Galerie Egypte

Le Caire:

Première rencontre avec le Nil
Le vieux Caire islamique, Khan al-Khalili
La mosquée de Muhammad
Pyramides de Gizeh
Les dervish tourneurs
Transport au Caire et la deux-chevaux
Dans la mosquée al-Azhar
Ambiance du Caire

Le musée égyptien:

Un pharaon noir

Le marché et les artisans :

Quelques épices colorées
Le sculpteur d’ivoire, armé de sa fraiseuse à dent
L’ivoire blanc du marché noir
Le fabricant de lampe
Le tisserand et ses fils d’or
Boites, backgammons et coquillages

Balade au bord du Nil:

Au bord de l’île
Maison en bois et tours
La raison de la ville
Un pont majestueusement gardé
Khan al-Khalili
Le cimetière islamique du Caire
Taufik, Muhammad et moi, à l’endroit de notre rencontre
Ha oui, j’ai trouvé ma moto aussi

Départ pour Louxor :

Arrivé du train interdit. (Petite précision il est encore en marche!)
Depuis le train, aperçu de 3 religions du pays: la mosquée, l’église et les télécommunications
Des couleurs millénaires dans le temple du dieu du soleil
La vallée du Nil depuis le temple d’Hatchepsout
Allégorie de l’économie touristique égyptienne qui prend l’eau
Chill au bord du Nil

Assouan et la Nubie:

Plutôt impressionnant
Graffiti chrétien dans le temple sauvé de Philae
Vue du temple de Philae sur l’ancien lac d’Assouan

Voilà la galerie d’Égypte les amis. Je la poste depuis Nairobi et la fraîcheur du Kenya. J’ai aussi complètement changé de monde, passant du monde musulman au monde chrétien. Promis les récits du Soudan sont en cours et vous aurez pleins d’histoires et un petit aperçu de l’hospitalité dont j’ai été témoin.

À bientôt

Un joli point final

Malgré les galères du début, je termine mon séjour à Assouan et en Egypte sur une très bonne note. Elle efface en partie le harcèlement dans la rue et le statut de touriste qui m’a tant pesé. J’ai rencontré cet après-midi, en revenant de guichet où je me suis procuré mon billet de bateau pour le Soudan, un jeune gars très gentil nommé Mustafa. Lui aussi m’a abordé dans la rue, mais ce qu’il dégageait était différent des arnaqueurs professionnels qui sévissent dans la région. Apres les deux traditionnelles question, l’origine et le nom, il m’a invité à boire un thé dans son magasin de téléphone. Il m’a appris qu’un de ces oncles habitait depuis deux ans en suisse, dans pouvoir me dire l’endroit. Mais il parle allemand, là-bas, alors tout est excusé. Il s’en sort très bien en anglais et notre conversation est très intéressante. On parle,comme souvent ici, de la crise, mais aussi de sa famille, de ses activités et de musique. C’est une des premières fois que je peux parler de musique avec quelqu’un. J’apprends aussi à ce moment là que, même ici, Bob Marley est un symbole et est très apprécié. Il aime le reggae et la musique égyptienne, et ne fait donc découvrir le mariage des deux. Les Wailers ont accompagné le grand Mounir, roi de la musique égyptienne, le temps d’une session. Et le résultat est plus qu’intéressant! Je découvre un ovni musical dans un pays où le coran est chanté sur toutes les radios. (Si vous êtes intéressé par cet ovni, cliquez sur cette phrase !)

Lorsque je lui demande où je peux trouver un wifi correct, celui de mon hôtel n’est plus opérationnel depuis deux jours, il m’invite à utiliser celui de son shop. Je cours chercher mon ordi pour mettre à disposition mes deux nouveaux textes à ma correctrice. Apres quelques minutes lorsque j’ai tout terminé il m’invite à partager le repas avec son oncle et un ami nubien. On mange dans la bonne humeur sur un tapis à même le sol de son établissement. Il m’offre aussi du thé et du café, bien plus que ce que j’avais besoin. Lui et sa famille ont le coeur sur la main. On parle aussi d’islam, c’est un sujet que j’adore aborder ici. Apres quelques minutes de discussion, je sors mon coran, reçu au Caire de la main de Muhammad. Je crois que je lui ai fait grande impression à ce moment-là. Et à son oncle aussi. Ils sont très touchés que je m’intéresse à leur religion mais surtout que j’essaie de passer par dessus l’image parfois envoyée par les médias. Le muezzin commence alors à chanter et il arrête instantanément la musique du shop. Ce moment est privilégié et réservé aux croyants. Quelques paroles et éclats de rires plus tard, je lui dis que je dois m’absenter pour aller préparer mon sac et une réserve de vivres pour traverser le lendemain un des plus grands lacs artificiels du monde. Mais j’ai son numéro et je le retrouve plus tard pour partager un thé. Je découvre enfin l’autre face du quartier que j’ai traversé des dizaines de fois, le pas pressé par mes obligations. Tout compte fait, il très agréable et cela me réconcilie avec cet endroit. Il m’apprend aussi qu’il a des amis au Cap, et quelques contacts sont toujours bon à prendre ! Je regrette de ne pas avoir fait cette rencontre plus tôt, mais j’en ai fait bien d’autres ici. La première est l’administration que je ne risque pas d’oublier. Ensuite d’autres voyageurs comme Yuki ou encore le couple d’espagnols pressé. En tout cas, ma chance continue à jouer son rôle et je termine ce séjour en Egypte sur un très beau point final.

Les galères d’Assouan

Je suis maintenant à Assouan depuis quelques jours et je savais à mon départ de Louxor que j’avais beaucoup de choses à faire pour avoir une chance de réaliser mon nouveau plan : entrer au Soudan. Après quelques recherches et l’annulation, enfin plutôt le report, de mon passage en Ethiopie, je me suis mis en tête d’aller passer quelques jours à Karthoum. C’est aussi le seul moyen que j’ai pour ne pas revenir sur mes pas et me rapprocher du Kenya. J’ai aussi appris par mes amis Cairotes que le meilleur endroit pour obtenir un visa pour ce pays était Assouan. Toutefois, la procédure devrait prendre quelques jours. Pour avoir une chance d’avancer, je devais trouver les 50 dollars nécessaires pour l’obtention du visa le soir même de mon arrivée. Et vraiment, trouver des devises étrangères dans un pays où aucune banque et aucun bureau de change n’en délivrent, c’est pire que chercher une aiguille dans une botte de foin. 


J’ai donc dû me tourner vers la rue, et le marché noir. Beaucoup de personnes y propose du change pour acquérir ce genre de devises à un taux très préférentiel. Mais les lois du marché s’appliquent aussi à la rue et lorsque on tente soi-même de s’en procurer les prix explosent. J’ai rapidement trouvé quelqu’un, mais étonnement le prix qu’il m’a annoncé au début à vite été revu à la hausse lors de la transaction. A bout de force et de patience, j’ai accepté de perdre un peu d’argent, car le visa du lendemain était vraiment ma priorité. Après une courte nuit de sommeil, sur un oreiller rembourré avec du gravier et une douche qui n’a pas été lavée depuis Nasser, je me rends au Consulat du Soudan d’Assouan. Un nom très officiel pour quelque chose qui ne l’est pas tant. J’arrive à l’ouverture et attends une bonne demi-heure avant que quelqu’un veuille bien s’intéresser à moi. Pourtant, je dénote pas mal avec les autres prétendant au visa. On me donne alors un formulaire, mi-arabe, mi-anglais, que je remplis consciencieusement avec un japonais qui est arrivé entre temps. J’avais aussi préparé tous les documents demandés : Une copie de mon passeport, deux photos d’identité et les fameux 50 dollars. On passe ensuite de bureau en bureau, car même les employés ne semblent pas savoir où se trouvent les divers départements. Après avoir payé, le japonais et moi remettons notre passeport à une femme qui, sans lever la tête, nous demande de revenir le lundi suivant (Petite précision, l’histoire se passe un mardi). Mon ami Yuki, avec qui j’ai eu l’occasion de faire connaissance lors de nos multiples attentes, insiste pour l’avoir plus tôt, car il n’a prévu que deux mois pour se rendre en Afrique du Sud. Après un soupir plus puissant que le souffle du ventilateur, la femme nous dit alors de revenir jeudi à midi. Parfait, Yuki peut tenir ses délais et moi éviter de passer une semaine de plus à Assouan, car le ferry qui m’amènera de l’autre côté du lac Nasser part une fois par semaine, le dimanche soir. Nous faisons encore plus ample connaissance sur le chemin du retour et j’apprends à ce moment-là qu’il voyage depuis plus de deux ans et qu’il a passé deux nuits en Suisse. Il m’a fallu un grand effort pour comprendre, malgré sa prononciation un peu aléatoire, qu’il était allé à Grindelwald et Interlaken. Je sais ne pas si je comprends mieux le suisse allemand, ou l’accent japonais qui prononce des noms pareils. 


Je pense alors que le pire est passé, et je profite de passer un peu de temps avec un couple d’espagnols que j’ai rencontré à Louxor. Ils sont vraiment sympathiques et s’envolent le lendemain pour la mer rouge. Après une pizza arabe, qui est en fait un hybride entre une quiche et une pizza, je m’endors sereinement en me disant que je chercherai un hôtel plus sympa le lendemain. J’en trouve un rapidement, moins cher et placé, au milieu du souk d’Assouan. Dès que j’y ai pris mes quartiers, je me renseigne sur ce que j’aurai besoin à mon arrivée au Soudan. J’ai entendu une légende qui disait que les moyens de payement internationaux, comme ma carte visa, n’étaient acceptés nulle part dans le pays. Et cette légende s’avère être, malheureusement, vraie. Je me retrouve dans une situation presque analogue à celle de mon arrivée. Il me faut des dollars. Je pars alors dans cette mission impossible et vérifie dans les bureaux de change s’il y en a pas un qui peut me sauver. Toutes les réponses sont négatives sauf un, qui me dit pouvoir me changer mon argent. Je cours alors retirer un petit pactole. En revenant dans son bureau, me voyant sortir mes livres égyptiennes, il rigole et me réplique que j’ai mal compris. Qu’il pensait que je voulais des livres égyptiennes. Je ne suis pas de nature violente, mais si à ce moment-là j’avais pu lui faire bouffer sa caisse vide, je l’aurais fait. A cause de cet abruti qui voulait surement se payer la tête d’un touriste, je me retrouve avec une énorme somme d’argent sur moi, aucun moyen pour la changer décemment et le tout ponctué d’un petit gout amer dans la bouche. Je décide alors de jouer ma dernière carte « bureau de change » et me rendre à l’aéroport. Lors des trois checkpoints militaires qui se trouvent sur notre route, l’excuse : mon visa est à l’ambassade du Soudan, ne semble pas être suffisante. Il me faut donc parlementer avec des militaires et leur montrer une photo de mon passeport pour pouvoir avancer jusqu’au dernier checkpoint. Et pour s’approcher d’un aéroport ici, il faut une raison. J’improvise donc, surement très écarlate, que je vais accueillir des amis qui arrivent du Caire. Etant suspect, car sans document d’identité, le conducteur du taxi reçoit comme ordre de ne pas me quitter d’une semelle. Je touche enfin au but, et tombe de très haut lorsque j’apprends qu’il est impossible de pénétrer dans l’enceinte, si ce n’est pour prendre un vol. Dépité et sans grande conviction, je mime un téléphone en français ou j’apprends que mes amis ont ratés leur vol et rentre direction la ville. Ma dernière chance de me procurer des billets verts est alors un transfert d’argent, mais je ne suis même pas sûr de pouvoir les retirer en dollars. 


C’est là qu’entre en jeu mon backoffice, qui une fois de plus s’appelle Alexandra. J’ai beaucoup de chance d’être si bien entouré et accompagné. Et si ce n’était pas Alex, mes parents auraient aussi fait tous ce qu’il est en leur pouvoir pour me tirer de cette impasse, autant matérielle qu’émotionnelle. Il est tard et tout est fermé, la partie reprendra demain à l’ouverture d’un ring qui se nomme « banque du Caire ». 


J’arrive à l’ouverture pour m’assurer d’une information : celle de la possibilité de retirer des dollars si c’est ce qui est envoyé via un western union. Ce que la dame du guichet me confirme. La situation n’est pas aussi difficile qu’elle en avait l’air hier soir. Je me rends alors à la Banque Nationale car ce sont les seules de cette ville qui peuvent être capable de changer en livres soudanaise ma masse de monnaie retirée le jour précédant. Je ne reste ici que deux jours, et je n’en aurais plus l’utilité. Je dois vraiment m’en débarrasser. Si possible sans être obligé de dépenser la moitié dans une fondue à l’hôtel Mövenpick, qui trône sur l’île des Eléphants, même si l’idée peut être tentante. Mais la centaine de personnes qui attend déjà me fait rebrousser chemin. Lorsque je reçois le message libérateur de ma chérie qui me dit avoir transmis l’argent, je retourne à mon point de départ et attend mon tour. L’employé du guichet qui me sert me réplique alors que cette banque ne fait pas de transfert. J’insiste car sa voisine directe m’a confirmé l’inverse quelques minutes plus tôt. Il m’amène alors vers un de ses supérieurs qui, après avoir fait semblant de regarder dans un fichier, m’assure qu’aucun transfert n’est à mon nom et m’indique la banque d’à côté qui elle pourra m’aider. Mes nerfs commencent un peu à chauffer lorsque je lui dis que je n’irai pas à la banque d’à côté, même si elle se nomme Alexandria Bank, un nom qui fait du sens à ce moment-là. Je refuse car je sais que la Banque du Caire est la seule qui délivre des dollars lors d’un transfert. Me voyant déterminé et renseigné, il abandonne l’idée de garder ces petits dollars et m’emmène vers un autre homme, qui lui m’indique la direction du sous-sol du bâtiment. Je suis pris en charge par une femme, qui me renvoie ensuite vers un jeune gars, tout-à-fait incompétent, car il a dû demander de l’aide à 3 de ces collègues pour réaliser la transaction. J’ai tout le temps d’observer les baffons de cet établissement durant la demi-heure d’attente qui m’est alors imposée. Le sous-sol est composé de 4 salles : 3 sont utilisées pour entreposer du matériel de bureau cassé et une pour les ordinateurs et les employés. Huit ordinateurs, leurs propriétaires et leurs clients s’entassent dans ce minuscule espace. Les ventilateurs vacillants du plafond brassent de l’air chaud et dépourvus d’oxigène. Après cette demie heure, je reçois une feuille qui me permet de retirer mon dû au guichet. Lorsque je pense être au bout de mes peines je m’aperçois que la file me précédant est longue de plus de trente personnes, ce qui fait beaucoup pour les trois pauvres guichets ouverts. Il n’y aurait pas eu de problème si à midi, je ne devais pas aller chercher mon passeport à l’ambassade. Il est dix heures trente à ce moment-là et je prie pour que le rythme egyptien soit suffisant pour me permettre d’arriver à l’heure. Après quarante minutes de tapotement nerveux de mon pied, j’accède enfin au sésame. Tout ça pour quelques billets verts. 


Je saute alors dans un taxi, n’ayant pas le temps d’aller mettre cet argent à l’hôtel. En arrivant à l’ambassade, je suis accueilli par la même secrétaire que la fois précédente. Lorsqu’elle m’entend arriver, elle me dit de repasser dimanche, sans même lever les yeux. À bout de nerf, de souffle et de patience, je lui rétorque que je ne peux pas, car mon bateau quitte Assouan dimanche et que j’ai besoin de ce visa pour me procurer un ticket. Elle sort alors mon passeport du même tiroir où elle l’avait déposé et me demande d’aller attendre dans la salle prévue à cet effet. Je remarque que mon passeport n’a absolument pas bougé depuis mon premier passage. Entre temps Yuki arrive et a le même accueil. Vingt petites minutes plus tard, elle nous rend nos passeports contenant le fameux visa. Elle qui nous avait assurer devoir les envoyer au Caire, le chemin a été très rapide, pour une fois. Lorsque j’arrive enfin à l’hôtel, je n’ai même pas le temps de jubiler. Je tombe sur mon lit, puis dans les bras de Morphée, mes deux missions impossibles accomplies.


J’ai vécu ces derniers jours une expérience très forte, celle d’avoir un objectif, de tout mettre en œuvre pour l’atteindre et me heurter à une série de murs. Je n’ai pu m’empêcher de faire un parallèle avec des gens de cette région, qui vouent leurs vies à tenter de rejoindre l’Europe dans la but d’améliorer la leur et celle de leur descendance. Pourtant le visa m’a été donné facilement. Eux doivent sûrement se battre des années pour espérer en obtenir un. Ensuite, j’ai eu la chance d’avoir des gens derrière moi pour me procurer des devises étrangères. Mais je pense que beaucoup de personnes doivent se débrouiller avec le marché noir, à grande perte. Ces livres gagnées à la sueur de leurs fronts vont enrichir les trafiquants de la rue. Et je n’ai pas vécu une partie qui doit être aussi très difficile, celle de l’intégration et du travail dans un pays étranger. Si toutes ces conditions ne sont pas remplies, il y a aussi les moyens alternatifs, et les risques qui vont avec. Je n’imagine pas ce que peuvent ressentir les gens qui risquent leurs vies pour tenter de se rendre en Europe par tous les moyens, bravant le désert ou la guerre pour finir au fond de la mer, dans des camps, ou des abris souterrains. Il y a aussi la possibilité d’être renvoyé dans leurs pays d’origine, par le premier vol possible, car ils ne sont pas là légalement. Je n’ai vécu qu’une infime partie de ce genre de choses et ce n’est pas une situation et un sentiment que je recommande. Je comprends maintenant la phrase du jeune gars qui travaillait à mon hôtel de Caire. Lorsque je lui ai demandé pourquoi il voulait quitter l’Egypte, il m’a répondu qu’il voulait vivre dans un endroit où il se sentirait respecté. Cette phrase est maintenant, pour moi, pleine de sens, et je pense le sentiment de beaucoup de personnes dans le monde.

See you on the rooftop !

La deuxième étape de mon voyage en terre africaine m’a fait m’arrêter à Louxor, anciennement Thebes, lorsque l’histoire habillait les bâtiments d’or. L’hôtel que j’avais réservé m’avait, dans un premier temps, laissé perplexe par son nom. Mais j’ai bien fait de ne pas suivre mon instinct, le « Bob Marley Peace Boomerang Hotel » étant un endroit génial. Pour oublier le harcèlement constant de la rue, rien de tel qu’une petite bière à la fin de la journée à faire les rencontres qu’elle ne nous offre pas. Comme je devais m’y attendre, cet endroit est un repaire de backpacker, dont les chemins se croisent le temps d’une ou deux soirées. Première observation, il y a une grande différence culturelle entre les asiatiques, qui préfèrent rester dans leurs coins profitant du wifi, et les occidentaux qui partagent plus de temps ensemble. C’est ainsi que je me suis retrouvé entre un vieil allemand égyptologue, un couple d’espagnols survoltés, un allemand blasé et un hollandais discret. Chacun racontent des anecdotes et histoires de leurs multiples voyages. J’écoute avec attention celles de David, le hollandais, arrivant d’Afrique du Sud. Et il a de bons filons, qu’il a pu me donner les jours suivants. J’apprends aussi par ce biais que mon itinéraire n’est pas très original et que de nombreuses personnes l’ont emprunté avant moi. Ce n’est pas forcément le type de rencontre auquelles je m’attendais, mais elles sont tout aussi agréables que les autres. Et tout aussi éphémères. Ces personnes ont beaucoup de choses à m’apprendre. Malgré la brièveté des rencontres, elles sont fortes et permette aussi de faire grossir mon carnet d’adresse, si mon chemin passe un jour par celui où sont basés ces électrons libres périodiques. Et qui sait? Peut-être vais-je les retrouvé durant d’autres étapes de mon périple. Je repars d’ailleurs en direction d’Assouan avec le couple d’espagnols.

Mon séjour c’est malgré tout terminé sur une très triste nouvelle. Un ami à moi, lui aussi voyageur a continué son chemin hors de notre petite terre. Un accident de scooter à Bali l’y a contraint. Je pense fort à toi Louis, on se retrouvera dans quelques années.

« Avant la révolution, on vivait comme des rois »

Avant de pouvoir aller manger avec Muhammad, il fallait bien que j’occupe ma journée. Mon attention s’est portée sur les pyramides de Gizeh. On m’avait prévenu que cette expédition serait très impressionnante mais aussi très difficile nerveusement. Je le remarque à peine sorti du taxi, lorsqu’un homme m’approche. Il me dit que je ne vais pas dans la bonne direction, contrairement à ce que m’avait indiqué le taxi. Étonné, je l’écoute. Je comprends toutefois rapidement l’arnaque lorsqu’il m’assure qu’il est interdit d’entrer sur le site si l’on n’est pas sur un chameau. Bien essayé, mais c’était un peu gros. Un autre, quelques mètres plus loin, me fait monter de force dans sa calèche alors que je suis très fortement allergique aux chevaux. A l’entrée, un petit gars me dit de ne pas écouter ces gens, mais que si je veux un chameau il me le fera à bon prix. Alors que je souhaite simplement explorer le lieu en solitaire, je me fais harceler à chaque instant. Mais non, il a fallu se battre pendant plus de trois heures. J’ai quand même trouvé un jeune guide plutôt sympa qui m’a accompagné dans le désert, car sans guide cette zone est vraiment interdite. N’ayant pas prévu assez d’argent, je ne suis entré dans aucun des monuments principaux, car le prix officiel est mirobolant. Mais lorsque j’allais m’en aller, un vieux guide m’aborde et me propose de me montrer quelques tombes annexes. Comme je n’ai pas encore eu l’occasion d’en visiter, j’accepte son offre. C’est ainsi que je découvre un petit trafic entre les gardes et les guides. Un des gardes nous ouvre ce que l’on lui demande, en échange d’un bakchich. C’est comme ça que j’ai pu aller voir des tunnels menant aux pyramides et m’asseoir dans un sarcophage de pierre, vidé par les pillards ou les scientifiques. Certains endroits étaient très impressionnants, mais complétement nus, car tous les objets et fresques retrouvés ont été envoyé au musée égyptien du Caire. Certaines pièces avaient une ambiance très spéciale, dommage que le harcèlement constant vienne plomber la magie de la découverte de ces lieux. Lorsque j’apprends au guide qu’il ne me reste que peu d’argent, il se met en tête de me trouver un taxi très bon marché pour augmenter son propre gain. Parfait, je suis gagnant, car après la bataille des chameaux, je n’aurais pas supporté une bataille de taxi. Arrivé à l’hôtel, je remarque que le soleil était plus fort que j’avais imaginé et je m’endors sans rien voir venir.

Je me réveille juste pour mon rendez-vous. Je prépare mes affaires et sur le chemin, je reprends de l’argent pour acheter un snack libérateur. Je n’avais même plus assez d’argent pour manger après les pyramides. Sur le chemin, je reprends mes esprits. J’arrive pile à l’heure et inévitablement, Muhammad me compare à une montre suisse. Il me présente alors son ami le plus proche : Taufik. Les deux forment la paire depuis plus de 25 ans. Ils ont tout fait ensemble et tout fait ici, dans le vieux Caire islamique. Muhammad me propose alors d’aller voir une représentation de danse « traditionnelle » : une troupe de Dervish Tourneurs sont en ce moment au Caire. J’ai mis traditionnel entre guillemet car c’est une danse traditionnelle Suffi, plutôt originaire de Turquie et très implantée dans les Balkans. J’accepte avec plaisir, car j’ai souvent entendu du bien de ces danseurs. Le spectacle est impressionnant, surtout un danseur qui a tourné sur lui-même pendant 30 minutes, sans une seule pause. La musique est aussi très intéressante, parfois folle et entrainantes, menée par une dizaine de tambours, parfois calme et mélancolique, avec beaucoup de place pour les flûtes et des instruments dont l’aspect et le son est très proche des bombardes bretonnes. C’est une belle découverte. Lorsque je sors, Muhammad et Taufik m’attendent avec le repas que nous allons nous partager dans un petit troquet du quartier.

Muhammad est un petit homme, avec la peau foncée mais un regard clair et pétillant. Il est de morphologie assez ronde, accentuée par ses cheveux très courts, à même le crâne. Il a aussi un petit tic, il fait souvent balancer sa tête de gauche à droite, ce qui dans sa bande de pote, lui vaut le surnom de « nuque » en arabe. Il se tient en permanence sur une barrière devant la mosquée Al-Azhar, et fume le narghilé, en attendant de potentiels clients ou des gens à aider. Taufik lui, est à l’image des multiples excès de sa jeunesse. Bien qu’un peu plus grand que son ami, son ventre le rend très imposant. Il a les yeux un peu tirés et un visage étonnement fin. Il est très jovial et sympathique. Une des premières choses qu’il me dit est qu’il connait tout le monde au Caire, ainsi que la moitié du monde. Je me sens incroyablement bien avec eux. Je peux aller partout, et lorsque les passants me voient en leur compagnie, ils leur transmettent des messages pour moi, viennent me serrer la main et à la fin de mon séjour, me reconnaissent. Tous les soirs de mon séjour, je suis allé les retrouver pour manger et passer des bons moments avec eux. Et je suis libre de poser toutes les questions qui m’intéressent. Lorsque j’évoque la révolution de 2011, leurs visages se ferment. Cet événement marque la fin de leur âge d’or. Depuis ce moment-là, les touristes sont rares, ce qui est très dur pour les gens qui en dépendent, c’est-à-dire un tiers de la population égyptienne. L’économie du pays est en crise constante depuis cela. Le coût de la vie augmente tandis que les salaires stagnent ou baissent dans certains secteurs. Le coup d’état militaire survenu après n’a pas aidé le pays à se relever, au contraire. Lorsque je leur demande quelles sont leurs affiliations politiques, Taufik me dit qu’il rêverait du retour de Moubarak. Toutefois, il ne le dit pas car il aimait particulièrement ce président, mais parce que sous son règne, l’Egypte a connu une période « d’abondance » qui lui permettait de bien vivre sans soucis. Muhammad est plus réfléchi et ne prend pas l’ancien président comme symbole de prospérité. Il me répond qu’il s’en fout, mais qu’il attend quelqu’un qui puisse remettre l’économie du pays sur de bons rails. Nous dérivons ensuite sur le sujet de la religion et de l’Etat. Il me dit aussi qu’il est favorable à une séparation entre religion et Etat. Il ne soutient pas spécialement les Frères Musulmans, sauf s’ils sont capables de faire vivre le peuple décemment. C’est un point de vue simple, mais qui se tient et qui doit être tout à fait majoritaire dans le monde. Je me rends compte aussi que les préoccupations gauche-droite et la politisation à outrance, de tout et n’importe quoi, est vraiment un problème de Suisse. Dans un pays où l’unique vote effectué est celui pour un président, et que si le résultat ne convient pas aux familles importantes, le dirigeant est changé par la force où la manipulation politique, il est impossible d’imaginer qu’un système de démocratie directe soit possible. Ainsi qu’impossible de penser voter sur des sujets, parfois de moindre importance. D’ailleurs j’ai essayé d’expliquer les bases de l’initiative populaire et du référendum à mes amis, mais j’ai vite laissé tomber. De toute manière, comment avoir foi en la politique lorsqu’on appelle son pays « royaume de la corruption », comme le fait Muhammad ?

Lorsque je demande à Muhammad pourquoi lui et beaucoup de gens au centre-ville proposent de changer de l’argent à un taux très supérieur à celui d’une banque, il rigole. Il me rétorque ensuite que la crise qui a lieu en Egypte fait chuter le cours de la livre locale, et que s’il veut économiser, il a tout intérêt à le faire avec des monnaies stables, donc étrangères. Les dollars, les euros et même les francs suisses s’arrachent ici. Les quelques euros qu’il m’a changés serviront à payer les scolarités privées de ces enfants, car l’école publique ne vaut rien selon lui. Lui et Taufik se démènent actuellement pour offrir un bel avenir à leurs enfants, et cela se ressent lorsqu’ils parlent du futur. Dans leur discours, la plupart de leur vie est derrière eux, alors que leur descendance devra composer dans un monde qui s’annonce difficile. Quand ils parlent du passé ils ont des étoiles pleins les yeux, surtout Taufik. Il parait qu’il était très facile de faire de l’argent, surtout dans les années 90, lorsqu’il a quitté l’école pour faire du business. « I made hell of money ! » me dit-il avec son faux accent américain. Si les histoires qu’il me raconte son vraies, il a dû crouler sous les dollars. Lorsque je leur demande pourquoi ils n’avaient pas épargné à ce moment-là, ils me répondent qu’une potentielle crise économique ne leur était jamais passé par la tête, mais qu’ils le regrettent beaucoup aujourd’hui.

Toutes ces histoires je les écoute chaque soir, autour de plats incroyables et plus que copieux. Nous n’avons réussi à finir ce que nous avions commandés qu’une seule fois. Et ce qu’il reste des repas sont toujours récupérés et donnés à de pauvres gens dans la rue, en accord avec un principe de l’Islam J’ai mangé avec eux du poisson frais directement achetés et préparés au marché, du poulet à la syrienne, du poulet grillé succulent (bien que sûrement transgénique) et une des grillades de bœuf les plus tendre de ma vie. Le tout toujours accompagné de salade et de plats régionaux. J’ai d’ailleurs eu un gros coup de cœur pour les asperges à la tomate et une préparation à base d’épinard. Ces soirées sont vraiment un moment de partage et d’amitié. Taufik me fait profiter de son réseau et m’emmène visiter des lieux qui me seraient restés inconnus sans lui. Il me montre le marché aux épices sous la mosquée où Muhammad m’avait emmené lors de notre rencontre. Il me fait faire le tour des tisserands, des fabricants de lampes et de boites précieuses, des joailliers et des sculpteurs d’ivoire, ébène ou corne de bovins. Je suis vraiment émerveillé de les voir à l’œuvre. Mon attention reste crochée sur les sculpteurs et lorsque je demande à mon ami d’où provient leurs matériaux, il me répond simplement « d’Afrique ». J’insiste en haussant les sourcils : « Le marché noir ? ». « Bien sûr » me répond-il sans scrupules apparentes. « Il faut bien faire du business » me dit-il ensuite. Je sais maintenant où peut se retrouver le fruit du braconnage, et à quel point certaines personnes en dépendent. L’endroit où nous allons tous les soirs boire le dernier thé, et Muhammad fumer le narghilé, est une ruine très accueillante. Son tenancier est un vieille homme nommé Ali, qui a été victime d’un AVC. Il a la moitié du visage paralysée et des problèmes à s’exprimer. Mais il a l’air de beaucoup m’aimer si bien qu’il mobilise toutes ses notions d’anglais pour tenter de discuter avec moi. C’est un brave homme, malade et âgé, qui travaille toujours pour survivre. Ses thés sont aussi bons que sucrés. Je trouve cet homme admirable, comme beaucoup de gens ici.

C’est vraiment dur de quitter ces personnes qui m’ont accueilli à bras ouverts, et qui sont devenus mes amis. Mais avant de se dire au revoir, ils m’ont appris un proverbe d’ici : « Lorsque l’on a gouté à l’eau du Nil, on est obligé de venir la boire une seconde fois ». J’avais fait très attention à ne pas boire ce qu’ils appellent l’eau du Nil, mais le dernier soir, j’ai pris la bouteille de Sprite qui était sur la table et j’ai bu une grande gorgée. Et ce n’était pas du Sprite. Je vais devoir revenir. Ils m’ont dit de prendre avec moi ma femme et mes enfants, lors de ma prochaine visite, ce que je compte bien faire, même si pour les enfants ce sera un peu tôt. Mais j’ai vraiment envie qu’Alexandra, ainsi que mes proches qui visiteront l’Egypte puisse les rencontrer. Après avoir échanger nos adresses et les dernières informations, j’ai pris la direction de l’hôtel la tête basse et les yeux mouillés, dans une rue trop agitée pour mon état d’esprit du moment. Je dois régler les derniers problèmes de mon casse-tête avec les trains égyptiens pour partir le lendemain direction le Sud, Luxor. La première étape de mon voyage en solitaire est déjà derrière moi.

(J’ai écrit ce petit texte dans le train pour Luxor. Ce train est interdit aux étrangers et j’ai passé plus de quatre heures de ma dernière journée au Caire pour trouver un billet. Impossible. Le seul train pour Luxor que je suis autorisé à prendre est le train couchette « Super Deluxe Nefertiti Express » J’ai alors décidé de prendre un des trains interdit à mes risques et périls et d’acheter mon billet à l’intérieur. Vous savez le comble de l’histoire ? Ce sont des policiers qui m’ont amené sur le quai pour être sûr que je puisse arriver à bon port. Ce pays marche sur la tête.)

 

 

 

La mosquée Al-Azhar porte bien son nom

J’y suis. Au Caire, le début du voyage, l’aventure en solitaire. Je n’en prends réellement conscience que maintenant, alors que je me promène au bord du Nil. Il coule et fait vivre, majestueux, depuis des millénaires. Son eau, brunâtre, part de très loin. Je le sais car il y a bientôt 10 ans, je jouais avec le petit filet d’eau qui coulait d’un minuscule tube au Burundi. Je ne suis pas sûr que le petit barrage que j’avais confectionné dans les collines d’Afrique centrale ait eu un impact sur ce géant. Toutefois, beaucoup d’endroit se vante d’abriter la source de ce grand fleuve. Le limon de cette eau sombre fait me fait penser à une phrase de Cendrars, dans la prose du transsibérien: « Et les eaux limoneuses de l’Amour charriaient des millions de charognes ». Le Nil ne doit pas être tout blanc, ni tout bleu d’ailleurs. En parlant de Nil bleu, je dois avouer que je suis très triste, car l’Éthiopie et ces trésors sont entrain de me fermer leurs portes. L’état d’urgence est déclaré, c’est la guerre entre le peuple et ces dirigeants. Peut-être devrais-je annuler ma visite là-bas. À voir comment les choses évoluent.

Mon arrivée ici n’as pas été des plus faciles, mais je dois avouer que je me suis compliqué les choses. Tel un grand voyageur autonome, j’avais comme projet de prendre une navette pour la place Tahrir, à mon arrivée à l’aéroport du Caire. J’ai juste négligé une chose : absolument tout est écrit en arabe. Ce que je n’avais absolument pas imaginé. Au Liban il y avait beaucoup de français et en Turquie je pouvais au moins déchiffrer les mots. Ici, impossible. Je ne savais même pas quelle ligne je devais prendre pour arriver à destination. Je suis resté une quarantaine de minutes à l’arrêt de bus, n’attendant pas de navette, mais un miracle. J’ai donc décidé de chercher un café muni d’un wifi dans l’aéroport, mais à nouveau, ca ne s’est pas passé comme prévu. L’entrée du terminal est réservée aux passagers, de manière à réduire les risques d’attentat. Encore un truc impensable pour un occidental. Mais je commence à m’habituer à ce genre de surprise. Je décide alors de prendre un taxi, que je paie un peu cher pour ici. À peine sorti du véhicule, je me fais accoster par un jeune gars, qui me propose de m’amener à l’hôtel. Je tente de refuser mais il est tellement insistant que je suis contraint de le suivre. Bien sûr, à mi-chemin se trouve son magasin de papyrus. Je refuse le thé qu’il m’offre « gracieusement », et vais directement à mon hôtel dont il m’a indiqué le chemin. Première prise de contact avec mon point du chute : l’ascenseur, et je risque de m’en souvenir : il est ouvert des deux côtés et n’est pas entouré par des murs, si bien qu’ il pend dans le vide.Heureusement, il fonctionne à merveille. Une fois installé dans ma chambre, je peux me reposer seul, dans une pièce, dormir et choisir ce que je veux faire. Il est midi lorsque je prends ma chambre, et ce jour de repos est vraiment le bienvenu. L’hôtel est sobre, simple et un peu décrépis, mais ma chambre est immense et les salles de bains communes sont propres et toujours disponibles. Lorsque le manager m’appelle pour prendre de mes nouvelles et me donner quelques informations, je réserve deux nuit supplémentaires. Cette journée est calme et réparatrice. Je garde aussi précieusement le petit flacon qui contient ma première arnaque africaine, qui date de mon unique sortie de la journée, dans le but de chercher à manger. En rentrant, je me suis fais accoster par un autre jeune homme sympathique, car ils sont toujours sympas au début. Il m’emmène dans son magasin pour me donner sa carte et va préparer du thé, pendant que son frère me parle de ces « parfums faits d’essences naturelles de production familiale ». Je trouve cela intéressant et original, donc je me laisse prendre au jeu. Après en avoir senti quelques uns, il me propose alors un échantillon pour 2 livres égyptiennes, c’est à dire rien du tout. Il sort alors un énorme flacon et me demande 200 livres. Lorsque que je lui rétorque que ce n’est ni un échantillon, ni un prix d’amis et que c’est très loin de son prix initial, il retourne alors la situation à son avantage et me pose en fautif : il n’a jamais parlé d’échantillon et les deux livres sont le prix du millilitre. Je comprends maintenant. Je me fâche, prends un autre mini flacon qu’il me tend, lui donne 20 livres et pars, un peu honteux et fâché de m’être fais avoir. Je garde donc précieusement cette « essence de lotus », qui pourrait bien s’appeler « Lotus Flower by Hugo Boss « , tellement elle sent le laboratoire. 

Après une nuit très réparatrice où je m’accorde la première grace matinée depuis 2 semaines, je me mets en route pour le Nil. Il est à deux pas de mon hôtel, ce qui n’empêche pas une vingtaine d’arnaqueurs professionnels de m’aborder le temps du trajet. Alors que j’arrive à destination, un jeune homme enlève ses écouteurs et m’aborde. Je suis dans un premier temps sceptique, mais ensuite très reconnaissant. Il me recommande d’aller avec lui dans l’autre direction, car je me dirigeais directement dans une manifestation anti-gouvernementale. Même si cela pouvait être intéressant, ce n’est pas ce que je cherchais sur le moment. J’ai donc pu me promener tranquillement au bord du fleuve, où j’ai commencé à écrire cet article. Apres quelques kilomètres de promenade, je décide de rentrer, car les 34 degrés sont durs à supporter. J’en profite pour chercher sur internet un endroit tranquille où me laisser le temps d’atterrir en Afrique et commencer mon voyage sereinement.

Je décide alors de partir pour le parc Al-Ahzar, qui est décrit comme une oasis de calme dans cette ville qui ne s’arrête jamais. Je trouve un itinéraire, mets mes chaussures  et part découvrir la ville jusqu’à mon but. Sur le chemin, je passe alors du centre-ville, qui est fait de banques, d’agences de voyages et de magasins de papyrus, à un autre monde, lui aussi commercial mais très différent. Celui qui n’est pas officiel, il est fait de marchands de rues, de marché noir et de marchandage. Je m’embarque sur la rue Al-Azhar, l’endroit le plus bondé que j’ai vu de ma vie. Vous voyez la fête des vendanges et ses dizaines de personnes qui tentent de se frayer un chemin ? Alors ajoutez-y des voitures et des scooters, des porteurs et des livreurs, des chiens errants et chats de gouttières et vous aurez un petit aperçu de l’activité du quartier. Il est possible d’acheter n’importe quoi ici. Et les grands écarts sont gigantesques. Un marchand de roues de chaises discute avec son voisin, qui vend des stylos, des batteries de téléphone et des briquets, devant un magasin qui exposent ces plus belles étoffes. Les gens ici sont accueillants. Je reçois plus de sourires que de bousculades, plus de « Welcome to Cairo » que de « Pssit, come here ! ». Cela me fait le plus grand bien après le harcèlement continuel du centre-ville. Le décor s’y prête très bien. Il s’agit de très vielles maisons, où les étages sont des habitations et les entrées de commerces. Le tout est illuminé par des dizaines de pancartes vacillantes et colorées, qui n’ont souvent rien à voir avec les objets vendus juste en dessous. Toutefois, elles attirent l’œil et sont donc utiles. Le chemin est très long  et j’entrevois des dizaines de petites rues étroites qui m’attirent par leurs ambiances et leurs populations, mais si je veux avoir mon couché de soleil depuis le parc, je suis obligé de continuer. Mais je me promets d’y revenir.

Alors que j’arrive à un endroit plus dégagé, un petit monsieur m’aborde et me demande mon origine dans un anglais impeccable. Je lui réponds que je suis Suisse et que je viens de Neuchâtel. Il fronce les sourcils quelques instants et me demande : « Il y a un bon club de foot dans cette ville, non ? Il y avait deux joueurs égyptiens qui évoluaient là-bas dans les années 90 ». Très étonné qu’il évoque le club de foot où j’ai joué quelques temps en tant que junior, je lui réponds que oui pour la qualité du club, sans toutefois pouvoir lui confirmer la présence des joueurs, n’étant pas né à ce moment là. Il rigole et me conseille de demander à mon père, pour vérifier la véracité de son information. Il me questionne alors sur ma destination et je lui explique mon projet d’aller au parc voir le couché de soleil. Sur ce, il me propose de le suivre, car il connaît un endroit plus intéressant pour cela. Je décide alors de lui accorder ma confiance, je n’ai rien à y perdre et en plus, il me parait très sympathique. Sur le chemin, j’apprends qu’il s’appelle Muhammad et qu’il m’amène dans une mosquée où il pourra me faire monter sur le minaret. Apprenant que je suis étudiant, il me propose de marchanderl le bakchiche de l’entrée pour moi, ce que j’aurais été incapable de faire. En arrivant, je donne donc un petit billet au gardien et j’ai carte blanche me permettant d’aller où bon me semble dans cette vieille mosquée magnifique, tombant en ruine à certains endroits. Il me conseille aussi d’aller ensuite me promener dans le quartier à droite de la sortie, qui devrait me plaire d’après lui. Je le remercie alors qu’il s’en va prier et commence à explorer le lieu. Elle est très différente des autres que j’ai pu observer à Istanbul ou Beyrouth. La pierre orange qui la constitue est plus chaleureuse et accueillante et son aspect délabré est plus intimiste que les monuments de Turquie. J’apprendrai par la suite qu’elle a plusieurs centaines d’années et un rôle majeur dans la protection de l’identité musulmane du quartier lors des différentes colonisations de la région.

Je pars ensuite seul, dans le quartier qu’il m’a indiqué. C’est un quartier populaire, où les gens vivent simplement. Il y a aussi quelques marchands, mais leur produits sont plutôt artisanaux ou alimentaires. L’ambiance du soir se prête merveilleusement à la découverte de cet endroit. À nouveau, je suis très bien accueilli, et on me salue par un mouvement de tête et un sourire. Personne ne me propose de quelques manières quelques chose à acheter. Même si je suis différent, que je ne suis pas musulman, je ne dérange personne. Ici s’applique à merveille un des principes fondamentaux de l’islam : seul Dieu peut juger un homme. Je me sens bien, entouré de ces gens souriants, simples, dans ce quartier sombre, où un bâtiment sur deux est une ruine. La lumière ne vient pas des lampes, mais des cœurs bienveillants qui m’entourent. Après plus d’une heure de promenade dans cette oasis, je me mets en tête de retrouver l’homme qui m’a permis de faire cette expérience, et de lui offrir le souper. Il s’agit en même temps d’un moyen de le remercier et d’essayer de m’approcher de lui. Il pourra sûrement m’aider pour la suite de mon séjour. Je retourne alors à l’endroit où je l’ai rencontré, et quand je l’aperçois, lui propose mon idée. Il semble très touché, me prend par l’épaule et accepte. Le seul bémol est que je n’ai pris que peu d’argent pour payer un restaurant pour deux personne et la somme que je porte est trop petite pour réaliser cela. Toutefois, dans ma cachette magique que constitue ma ceinture, j’ai un billet de 50 euros. Cela le fait rire pendant cinq bonnes minutes. Il me propose alors de me le changer, à un taux vraiment avantageux comparé à celui d’une banque. J’accepte et nous partons en direction le shish kebab le plus réputé du quartier. Moi qui ne savait pas où trouver des plats typiquement égyptiens, ils viennent maintenant à moi. Pendant le repas, nous faisons vraiment connaissance. Cet homme à 47 ans, il est père de famille et tient un magasin dans lequel il vend des jeux d’échecs et des backgammons artisanaux, ainsi que quelques articles religieux. Il maitrise parfaitement l’anglais, de par ces études d’avocats. Il a toutefois laissé tomber cette profession, car ici il est plus rentable de vendre des objets de valeurs au marché que d’officier en tant qu’avocat. On parle ensuite de politique, de religion, de famille, de la vie. Il est très cultivé et très intéressant. J’en apprends plus sur l’Egypte en une soirée qu’avec mes quatre heures de lecture de la journée précédente. À la fin de notre brochette succulente, il m’offre le thé dans une échoppe pittoresque. En fumant le narghilé, il me propose alors de m’inviter pour le repas du lendemain, et me glisse qu’il aura avec lui un petit cadeau. Très touché, j’accepte avec un plaisir inouï. Le rendez-vous est posé, demain 18 heures 30 à l’endroit où l’on s’est rencontré.

Sur le chemin du retour, je vois que l’agitation extérieure s’est calmée, mais ce sont mes émotions personnelles qui s’agitent. J’ai un ami, quelqu’un qui peut m’aider dans cette fourmilière qu’est le Caire. J’ai pu rentrer en contact avec une personne, sans être simplement un touriste qu’il faut plumer. Avant ce jour, je pensais qu’il était quasiment impossible de faire ce genre de rencontre. Mais il y a des occasions qu’il ne faut pas hésiter à saisir. Et si ça s’est passé ici, ça peut se passer partout, sur la route de mon voyage comme ailleurs. Le scepticisme des premières heures fait place à l’espoir et la curiosité. Demain, je serais à 18h30 devant la mosquée Al-Azhar, qui porte à cette occasion très bien son nom.