Le soir avant le départ pour Wadi Halfa, je fais la rencontre de Claudio, un italien aussi sur la route du Soudan et de l’Afrique. Il me demande où se trouve le « guichet » pour le ferry, que je lui montre volontiers. Mais son choix de transport n’est pas encore fait. C’est donc une surprise lorsqu’il débarque le lendemain, à 10h à l’entrée de ma chambre avec son ticket et son visa en main. Il me demande comment je captais me rendre au port. Je lui réponds que j’imaginais m’y rendre en taxi. Il soupire et me somme de venir avec lui. Je le suis, un peu pris au dépourvu. Il m’explique vouloir s’y rendre en transports en commun. Même s’il ne connaît pas un mot d’arabe, il a l’habitude de voyager avec un petit budget. Il trouve alors un bus, qui nous emmène un peu plus loin. Puis un autre qui nous dépose sur le grand barrage d’Assouan, nous indiquant l’autre côté comme le départ du ferry. Nous faisons alors un peu de stop, car il est interdit de se déplacer à pied sur le barrage. Mais les locaux en sont conscients et nous sommes très vite embarqués dans un pick-up. Arrivé de l’autre côté, nous demandons notre route à un militaire qui s’esclaffe en nous indiquant le côté d’où nous venions d’arriver. Rebelote, nous montons dans le premier véhicule qui passe et le conducteur nous dépose directement au port. Après les formalités douanières, qui sont tout compte fait assez conséquentes, nous attendons de pouvoir embarquer. Ce moment d’attente nous permet d’observer le spectacle ahurissant de la bataille des cigarettes. Les voyageurs ont la possibilité d’acheter deux cartouches de cigarettes détaxées et sont littéralement en train de se battre devant nos yeux pour acquérir quelques tubes à prix réduit. Cela leur permet, à leur arriver au Soudan, de les revendre au marché noir et ainsi, générer un petit profit. Les personnes qui se battent sont aussi ceux qui transportent des télévisions, des fours, et une multitude d’appareils. Je découvrirai ensuite qu’il s’agit des businessmans de la région, qui vont de l’Egypte au Soudan pour acheter et revendre des biens et ainsi faire vivre leur famille.
Après quelques minutes, les portes du bateau s’ouvrent et les passagers peuvent commencer le chargement. Le nombre de sac, cartons et malles qui envahissent le pont est hallucinant. Tout le monde transporte le plus de biens possibles pour une éventuelle plus-value future. Claudio réserve une série de siège de la plus simple des manières : il s’y couche et s’y endort. Ce que je regretterais bientôt de ne pas avoir fait. Lors du départ du bateau, beaucoup de places sont libres, mais tout le monde est couché, de manière à réserver un endroit où dormir cette nuit. Je trouve quand même un pauvre siège au milieu de tous les hommes assoupis pour le départ. Lorsque je pars faire un tour de reconnaissance du bateau je m’aperçois que tous les passagers de la grande cabine centrale sont des femmes. Comme dans le métro du Caire, les compartiments sont distincts pour les hommes et les femmes, ce qui est un peu déstabilisant pour un occidental. Je comprends par leurs regards que je n’ai pas le droit de mettre un pied dans cet espace. Je m’aventure ensuite sur le pont, en évitant les malles et les écrans, pour observer les alentours. Ce lac est vraiment spécial : il est posé un milieu du désert. On dirait une erreur plutôt de la nature. Le barrage ayant été terminé cinquante ans plus tôt, les berges sont encore trop récentes pour accueillir la même végétation qui entoure la vallée du Nil. Sous ses eaux, j’imagine les dizaines de temples égyptiens, de maisons nubiennes, de mosquées et d’Eglises coptes qui ont été submergé. Nasser, qui est considéré comme le père de la nation égyptienne moderne pensait à créer un grand réservoir de secours et beaucoup d’électricité, mais absolument pas préserver les sites historiques et les 100’000 personnes qui vivaient là. Et le barrage qui est juste à côté de moi est un des plus grand du monde. Je ne vois pas l’autre bout. En fait, ce n’est pas un lac qui se dresse derrière lui, mais plutôt une mer intérieur longue de cinq cent kilomètres de long, que je vais traverser en une nuit. Le ferry part ensuite, avec l’heure de retard africaine, doucement, en direction du Sud.
Deux heures plus tard, je remonte sur le point pour ne pas rater le coucher de soleil. J’ai bien fait, car je suis arrivé juste à temps. Beaucoup d’autres passagers sont venus observer ce magnifique spectacle. Le disque solaire, comme l’appelait les anciens égyptiens, se fait avaler par la terre, sur un fond d’eau argentée qui le reflète. J’ai un petit extrait visuel que je vous partagerai bientôt. Je commence aussi à remarquer que les personnes qui me souriaient ont l’air de moins en moins suspicieuse de ma présence et c’est à ce moment-là qu’elles commencent à venir me parler. Même avec quelques mots d’anglais, il est facile de passer un bon moment et d’apprendre rapidement avec qui l’on parle. Et c’est assez magique, car j’ai l’impression que beaucoup de monde souhaite engager la conversation avec moi. J’utilise aussi mes quelques notions d’arabes, mais surtout pour les faire sourire, car mon accent n’est pas brillant. Mais le courant passe, on rigole beaucoup et je passe un bon moment avec chaque personne qui vient à ma rencontre. Beaucoup de gens pensent que je suis ici pour faire du business, et quand je leur parle de mon projet, ils n’ont pas l’air de comprendre. A quoi ça sert concrètement de vouloir traverser l’Afrique ? Je leur réponds que sans cette idée un peu saugrenue, nous n’aurions pas passé ce bon moment et c’est à ce moment-là que certains saisissent la raison de ma venue. Mais en plus de ces rencontres inattendues, c’est la vie que je cherche à découvrir. La vie qu’on ne connait pas en Europe, la vie de la majorité du monde. J’ai appris plus que je n’imaginais avant de partir.
Je retourne, lorsque le soleil est couché, vers ma place. C’est alors qu’un petit homme, qui me lançait des regards du coin de l’œil depuis le départ, me demande dans un très bon anglais : « Tu as faim ? ». N’ayant avalé que quelques bananes et du pain égyptien au Kiri, je lui réponds par l’affirmative avec un grand enthousiasme. « Alors vient ! » me répond-t-il. Avec un jeune membre de sa famille, il m’offre le souper, fait de pain, de fromage au piment (ça arrache mais c’est pas mal), de concombre et d’œuf durs. Une valise nous sert de table et nos mains de couverts. Je commence à m’y habituer et je dois avouer que c’est même plutôt agréable. Lors du repas, mon hôte nommé Amir m’apprend qu’il est homme d’affaire et qu’il travaille actuellement entre Khartoum et le Caire. Il fait ce trajet toutes les deux semaines pour ses affaires. Je me dis alors que c’est plutôt agréable d’être pendulaire entre Neuchâtel et Lausanne, le voyage ne dur que trois heures, et non trois jours. Lorsque nous terminons, je leur offre le thé dans la cabine restaurant. Mais ce n’a pas été facile de les convaincre de me laisser payer. Je goute pour la première fois à la fameuse hospitalité soudanaise.
Lorsque je rejoins ma place, Claudio émerge de son long sommeil. Ce gars est assez fou. Il est parti de Milan pour la première fois de sa vie à 25 ans, et depuis, il passe une dizaine de mois à voyager chaque année. Ce qui fait beaucoup de mois si l’on pense qu’il a 54 ans maintenant. Il ne rentre que pour voir ses amis, et touche une pension depuis la mort de ses parents ce qui lui permet presque de voyager non-stop sans travailler. Curieux d’en apprendre plus, je lui demande où il est allé, ce à quoi il me répond : « Partout ! Sauf en Afrique, c’est la première fois que je mets les pieds ici. ». Il m’explique alors son plan de visite pour l’Afrique, qu’il a étalé sur deux ans, avec une petite coupure par l’Asie centrale. D’abord de l’Egypte à la Tanzanie, puis un cercle dans l’Afrique australe et pour finir du Maroc au Ghana par la côte est. Puis nous parlons de ses précédents voyages et effectivement il est allé partout et dans tous les sens. Il garde juste le Moyen-Orient pour ses vieux jours, « parce que c’est près de la maison, tu vois ? ». Et encore une anecdote sympa, il a prévu d’acheter un billet pour un match de la Coupe du Monde de foot en Russie. Non pas pour le foot, mais parce qu’en achetant un ticket, il reçoit avec un visa gratuit pour environ soixante jours ! C’est toujours bon de recevoir des petits conseils de baroudeur pour certaines choses.
Après cette conversation qui m’a fait voir le monde comme s’il était minuscule, je retourne sur le pont pour observer les étoiles. Il n’y a aucune lumière pour venir ternir leur beauté et c’est un des ciels les plus purs que j’ai vu de ma vie. La dernière fois que j’ai pu observer tant d’étoile, c’était à Madagascar. La seule différence entre ces deux ciels sont les astres qui s’y trouve. Ici, je peux observer le ciel qui m’est depuis toujours familier. Au lieu de la Croix du Sud, observée sur les collines malgaches, c’est la grande Ourse qui guidait les voyageurs ici. Je décide alors d’aller me coucher et le seul banc qui reste est forcément bien placé. Je dors sur cette banquette, à pas moins de deux mètres à côté du moteur principal. Les secousses et le bruit sont énormes, mais j’arrive à avoir quand même quatre petites heures de sommeil réparateur. Je me lève à quatre heure trente pour être sûr de ne pas rater le levé du soleil. Etonnement, beaucoup de passagers sont déjà sur le pont. C’est l’heure de la première prière de la journée et les croyants passent à tour de rôle sur les petits tapis prévu à cet effet. Je m’assois alors sur une caisse et observe le rituel, qui commence à m’être familier. Quelques minutes plus tard, j’entends une voix timide derrière moi qui me dit un petit « hello ». Lorsque je me retourne, je me retrouve nez-à-nez avec un géant. Cette ombre de facilement deux mètres de haut et plus de cent kilo me demande comment je vais et s’il peut s’assoir à côté de moi. La conversation s’engage alors et je découvre un jeune homme très sympathique qui s’en sort très bien en anglais. Il s’appelle Aiseed et vie à Khartoum. Lorsqu’on fait plus ample connaissance, il me demande ce que j’étudie et à ma réponse, ces yeux s’illuminent à la lueur du crépuscule. « Moi aussi j’étudie la science politique ! » me répond-t-il. On commence alors à parler de nos études, pour ensuite passer à l’islam, une fois encore. Il a pris le temps de m’expliquer chaque période de la journée, qui est définie par la course du soleil. Et chaque prière doit être faite durant une période définie. Ce petit cours est passionnant, surtout avec, en toile de fond, le soleil qui se prépare à venir nous rejoindre. Lorsqu’il arrive, notre conversation s’arrête pour observer. Quelques minutes plus tard nous échangeons nos Facebook et nous nous promettons de nous revoir à Khartoum. J’ai trouvé mon guide, et mon informateur politique de l’intérieur.
Quelques heures plus tard, nous apercevons le port de Wadi Halfa se rapprocher. Nous l’atteignons quelques minutes plus tard, on pense alors toucher au but. Mais c’était sans compter l’efficacité de l’équipage, qui nous a permis d’accoster une heure et demie plus tard. Ils ont vraiment essayé de mettre le bateau dans tous les sens, des deux côtés du ponton, mais rien à faire, impossible de faire en sorte que les gens puissent descendre. C’est alors à l’aide d’une barque, comme transition que les passagers peuvent commencer à sortir. Avec Claudio, on doit récupérer nos passeports et remplir les fiches de douanes. Huit pour être précis, en plus des quatre remplies avant notre départ d’Egypte. Toujours une mise en page différente, mais qui recueille les mêmes informations. Le tout en répondant à un questionnaire du militaire en charge de nous faire remplir ces fiches. Aucune de ses questions ne portaient sur ma venue au Soudan, mais plutôt sur mes connaissances concernant Roger Federer. Merci mon petit passeport rouge. J’ai aussi compris la technique, étant moi non plus pas très ordré, je réaliserai plusieurs versions de mes documents important et je les répartirai un peu partout, de manière à toujours en retrouver un. C’est un tout cas l’impression que ces questionnaires m’ont fait. À peine sortis du bateau, un militaire nous aborde : « Passeport s’il vous plait ! ». On croirait à une blague, mais non c’est très sérieux. Enfin libre, nous nous dirigeons vers la navette qui nous dépose dans le petit village de Wadi Halfa, devant une lokanda. C’est le nom des hôtels bons marchés au Soudan. Le vieux réceptionniste nous demande si nous voulons un lit, où une chambre. Nous lui répondons que ça nous est égal, mais le moins cher. Il nous amène ensuite dans la cours, sort deux vieux lits en métal d’une chambre et nous souhaite la bienvenue. Nous allons donc dormir dehors, dans la cour intérieure de l’hôtel. Moi ça me va, et pour un franc cinquante, je trouve que c’est très honnête.
Claudio et moi partons ensuite en quête d’un repas chaud. On nous conseille de gouter le « Foul », plat traditionnel du Soudan, qui est composé de haricots blancs et de pain. Étonnement, il ressemble à un plat que j’ai pu gouter au Liban. C’est bon mais c’est un vrai ciment pour l’estomac. La prochaine étape de notre arrivée au Soudan se fait au poste de police, car tous les étrangers doivent s’enregistrer pendant les premières 48 heures de leur présence sur le sol national. Comme si la douane n’était pas suffisante. Nous débarquons alors au poste, passeports et patience en main. Nous passons de bureau en bureau, de policiers nonchalants à chefs nonchalants. Une heure et demie et une belle taxe d’entrée plus tard, nous sommes libres de circuler où bon nous semble dans ce qui était le plus grand pays d’Afrique avant la sécession du Sud. Et ce durant 45 jours. Je n’ai pas prévu de rester si longtemps, mon attention se portant sur Khartoum et Port Soudan. Mais au moins j’ai le choix et le temps. De retour à l’hôtel au milieu de l’après-midi, je commence à sentir la courte nuit précédente et m’endors quelques heures sur mon petit lit, dans un coin d’ombre.
A mon réveil, il commence à faire sombre, mais je suis Claudio qui m’invite pour boire un thé dans le village. Nous nous arrêtons lorsque deux jeunes nous proposent de les rejoindre à leurs tables. On passe un très bon moment, en buvant un thé au sucre aromatisé au gingembre. Je suis conquis. Nos hôtes refusent que nous payions nos consommations et nous offrent toute les boissons de la soirée, plus une carte SIM soudanaise pour moi. Ces jeunes hommes font des pieds et des mains pour quitter leur pays. Partout est intéressant à condition de quitter leur impasse d’origine. Même avec un bon poste, ils ne vivent pas comme ils le voudraient. Au point où un des deux finisse par sortir une feuille, qui est en fait un « ticket de loterie » pour l’obtention de la nationalité américaine. Ce pays le fait rêver, malgré les grands différents avec son gouvernement s’origine. Mais comme beaucoup de gens dans le monde, c’est le rêve de pouvoir l’atteindre. Après un échange des numéros de téléphone, nous prenons le chemin de notre hôtel jusqu’à ce qu’à mi-chemin, j’entende un « Tzhibo, Tzhibo ! ». Je me retourne interloqué jusqu’à apercevoir Amir, l’homme qui m’avait partagé son repas sur le bateau. Il nous invite alors pour un autre thé, ce que nous ne pouvons refuser. La conversation est alors plus profonde que la première, car les formalités sont derrière nous. J’apprends alors qu’Amir a habité 6 ans au Brésil et qu’il a visité quelques pays d’Europe. Il est aussi chrétien copte, ce qui n’est pas courant au Soudan et assez discriminé par le gouvernement. Je passe à nouveau un très bon moment. Encore une fois, il refuse que nous lui offrions le thé. A croire que l’hospitalité est inscrite dans le code génétique des gens ici. Nous nous quittons alors, lui part à Khartoum le lendemain matin, alors que je compte rester un jour de plus ici, le temps de récupérer un peu et de prendre la température de l’endroit. Il me donne aussi son numéro de téléphone et me fait promettre de l’appeler si j’ai une question, un coup dur ou juste pour prendre des nouvelles. Ce que je n’hésiterai pas à faire évidemment.
Je vais alors me coucher sur mon lit à ciel ouvert. La nuit sombre a rafraichi l’atmosphère qui est alors très agréable. J’essaye de repenser à tous les visages, toutes les discussions et tous les sourires que j’ai pu rencontrer depuis hier. Je me sens bien ici, entouré de personnes incroyable et de la chance d’avoir pu les rencontrer. Je sens que je m’approche de l’Afrique que j’ai connu, lors de mes premiers voyages sur ce continent. Ceux qui m’ont donné envie de revenir et d’apprendre tout ce que je pouvais, de voir et de rencontrer les gens qui peuplent ce continent. Je m’endors, les yeux perdus dans les étoiles qui sont juste au-dessus de moi, a portée de main. Et au creux de l’oreille, Paul Simon me chuchote sa magnifique chanson « Under African Skies », qui sera sûrement l’hymne de cette année, sous le ciel africain.
Comme promis, le couché du soleil: