qui pourrait peut-être l’aider. Mais personne n’a d’argent, ou s’ils en ont, ils n’ont pas de moyen pour le lui faire parvenir. Une employée de l’ambassade, très touchée par son histoire, s’investit particulièrement pour que la situation s’améliore. Elle nous apprend aussi que son père s’est mis en tête de contacter les services de l’aéroport, de manière à fermer toutes les portes de sortie. La cage commence alors à se refermer et l’espoir à se réduire. Jusqu’à ce qu’il contacte l’ambassade pour proposer de prendre en charge le billet d’avion, avec une enveloppe supplémentaire pour subvenir aux besoins de sa fille pendant six mois. En échange, il demande à voir sa fille. Mon amie sens le piège si bien qu’elle refuse de le rencontrer, à raison. Lorsqu’elle se rend à l’ambassade pour récupérer la fameuse enveloppe, elle ne contient qu’une lettre, et 200 francs soudanais, l’équivalent de douze dollars américains.

On continue alors à chercher des amis pouvant potentiellement lui venir en aide. Mais la situation semble bloquée. Seul un lointain ami résidant en Belgique se démène réellement pour la sortir de ce cauchemar. Mais aucun moyen de payement international ne fonctionne ici, et il est très difficile de transférer de l’argent. De plus, l’argent doit être retiré par la personne à qui le virement a été fait. Présentant de trop gros risque, cette possibilité est elle aussi abandonnée.

Lorsque la situation est définitivement bloquée ; mon amie est toutefois convoquée par l’ambassade sans qu’elle ne donne de raison. J’occupe alors mon après-midi, soucieux de savoir ce qui s’y passe. La convocation s’est avérée être une rencontre, entre les parents et leur fille, sous l’œil vigilant du consul. C’est ainsi que la situation s’est réglé : son père lui a fait plusieurs promesses qui, si elles ne sont pas tenues, susciteraient des sanctions judiciaires. En aidant mon amie à porter sa valise, elle m’apprend que son père s’est engagé à lui financer un appartement en collocation le temps qu’elle finisse ses études de médecine. Elle ira ensuite vivre chez une de ces tantes aux Etats Unis. Grâce à l’aide de l’ambassade et à sa tentative de fuite, elle a réussi à obtenir quelques garanties pour une vie meilleure. Difficile d’imaginer qu’il ait réalisé la pression et l’enfer, qui ont poussé sa fille à partir dans l’inconnu, à tenter de rejoindre un endroit qu’elle ne connait pas, alors qu’elle n’est jamais vraiment sortie du cocon de sa maison familiale. Mais il semble avoir fait un pas vers elle. Reste à voir s’il tiendra ses engagements.

Alors qu’elle rentre chez elle, on se promet de se tenir au courant, moi de mon voyage un peu fou, d’ailleurs mon surnom est « Crazy Swiss », et elle de sa situation familiale. Malgré le stress et l’angoisse entre les moments de rush et de stress, on a passé de très bons moments. On a beaucoup rigolé et beaucoup échangé malgré les grandes différences culturelles et le poids de la situation. J’ai été touché lorsqu’elle m’a remercié de l’avoir accompagné durant cette épreuve, et que sans moi elle aurait eu beaucoup de mal à gérer cette situation.

Cette expérience m’a fait réaliser à quel point les gens sont enfermés, enchevêtrés dans des normes et des coutumes extrêmement contraignantes ici. Le Soudan a de mauvaises relations avec beaucoup de grandes puissances internationales. Les sanctions qui en découlent sont assurément plus contraignantes pour le peuple que pour la classe dirigeante. En plus de la mauvaise gestion du pays, les chances d’améliorer sa propre situation en dehors des frontières sont infimes. La plupart des portes sont simplement fermées. Et encore, dans le cas de mon amie, elle possède un passeport canadien. Même avec cet atout incroyable et des raisons plus que valables, il lui était impossible de trouver une solution pour quitter le pays. Cette expérience m’a fait réaliser la chance que j’ai d’être né en Suisse et de détenir un passeport me permettant de voyager partout dans le monde. Je pense que des gens dans le besoin, voire en situation de détresse, je vais malheureusement encore en rencontrer beaucoup. Bien qu’il me soit difficile de les aider concrètement, j’essaie au moins de leur montré qu’aucune barrière n’entrave la bienveillance.
 

 

Sous la chaleur des sourires 

J’utilise mon premier jour, dans la ville où les deux Nils se rencontrent, à mettre ce blog à jour. J’essaye de rattraper mon retard pris lors de ces derniers temps. Il est aussi agréable de rester à l’hôtel car la température est y plus douce que les 40 degrés atteints parfois à l’extérieur. Je ne suis sorti que pour me rendre à l’ambassade du Kenya, dans le but d’obtenir mon prochain visa. A mon arrivée, la première phrase que l’on m’a adressé était de revenir deux jours plus tard. J’insiste si bien qu’il me dirige vers le bureau de son supérieur. Après trente longues secondes à frapper à la porte, l’homme, couché sur un matelas à même le sol et un œil collé par le sommeil, me dit la même chose que son collègue. Comme je ne me décourage pas, je finis par apprendre que le visa que je convoite peut être obtenu à la frontière ou sur internet. Parfait, je peux laisser cela de côté et profiter pleinement de mon temps ici. Le soir, je contacte aussi Eiseed, mon ami rencontré sur le bateau, qui me propose de me montrer les endroits intéressants de la ville deux jours plus tard, le samedi. Je fais aussi la rencontre de Zabi, le jeune gardien de nuit. Il travaille ici pour payer ses études de sport et a appris l’anglais grâce à ce travail. Il est très serviable et est toujours disponible pour un coup de main.
En attendant de rencontrer mon ami, je passe beaucoup de temps autour de l’hôtel, avec Zabi ou des gens rencontrés dans la rue. Le jeune sportif me présente aussi ces amis, dont deux nigériens dans une situation très spéciale. Ils sont tous deux venus au Soudan pour pratiquer le foot au niveau professionnel. Mais comme cela arrive régulièrement dans le monde du sport, l’escroc qui s’était fait passer pour un agent pouvant leur obtenir des contrats n’a pas tenu ses promesses lors de leur arrivée. Sans contrat et sans argent, les sportifs sont alors livrés à eux-même pour survivre. Franck, un des deux footballers, a vécu trois mois dans la rue, mendiant pour manger. Maintenant il a trouvé un club, mais les problèmes ne sont pas terminés pour autant. Le club qui l’a engagé lui a pris son passeport et maintenant, refuse de lui payer son salaire. Il n’a reçu que vingt pourcents de l’argent que son contrat lui promettait. Même s’il aurait assez d’argent pour rentrer chez lui, comme il le souhaite, son club a son passeport et refuse de le laisser s’en aller. Son compatriote est dans le même cas de figure, prisonnier par son club, son employeur. Ce genre d’arnaques et de servilité forcée sont malheureusement assez courantes à travers le monde et ne se limitent pas seulement au sport. Après leur départ, je donne un petit cours d’anglais à mon ami Zabi, qui m’a gentillement demandé mon aide.
Le jour où je dois retrouver Eiseed arrive rapidement. Lorsque je pars le rejoindre, je sais que je dois me diriger vers la station de bus nommée « Jackson Station ». Mon ami m’a aussi donné l’addresse exacte du point de rendez-vous, en arabe, avec comme consigne de demander mon chemin dans la rue. Je pars assez tôt le matin, mais je sous-estime la distance à parcourir. Aidé par les passants, j’atteins finalement le point de rendez-vous avec vingt minutes de retard. Je me sens assez coupable et je cours dans tous les sens pour trouver mon ami. Je cherche aussi du crédit à mettre sur mon numéro soudanais, pour avoir internet et pouvoir contacter mon ami. Après avoir trouvé les petites cartes à gratter, je dois acheter des données internet, en arabe. J’ai de la chance, alors que je m’assois quelques instants pour boire un jus de fruit, le serveur me propose de l’aide. Lorsque j’arrive à atteindre mon guide de la journée, il m’annonce qu’il a eu des problèmes avec le bus et qu’il sera là dans trentes minutes. La culpabilité en moins, je lui réponds de prendre son temps et je déguste mon jus d’orange en regardant l’activité de la rue.
Le carrefour ou je me trouve reflète bien Khartoum. Si le Caire se bat contre le désert, Khartoum a abandonné le combat. Le sol est fait de sable sec, de petites pierres et de trous. Les gens vendent des babioles sur des étalages de carton, entre les échoppes plus officielle et les restaurants de rues. En fond, on peut apercevoir l’hôtel Corinthian, qui d’après Eiseed, a été financé directement par Khaddafi. Ce bâtiment futuriste dénote par rapport au reste de la ville. Khartoum est une de ces villes africaines où presque tout est construit au niveau du rez-de-chaussée. Les gens dans la rue sont de tous les teints. La diversité, de par la taille du pays, met en contact des gens proche des égyptien du sud, des tribus couchitiques d’Abyssinie ou des bantous du Sud-Soudan. Et toutes ces carnations se mélangent à merveille dans la rue. Alors que je suis perdu dans mes pensées, impressionné par la grandeur et la diversité de la ville, j’aperçois Eiseed qui m’approche avec un grand sourire.
On part alors direction l’île de Tutti, entre Khartoum et Bahti, un autre quartier situé sur la rive nord. La ville est en fait séparée en trois parties, par les deux Nils. La troisième partie de la ville se nomme Omdurman. Eiseed est un géant. Et il porte très bien sa petite moustache sur son grand visage rond. Il est très croyant et porte la Gallabia, ce long habit blanc, traditionnelle du Soudan. Sur le chemin de l’île, on fait vraiment connaissance. Il vient d’une ville à l’est du Soudan et est venu ici avec sa famille lorsqu’il avait dix ans. Il a six frères et sœurs, qui sont tous dans une position confortable et qui leur permettent de faire des études dans une bonne université de Khartoum. Comme moi, il étudie la science politique, mais concrètement, je pense que nos études n’ont pas grand-chose en commun. J’ai par exemple de la peine à saisir la pertinence d’un cours de comptabilité en science po’. Mais je pense que le pouvoir en place ne va pas laisser des enseignements trop spécifiques et potentiellement subversifs s’inscrire dans ce cursus. Mais plutôt à créer des pions dociles aptes à faire perdurer l’administration en place. D’ailleurs, mon ami ne pense pas que les choses vont changer de sitôt au Soudan. Le président est en place depuis plus de vingt-cinq ans, certaines personnes dans le pays le comparent à un roi. Mais ce n’est pas le principal problème, soutien Eiseed, car le Soudan possède un régime parlementaire. Au moment où je pense que cela est positif pour la liberté du peuple, mon ami m’apprend que le parlement est composé d’un seul parti non-élu par le peuple. La situation s’avère donc plus complexe que ce que je pensais quelques minutes plus tôt. C’est aussi pour cela qu’il a laissé tomber la contestation, même petite, et qu’il cherchera à la fin de ces études un poste dans l’administration. L’espoir de voir les choses changer est trop mince, alors autant essayer de vivre le mieux possible. Je pense que ce point de vue est partagé par la majorité des gens ici, et ailleurs.
Sur l’île, mon ami m’offre un, deux, trois thés, et refuse que je l’invite. Ici, tout le monde refuse que je participe à quelque frais que ce soit. Je suis l’invité, je dois être traité de la meilleure des manières. Autour de l’ile coule le Nil bleu, qui arrive d’Ethiopie. Un peu plus loin il rejoint le Nil blanc qui lui arrive du lac Victoria. L’eau que je vois couler est très brune, on dirait presque de la boue. Les gens d’ici ont aussi l’habitude de la boire, juste après l’avoir filtré. D’ailleurs le Nil est ce qui fait vivre le Nord du Soudan, c’est le seul accès à l’eau pour beaucoup de personnes. Ce qui donne aussi lieu à une bataille diplomatique entre l’Ethiopie, le Soudan et l’Egypte, car les pays en amont peuvent grandement influencer le cours de la rivière, et les personnes qui en dépendent.
Nous partons ensuite en direction de Nile Street, qui longe le même Nil bleu. Toutes les ambassades et bâtiments du gouvernement se trouvent ici. Eiseed voulais m’emmener dans un musée pour avoir un aperçu de la diversité culturelle du pays. Mais ici le weekend correspond au vendredi et au samedi si bien que le musée s’avère être fermé. A la place, nous nous asseyons sous un arbre et il utilise son téléphone pour me familiariser avec la culture du pays. Principalement de la musique, ce qui n’est pas pour me déplaire. En écoutant des airs de Rababa, petit luth soudanais, on échange nos points de vue sur des dizaines de sujets. Cet échange est très intéressant et j’apprends beaucoup sur le pays. Après plus d’une heure à discuter, il me propose de l’accompagner à son université et de manger un morceau. J’accepte, curieux de découvrir l’endroit.

Le campus est très sympa, avec des vieilles tables de billards devant les bâtiments. La caféteria est pleine de couleurs et lorsque l’on va rejoindre ces amis pour un dernier thé, je fais une découverte plutôt étonnante, un flacon orange attire mon attention sur l’établi du vendeur de thé. Je m’approche et demande pour regarder, avant d’éclater de rire. En grand je peux lire : Ovaltine. Serait-ce une de ces contrefaçon dont l’Afrique a le secret ? Non, l’Ovomaltine, sous le nom Ovaltine, est bien un produit de consommation courant au Soudan, et après quelques recherches, dans plusieurs pays du monde. Ses amis sont aussi très sympas et accueillants, mais malgré leur haut niveau d’études, aucun ne parle vraiment anglais. Alors Eiseed s’occupe de la traduction.
Juste avant de prendre le chemin de mon hôtel, nous croisons une petite fanfare qui fête l’obtention du diplôme de certains étudiants. Ils jouent particulièrement bien et c’est tellement entrainant que les gens dansent dans la rue. Je quitte mes amis lorsque les musiciens s’arrêtent, avec la promesse de les rencontrer à nouveau. Eiseed me donne aussi une accolade puissante dont mon torse se souviendra. Je me dirige alors vers mon hôtel, entre les sourires des gens. Il m’est difficile d’imaginer un accueil plus chaleureux, même la chaleur extérieure ne peut pas rivaliser avec celle des gens.

Et voilà un petit air de la fanfare de l’uni !

A la rencontre de la bienveillance

Après une magnifique nuit sous les étoiles, je me réveille dans une cour vide. Tout le monde est parti très tôt ce matin en direction d’Assouan ou de Khartoum. Je remarque aussi que Claudio est en pleine discussion avec un homme très barbu, de type européen. Je m’approche, curieux, et fait la rencontre de Pavel, un jeune tchèque, voyageur lui aussi. Il a tout quitté à l’âge de 28 ans, pour réaliser un projet un peu fou : voyager partout en auto-stop. Il est tout d’abord parti vers l’Est jusqu’en Iran, pour ensuite descendre en direction des pays du Golfe et l’Egypte ou il a séjourné quelque temps. Il y est resté finalement un an et a réalisé des documentaires sur quelques sujets. Il a récemment décidé de continuer en direction du Sud, avec une projet assez abracadabrant : traverser le Soudan sans un sou. Il n’a avec lui que cent dollars qui lui serviront à payer son visa d’entrée en Ethiopie. Pavel aime bien se relever des défis peu communs, parfois même plutôt inconscients. Il a essayé d’entrer en Iran sans passeport, et de dormir sans tente dans des réserves naturelles. Cette dernière expérience lui a valu d’être arrêté par un hélicoptère de l’armée. Mais ces expériences n’ont pas l’air de réfréner ses ardeurs, au contraire. Il tient un blog et est suivi par beaucoup de gens. Je pense qu’il tente de vivre les histoires les plus folles possibles pour tenir son public en alerte. Et il écrit tout, absolument tout ce qu’il vit sur internet. Il m’a aussi avoué, qu’un de ses buts était de devenir célèbre. Il fait tout ce qu’il est possible pour se faire un nom dans le monde des voyageurs-bloggeurs. Personnellement, cette manière de se mettre en scène et de rendre public chaque instant de sa vie me rappelle le concept de la télé-réalité, avec une thématique toutefois plus profonde que ce à quoi on pourrait s’attendre. Mais toujours sur le principe de montrer chaque instant de sa vie aux autres. C’est une manière de faire, un choix personnel. Si vous voulez jeter un coup d’œil, vous pouvez trouver son site ici : http://www.paveladventurer.com/ (Disponible seulement en tchèque et en anglais…)
Après quelques minutes de discussion nous allons manger tous ensemble de magnifiques fruits de la région. Nous passons notre journée à partager nos expériences et nos histoires folles vécues tout au long de notre route. La compagnie des voyageurs fait vraiment rêver. Je pars aussi quelques instants pour prendre mon ticket de bus, car le lendemain, je voudrais me rendre à Khartoum. Les gens dans la rue sont tous prêts à m’aider, m’indiquent le chemin ou encore la meilleure compagnie de bus. Apres avoir trouvé le guichet et obtenu mon billet, je retrouve Claudio avec comme mission de trouver un endroit où il est possible de regarder la ligue des Champions. Mais nos recherches restent vaines, et de tout de façon le match commence à onze heures locale, une heure où tout le monde est rentré, les cafés fermés et la ville endormie. Alors nous passons la soirée à parler, à échanger et se faire rêver les uns les autres. Mon bus étant prévu très tôt le matin, je passe la nuit debout avec Pavel, c’est vraiment un gars bien.
Je repars alors seul, mon sac sur le dos. A peine arrivé vers le bus, je remarque un homme qui dors sur un lit en métal, similaire à celui que j’avais dans la Lokanda. La jeune femme qui prépare le thé le réveil à grand cris. « Rallas, Rallas ! ». Je comprends vite qu’il s’agit de mon chauffeur qui se lève dix minutes avant le départ prévu du bus. Je le perds de vue lorsqu’un homme souriant s’approche de moi pour me demander la raison de ma présence ici. Je lui dis que je compte me rendre à Khartoum. Il m’annonce que lui aussi et m’offre un thé. Nous commençons alors à discuter avec les gens qui attendent le bus. Beaucoup sont intrigués par ma présence, mais ils semblent apprécier le moment. Le bus tente alors une manœuvre pour se frayer un chemin vers la sortie du champ qui sert de parking, et on part. Avec l’heure de retard traditionnelle de l’Afrique. Le crépuscule arrive et nous empruntons une petite route qui semble se perdre dans le désert. Je suis prêt à avaler les milles kilomètres de la journée.
A chaque pause, mon ami, dont le siège est situé de l’autre côté du bus, vient me voir et m’explique ce qu’il se passe. Mi-arabe, mi-anglais, je comprends au moins le minimum. Il me partage aussi son repas, fait de foul comme pour la plupart des gens qui voyagent avec nous. Un des moments qui m’a le plus marqué durant le trajet est la pause pipi au milieu du désert. La chaleur était tellement insoutenable que j’ai décidé de rentrer dans le bus sans réaliser le but de la pause. La température extérieure était d’environ quarante-cinq degrés, m’a affirmé mon voisin de siège. Et nous repartons, au rythme de la musique entrainante du Soudan.
A notre arrivée à Khartoum, je retrouve mes sensations des villes africaines. La ville semble être construite sur un étage et un nombre incroyable de familles et de personnes sont entassées au même endroit. La banlieue d’Omdurman est très impressionnante. Je descends alors à Khartoum centre avec mon ami qui a pris soin de moi tout au long de notre périple. Sur le moment, je pense judicieux de rejoindre mon auberge de jeunesse à pied, qui n’est qu’à quatre kilomètres. Mais la foule, la distance et la chaleur sont insupportables. J’arrive avec peine à l’hôtel, pour trouver une réception vide et des gens qui y passe sans même me regarder. Après quarante-cinq minutes, je trouve le numéro du responsable, qui me répond de la pièce d’à côté. Il y a de la place et je peux prendre mes quartiers, dans un lit tellement vieux et démonté que le matelas pend dans le vide d’un côté. Un des japonais qui partage ma chambre m’est familier. Je l’ai aperçu à Assouan, dans l’hôtel de mon ami Yuki. Ils sont en route pour l’Ethiopie et ne sont là que pour obtenir un visa. Après une courte discussion, je m’effondre sur mon lit, dans la chaleur insupportable de la région. Malgré la fatigue, je suis conquis par cet endroit. Les gens sont simples, aidants et attentionnés. J’ai hâte de partir à leur rencontre et à la découverte de la ville, dans les jours qui arrivent. 

Une croisière et un hôtel étoilé

Le soir avant le départ pour Wadi Halfa, je fais la rencontre de Claudio, un italien aussi sur la route du Soudan et de l’Afrique. Il me demande où se trouve le « guichet » pour le ferry, que je lui montre volontiers. Mais son choix de transport n’est pas encore fait. C’est donc une surprise lorsqu’il débarque le lendemain, à 10h à l’entrée de ma chambre avec son ticket et son visa en main. Il me demande comment je captais me rendre au port. Je lui réponds que j’imaginais m’y rendre en taxi. Il soupire et me somme de venir avec lui. Je le suis, un peu pris au dépourvu. Il m’explique vouloir s’y rendre en transports en commun. Même s’il ne connaît pas un mot d’arabe, il a l’habitude de voyager avec un petit budget. Il trouve alors un bus, qui nous emmène un peu plus loin. Puis un autre qui nous dépose sur le grand barrage d’Assouan, nous indiquant l’autre côté comme le départ du ferry. Nous faisons alors un peu de stop, car il est interdit de se déplacer à pied sur le barrage. Mais les locaux en sont conscients et nous sommes très vite embarqués dans un pick-up. Arrivé de l’autre côté, nous demandons notre route à un militaire qui s’esclaffe en nous indiquant le côté d’où nous venions d’arriver. Rebelote, nous montons dans le premier véhicule qui passe et le conducteur nous dépose directement au port. Après les formalités douanières, qui sont tout compte fait assez conséquentes, nous attendons de pouvoir embarquer. Ce moment d’attente nous permet d’observer le spectacle ahurissant de la bataille des cigarettes. Les voyageurs ont la possibilité d’acheter deux cartouches de cigarettes détaxées et sont littéralement en train de se battre devant nos yeux pour acquérir quelques tubes à prix réduit. Cela leur permet, à leur arriver au Soudan, de les revendre au marché noir et ainsi, générer un petit profit. Les personnes qui se battent sont aussi ceux qui transportent des télévisions, des fours, et une multitude d’appareils. Je découvrirai ensuite qu’il s’agit des businessmans de la région, qui vont de l’Egypte au Soudan pour acheter et revendre des biens et ainsi faire vivre leur famille.

Après quelques minutes, les portes du bateau s’ouvrent et les passagers peuvent commencer le chargement. Le nombre de sac, cartons et malles qui envahissent le pont est hallucinant. Tout le monde transporte le plus de biens possibles pour une éventuelle plus-value future. Claudio réserve une série de siège de la plus simple des manières : il s’y couche et s’y endort. Ce que je regretterais bientôt de ne pas avoir fait. Lors du départ du bateau, beaucoup de places sont libres, mais tout le monde est couché, de manière à réserver un endroit où dormir cette nuit. Je trouve quand même un pauvre siège au milieu de tous les hommes assoupis pour le départ. Lorsque je pars faire un tour de reconnaissance du bateau je m’aperçois que tous les passagers de la grande cabine centrale sont des femmes. Comme dans le métro du Caire, les compartiments sont distincts pour les hommes et les femmes, ce qui est un peu déstabilisant pour un occidental. Je comprends par leurs regards que je n’ai pas le droit de mettre un pied dans cet espace. Je m’aventure ensuite sur le pont, en évitant les malles et les écrans, pour observer les alentours. Ce lac est vraiment spécial : il est posé un milieu du désert. On dirait une erreur plutôt de la nature. Le barrage ayant été terminé cinquante ans plus tôt, les berges sont encore trop récentes pour accueillir la même végétation qui entoure la vallée du Nil. Sous ses eaux, j’imagine les dizaines de temples égyptiens, de maisons nubiennes, de mosquées et d’Eglises coptes qui ont été submergé. Nasser, qui est considéré comme le père de la nation égyptienne moderne pensait à créer un grand réservoir de secours et beaucoup d’électricité, mais absolument pas préserver les sites historiques et les 100’000 personnes qui vivaient là. Et le barrage qui est juste à côté de moi est un des plus grand du monde. Je ne vois pas l’autre bout. En fait, ce n’est pas un lac qui se dresse derrière lui, mais plutôt une mer intérieur longue de cinq cent kilomètres de long, que je vais traverser en une nuit. Le ferry part ensuite, avec l’heure de retard africaine, doucement, en direction du Sud.

Deux heures plus tard, je remonte sur le point pour ne pas rater le coucher de soleil. J’ai bien fait, car je suis arrivé juste à temps. Beaucoup d’autres passagers sont venus observer ce magnifique spectacle. Le disque solaire, comme l’appelait les anciens égyptiens, se fait avaler par la terre, sur un fond d’eau argentée qui le reflète. J’ai un petit extrait visuel que je vous partagerai bientôt. Je commence aussi à remarquer que les personnes qui me souriaient ont l’air de moins en moins suspicieuse de ma présence et c’est à ce moment-là qu’elles commencent à venir me parler. Même avec quelques mots d’anglais, il est facile de passer un bon moment et d’apprendre rapidement avec qui l’on parle. Et c’est assez magique, car j’ai l’impression que beaucoup de monde souhaite engager la conversation avec moi. J’utilise aussi mes quelques notions d’arabes, mais surtout pour les faire sourire, car mon accent n’est pas brillant. Mais le courant passe, on rigole beaucoup et je passe un bon moment avec chaque personne qui vient à ma rencontre. Beaucoup de gens pensent que je suis ici pour faire du business, et quand je leur parle de mon projet, ils n’ont pas l’air de comprendre. A quoi ça sert concrètement de vouloir traverser l’Afrique ? Je leur réponds que sans cette idée un peu saugrenue, nous n’aurions pas passé ce bon moment et c’est à ce moment-là que certains saisissent la raison de ma venue. Mais en plus de ces rencontres inattendues, c’est la vie que je cherche à découvrir. La vie qu’on ne connait pas en Europe, la vie de la majorité du monde. J’ai appris plus que je n’imaginais avant de partir.

Je retourne, lorsque le soleil est couché, vers ma place. C’est alors qu’un petit homme, qui me lançait des regards du coin de l’œil depuis le départ, me demande dans un très bon anglais : « Tu as faim ? ». N’ayant avalé que quelques bananes et du pain égyptien au Kiri, je lui réponds par l’affirmative avec un grand enthousiasme. « Alors vient ! » me répond-t-il. Avec un jeune membre de sa famille, il m’offre le souper, fait de pain, de fromage au piment (ça arrache mais c’est pas mal), de concombre et d’œuf durs. Une valise nous sert de table et nos mains de couverts. Je commence à m’y habituer et je dois avouer que c’est même plutôt agréable. Lors du repas, mon hôte nommé Amir m’apprend qu’il est homme d’affaire et qu’il travaille actuellement entre Khartoum et le Caire. Il fait ce trajet toutes les deux semaines pour ses affaires. Je me dis alors que c’est plutôt agréable d’être pendulaire entre Neuchâtel et Lausanne, le voyage ne dur que trois heures, et non trois jours. Lorsque nous terminons, je leur offre le thé dans la cabine restaurant. Mais ce n’a pas été facile de les convaincre de me laisser payer. Je goute pour la première fois à la fameuse hospitalité soudanaise.

Lorsque je rejoins ma place, Claudio émerge de son long sommeil. Ce gars est assez fou. Il est parti de Milan pour la première fois de sa vie à 25 ans, et depuis, il passe une dizaine de mois à voyager chaque année. Ce qui fait beaucoup de mois si l’on pense qu’il a 54 ans maintenant. Il ne rentre que pour voir ses amis, et touche une pension depuis la mort de ses parents ce qui lui permet presque de voyager non-stop sans travailler. Curieux d’en apprendre plus, je lui demande où il est allé, ce à quoi il me répond : « Partout ! Sauf en Afrique, c’est la première fois que je mets les pieds ici. ». Il m’explique alors son plan de visite pour l’Afrique, qu’il a étalé sur deux ans, avec une petite coupure par l’Asie centrale. D’abord de l’Egypte à la Tanzanie, puis un cercle dans l’Afrique australe et pour finir du Maroc au Ghana par la côte est. Puis nous parlons de ses précédents voyages et effectivement il est allé partout et dans tous les sens. Il garde juste le Moyen-Orient pour ses vieux jours, « parce que c’est près de la maison, tu vois ? ». Et encore une anecdote sympa, il a prévu d’acheter un billet pour un match de la Coupe du Monde de foot en Russie. Non pas pour le foot, mais parce qu’en achetant un ticket, il reçoit avec un visa gratuit pour environ soixante jours ! C’est toujours bon de recevoir des petits conseils de baroudeur pour certaines choses.

Après cette conversation qui m’a fait voir le monde comme s’il était minuscule, je retourne sur le pont pour observer les étoiles. Il n’y a aucune lumière pour venir ternir leur beauté et c’est un des ciels les plus purs que j’ai vu de ma vie. La dernière fois que j’ai pu observer tant d’étoile, c’était à Madagascar. La seule différence entre ces deux ciels sont les astres qui s’y trouve. Ici, je peux observer le ciel qui m’est depuis toujours familier. Au lieu de la Croix du Sud, observée sur les collines malgaches, c’est la grande Ourse qui guidait les voyageurs ici. Je décide alors d’aller me coucher et le seul banc qui reste est forcément bien placé. Je dors sur cette banquette, à pas moins de deux mètres à côté du moteur principal. Les secousses et le bruit sont énormes, mais j’arrive à avoir quand même quatre petites heures de sommeil réparateur. Je me lève à quatre heure trente pour être sûr de ne pas rater le levé du soleil. Etonnement, beaucoup de passagers sont déjà sur le pont. C’est l’heure de la première prière de la journée et les croyants passent à tour de rôle sur les petits tapis prévu à cet effet. Je m’assois alors sur une caisse et observe le rituel, qui commence à m’être familier. Quelques minutes plus tard, j’entends une voix timide derrière moi qui me dit un petit « hello ». Lorsque je me retourne, je me retrouve nez-à-nez avec un géant. Cette ombre de facilement deux mètres de haut et plus de cent kilo me demande comment je vais et s’il peut s’assoir à côté de moi. La conversation s’engage alors et je découvre un jeune homme très sympathique qui s’en sort très bien en anglais. Il s’appelle Aiseed et vie à Khartoum. Lorsqu’on fait plus ample connaissance, il me demande ce que j’étudie et à ma réponse, ces yeux s’illuminent à la lueur du crépuscule. « Moi aussi j’étudie la science politique ! » me répond-t-il. On commence alors à parler de nos études, pour ensuite passer à l’islam, une fois encore. Il a pris le temps de m’expliquer chaque période de la journée, qui est définie par la course du soleil. Et chaque prière doit être faite durant une période définie. Ce petit cours est passionnant, surtout avec, en toile de fond, le soleil qui se prépare à venir nous rejoindre. Lorsqu’il arrive, notre conversation s’arrête pour observer. Quelques minutes plus tard nous échangeons nos Facebook et nous nous promettons de nous revoir à Khartoum. J’ai trouvé mon guide, et mon informateur politique de l’intérieur.

Quelques heures plus tard, nous apercevons le port de Wadi Halfa se rapprocher. Nous l’atteignons quelques minutes plus tard, on pense alors toucher au but. Mais c’était sans compter l’efficacité de l’équipage, qui nous a permis d’accoster une heure et demie plus tard. Ils ont vraiment essayé de mettre le bateau dans tous les sens, des deux côtés du ponton, mais rien à faire, impossible de faire en sorte que les gens puissent descendre. C’est alors à l’aide d’une barque, comme transition que les passagers peuvent commencer à sortir. Avec Claudio, on doit récupérer nos passeports et remplir les fiches de douanes. Huit pour être précis, en plus des quatre remplies avant notre départ d’Egypte. Toujours une mise en page différente, mais qui recueille les mêmes informations. Le tout en répondant à un questionnaire du militaire en charge de nous faire remplir ces fiches. Aucune de ses questions ne portaient sur ma venue au Soudan, mais plutôt sur mes connaissances concernant Roger Federer. Merci mon petit passeport rouge. J’ai aussi compris la technique, étant moi non plus pas très ordré, je réaliserai plusieurs versions de mes documents important et je les répartirai un peu partout, de manière à toujours en retrouver un. C’est un tout cas l’impression que ces questionnaires m’ont fait. À peine sortis du bateau, un militaire nous aborde : « Passeport s’il vous plait ! ». On croirait à une blague, mais non c’est très sérieux. Enfin libre, nous nous dirigeons vers la navette qui nous dépose dans le petit village de Wadi Halfa, devant une lokanda. C’est le nom des hôtels bons marchés au Soudan. Le vieux réceptionniste nous demande si nous voulons un lit, où une chambre. Nous lui répondons que ça nous est égal, mais le moins cher. Il nous amène ensuite dans la cours, sort deux vieux lits en métal d’une chambre et nous souhaite la bienvenue. Nous allons donc dormir dehors, dans la cour intérieure de l’hôtel. Moi ça me va, et pour un franc cinquante, je trouve que c’est très honnête.

Claudio et moi partons ensuite en quête d’un repas chaud. On nous conseille de gouter le « Foul », plat traditionnel du Soudan, qui est composé de haricots blancs et de pain. Étonnement, il ressemble à un plat que j’ai pu gouter au Liban. C’est bon mais c’est un vrai ciment pour l’estomac. La prochaine étape de notre arrivée au Soudan se fait au poste de police, car tous les étrangers doivent s’enregistrer pendant les premières 48 heures de leur présence sur le sol national. Comme si la douane n’était pas suffisante. Nous débarquons alors au poste, passeports et patience en main. Nous passons de bureau en bureau, de policiers nonchalants à chefs nonchalants. Une heure et demie et une belle taxe d’entrée plus tard, nous sommes libres de circuler où bon nous semble dans ce qui était le plus grand pays d’Afrique avant la sécession du Sud. Et ce durant 45 jours. Je n’ai pas prévu de rester si longtemps, mon attention se portant sur Khartoum et Port Soudan. Mais au moins j’ai le choix et le temps. De retour à l’hôtel au milieu de l’après-midi, je commence à sentir la courte nuit précédente et m’endors quelques heures sur mon petit lit, dans un coin d’ombre.

A mon réveil, il commence à faire sombre, mais je suis Claudio qui m’invite pour boire un thé dans le village. Nous nous arrêtons lorsque deux jeunes nous proposent de les rejoindre à leurs tables. On passe un très bon moment, en buvant un thé au sucre aromatisé au gingembre. Je suis conquis. Nos hôtes refusent que nous payions nos consommations et nous offrent toute les boissons de la soirée, plus une carte SIM soudanaise pour moi. Ces jeunes hommes font des pieds et des mains pour quitter leur pays. Partout est intéressant à condition de quitter leur impasse d’origine. Même avec un bon poste, ils ne vivent pas comme ils le voudraient. Au point où un des deux finisse par sortir une feuille, qui est en fait un « ticket de loterie » pour l’obtention de la nationalité américaine. Ce pays le fait rêver, malgré les grands différents avec son gouvernement s’origine. Mais comme beaucoup de gens dans le monde, c’est le rêve de pouvoir l’atteindre. Après un échange des numéros de téléphone, nous prenons le chemin de notre hôtel jusqu’à ce qu’à mi-chemin, j’entende un « Tzhibo, Tzhibo ! ». Je me retourne interloqué jusqu’à apercevoir Amir, l’homme qui m’avait partagé son repas sur le bateau. Il nous invite alors pour un autre thé, ce que nous ne pouvons refuser. La conversation est alors plus profonde que la première, car les formalités sont derrière nous. J’apprends alors qu’Amir a habité 6 ans au Brésil et qu’il a visité quelques pays d’Europe. Il est aussi chrétien copte, ce qui n’est pas courant au Soudan et assez discriminé par le gouvernement. Je passe à nouveau un très bon moment. Encore une fois, il refuse que nous lui offrions le thé. A croire que l’hospitalité est inscrite dans le code génétique des gens ici. Nous nous quittons alors, lui part à Khartoum le lendemain matin, alors que je compte rester un jour de plus ici, le temps de récupérer un peu et de prendre la température de l’endroit. Il me donne aussi son numéro de téléphone et me fait promettre de l’appeler si j’ai une question, un coup dur ou juste pour prendre des nouvelles. Ce que je n’hésiterai pas à faire évidemment.

Je vais alors me coucher sur mon lit à ciel ouvert. La nuit sombre a rafraichi l’atmosphère qui est alors très agréable. J’essaye de repenser à tous les visages, toutes les discussions et tous les sourires que j’ai pu rencontrer depuis hier. Je me sens bien ici, entouré de personnes incroyable et de la chance d’avoir pu les rencontrer. Je sens que je m’approche de l’Afrique que j’ai connu, lors de mes premiers voyages sur ce continent. Ceux qui m’ont donné envie de revenir et d’apprendre tout ce que je pouvais, de voir et de rencontrer les gens qui peuplent ce continent. Je m’endors, les yeux perdus dans les étoiles qui sont juste au-dessus de moi, a portée de main. Et au creux de l’oreille, Paul Simon me chuchote sa magnifique chanson « Under African Skies », qui sera sûrement l’hymne de cette année, sous le ciel africain.

Comme promis, le couché du soleil: