Vapur l’Asie

Ici, les bateaux sont un moyen de transport citadin à part entière. Après avoir tourné quelques minutes, je trouve le vapur direction Üsküdar. Rien que le nom me paraît exotique. Ce petit bateau, sur lequel on monte sans passerelle, à même le quai, représente un grand symbole pour moi. Il m’emmène vers l’Asie, pour la première fois de ma vie. Cette rive, que je vois depuis quatre jours, m’ouvre le chemin du plus grand continent du monde, plein de promesses pour des voyages à venir, est ma porte d’entrée pour le continent le plus grand du monde. Il m’ouvre le chemin à une infinité de perspectives d’explorations et de voyages. Et je serais assurément accompagné pour les prochains, c’est un bon prétexte pour initier Alexandra à l’amour des voyages.

Hier soir j’étais dans le quartier de Besiktas, d’où je pars maintenant. Le but de notre virée nocturne, un match de ligue des champions avec Phil, dans le quartier d’un des plus grand club de la ville. Il est surtout réputé pour son ambiance et sa passion pour le sport de peuple, le foot, qui pourrait revendiquer le statut de première religion du pays. J’ai raté de peu le derby Besiktas-Galatasaray, qui s’est transformé en liesse générale dans le quartier, grâce à une égalisation miraculeuse en toute fin de match. Le score était aussi de parité hier, mais la prestation ainsi que l’adversaire n’étaient pas à la hauteur de celle du derby. Ce qui explique l’apathie générale à la fin de la rencontre. Dommage, ce sera pour une autre fois.

12:45, je n’ai jamais été aussi près de la source du soleil. J’ai été accueillis par un petit parc, entouré d’arbres bas et une belle et grande mosquée. Le port entre Üsküdar et Kadiköy est grand et semble desservir beaucoup de destinations le long du Bosphore. Direction la mer de Marmara, l’ouverture sur la Méditerranée ou de l’autre côté côté, la mer Noire. Les possibilités de départ sont infinies et on comprend le rôle d’Istanbul, de Constantinople ou de Byzance, comme point de rencontre de l’histoire. Les tankers attendent par dizaines à l’entrée du détroit et sillonnent ce passage, rappelant le statut du Bosphore comme carrefour de plusieurs mondes, par la mer, bien sûr, mais par la terre aussi. Pour moi, le pas est fait. La porte est ouverte et depuis ici, je pourrais aller jusqu’en Chine, tout droit, sans mer ni bateau, en passant par une multitude d’endroits qui font rêver depuis longtemps. Des montagnes, des steppes, des déserts. L’Afghanistan de Kessel est le premier qui me vient en tête. Et puis  Genghis Khan l’a fait, dans l’autre sens, il y a bien longtemps. Tout est possible depuis ici.

Ce côté là de la ville semble plus dégagé, mais je vais aller me perdre dans les rues, ce que je fais de mieux, et explorer.

Les pêcheurs d’Anatolie n’ont rien à envier à leur vis-à-vis du pont Galata ou des rives de la Corne d’or. Leur adresse est impressionnante et leur appâts, plutôt étonnant. Il me semble avoir aperçu un reste d’épis de maïs au bout de leur ficèle. À vérifier. Je présume que la légende régionale qui attribue aux poissons du Bosphore le statut de meilleurs poissons du monde est la même de ce côté. Les eaux spéciales de la mer Noire et de la mer de Marmara seraient censées, d’après cette légende, abriter les poissons les plus délicieux. D’où leur assiduité à la pratique de la pêche. Si ce sont les mêmes poissons qui étaient dans mon « Ekmek » d’hier après le match, s’est vrai qu’ils sont spécialement bon.

Je n’ai jamais vu la rive occidentale sous cet angle, et cela est très différents de ce que je voyais lorsque je m’y tenais. J’aperçois Cihangir et la tour Galata, qui me sont familiers. Mais les tours qui surplombent Besiktas m’étaient inconnues. C’est le quartier de la finance, un autre endroit central de l’histoire actuelles. C’est la nouvelle Byzance.

Je pars en direction de Kadiköy, le vis-à-vis de Karaköy, où j’ai rencontré mes premiers pêcheurs.

Le bord du Bosphore, est aménagé de ce côté, surplombé par un quartier qui a l’air d’être assez organisé et tranquille. Le vent, frais, fait vibrer les voiles des promeneuses. J’ai l’impression que beaucoup de personnes ici viennent du golf arabique. Cela provient peut-être de la stratégie du gouvernement d’accorder l’entrée plus facilement aux gens originaires de ces pays, après le déclin des touristes occidentaux. On l’observe dans la rue. Le coup d’état manqué du 15 juillet pèse sur l’attractivité de la ville. D’ailleurs le nombre d’étudiant Erasmus à avoir annulé leur séjour, est très parlant. Censé être plus de 200, ils sont maintenant une soixantaine à avoir maintenu leur venue à l’université de Galatasaray, l’uni de Phil (Pas de chance pour un fan de Besiktas). Dommage pour eux, ils manquent une expérience magnifique. Le quartier supérieur est calme, par rapport à Beyoglü.

Le quotidien ici se déroule sans problèmes apparent. Les personnes plus âgées jouent au dominos autour d’un verre de thé, les plus jeunes s’ébattent  dans les nombreux parcs, à la sortie de l’école. Je me demande si les gens que je croise dans la rue ont répondu à l’appel d’Erdogan, le soir du coup. Le président a eu une réponse très rusée, pour contrer l’attaque des militaires putschistes: Il a eu recours à un FaceTime, en direct sur Facebook et retransmit par toutes les télévisions nationales. Comment demander plus efficacement à ses partisans de bloquer des chars et de résister à des bombardements ? Étonnant ce coup d’état. Protéger la démocratie est une bonne idée, mais beaucoup se targuent de le faire. Et quelques putschistes, sans alliés politiques, ne sont pas dans la meilleure position pour réaliser ce genre de choses. D’ailleurs, le résultat est plutôt mitigé si on observe la réponse du pouvoir. Mais qui sait d’où est partie l’idée. On ne le saura sûrement jamais, et le peuple turc non plus. En tout cas Erdogan est en place, et peut être pour longtemps. J’ai entendu parlé de purges, dans l’administration et plus récemment, dans les services secrets. Les gens écartés sont accusés d’être des partisans de Gülen, un ennemi maintenant lointain, mais qui aurait un grand réseau dans le pays. C’est en tout cas la version officielle, et acceptée pas la majorité du peuple. Avec ces purges, Phil m’a dit que de jeunes cadres accédaient à des positions très (trop ?) élevées dans la hiérarchie. Peut être seront-ils reconnaissants envers ceux qui leur ont offert ces postes. Tout ceci est très vague, même mystérieux, mais le peuple semble toujours soutenir la recette Erdogan.

Je crois que je suis allé un peu vite en besogne. Je suis arrivé à Kadiköy: la vie bat son plein et n’a rien à envier à l’autre rive. Üsküdar est peut-être une exception, car Kadiköy vit aussi vite et pleinement que les quartiers réputés comme étant les plus animés. Je me me croirais même un peu plus dans une ville d’Europe ici, ou dans une station balnéaire de la Méditerranée. En face de moi, au-dessus d’un café, j’aperçois  une affiche d’un Parti de gauche; le quartier serait peut-être même moins conservateur ? La barrière de la langue m’empêchera d’avoir plus d’informations, mais Phil pourra peut-être y remédier. La vieille ville est bordée de terrasses, de poissonniers, les rues bondées. L’ambiance est aux vacances. Après le port de Kadiköy, d’où part le vapur qui me ramènera à Besiktas, se trouve la promenade des anglais,  version turque. C’est un plaisir de voir le soleil se coucher derrière la mosquée bleue qui, l’espace de quelques instants, changera de parure pour devenir la mosquée d’or. C’est la première fois que je vois le soleil se coucher depuis le pays du soleil levant.

Et Marmara ouvre une toute autre perspective, encore plus loin, vers le sud, derrière les îles du prince. Mes yeux  et mon esprit s’y perdent. Mais bientôt mes pieds iront les rejoindre.

La mosquée bleue

(Avant d’aller voir la mosquée bleue, j’ai eu la chance d’entendre l’appel à la prière de midi, entre Sainte-Sophie et la mosquée bleue. On dirait qu’ils se répondent. Je vous conseille de l’écouter musique de fond de l’article « La mosquée bleue ».)

J’arrive au moment de la prière, quand le muezzin appelle les fidèles. À droite d’une porte géante, des hommes, de tous âges, couleurs et styles se lavent les pieds devant d’antiques robinets en métal. Au-dessus de la porte, une inscription d’or, sûrement issue du Coran, donnent aux hommes qui y croient des indications sur leur dieu, enfin je pense. Je passe cette porte, débouchant sur une grande cour, entièrement de marbre, gris, blanc avec des reflets bleutés. Sulthanhamet porte bien son surnom. Le haut des minarets est aussi orné de bleu. Je ne suis encore jamais entré dans une mosquée. Le marbre chaud de la cour accueille beaucoup de femmes qui, je pense, attendent leurs hommes, pendant qu’ils témoignent leur foi en leur dieu. Le marbre est vraiment chaud, comme habité. J’attends la fin de la prière de midi, en observant une femme qui a emporté son tapis et qui prie derrière l’ancien réservoir dédié à l’absolution. Elle n’est pas avec les autres mais vit sa foi seule, elle n’a pas besoin d’être à l’intérieur, pour aimer son dieu. Je regarde aussi les messages pour les visiteurs « non-initiés » à l’islam, qui parlent de l’unicité de la foi, de l’universalité de dieu et portent les messages de paix de l’islam. Ils font du bien, par rapport au contexte général actuel. Malgré leur volonté non-dissimulée de convertir, ils ont le mérite d’interpeller. Un panneau montre l’arbre généalogique des premiers saints. Isa (Jésus) n’est pas très loin de Mahomet.  La cour est ornée de grandes arches, majestueuses et pointues, soutenues par des piliers de marbres. Le temps a coloré leur base en turquoise. Comment autant de couleurs se retrouvent ainsi au même endroit, déposées par le temps ? En dessous des dizaines de portes et de fenêtres, au-dessus, des dômes magnifiquement peint de motifs rouges. Un chien errant dort à côté de moi, son rêve à l’air très agité, mais personne ne l’empêche d’être ici.

Je vais essayer d’entrer maintenant voir si le marbre est encore plus chaud après la prière. Il commence à pleuvoir, je vais me réfugier à l’intérieur, mais pas par la porte principale, elle est réservée aux croyants.

Après avoir enlevé mes chaussures, je peux entrer. Le tapis de la mosquée est doux, autant pour les pieds que pour les yeux. Des fleurs bleues sont reliées entre-elles par des tiges turquoise, sur un fond rouge clair très apaisant. De petites lumières très basses sont accrochés au plafond. 4 énormes piliers soutiennent le dôme, chacun portant une inscription d’or qui restera pour moi un mystère. J’ai lu ensuite que cette architecture s’appelle « en patte d’éléphant », j’ai pensé à Khartoum, que je ne pourrais voir pour le moment. La pierre du dôme est habillée de plusieurs fils d’or, trace de la vie de Mohamed, qui sont presque toujours sur une base circulaire. Au fond de cette grande salle, un espace est réservé à la prière des femmes, à l’avant celle des hommes et au milieu, celle des perches à selfies et du clic des instantanées prises en rafale par les visiteurs. Les femmes doivent se voiler pour entrer ici, c’est drôle de voir comme certaines n’en ont pas l’habitude, et sont prête à enfreindre les règles de ce lieu saint, pour ne pas sacrifier une photo.

L’ambiance est calme, accueillante et invite à l’introspection, d’ailleurs une dame asiatique médite maintenant à côté de moi. La lumière est douce, filtrée par les vitraux colorés, comme les voiles des croyantes du fond de la salle. Ces formes lumineuses complètent des ornements complexes et infinis des hauts murs, en-dessus d’un second étage, sûrement réservé aux notables de l’époque. Les couleurs ici sont beaucoup plus présentes que dans la cours, elles sont même partout. Au fond de la salle repose une stèle d’or (mihrab), ornée de deux lunes et au milieu un fronton qui surplombe d’autres fils d’or. Encore en-dessous de ces paroles saintes se trouve une mystérieuse pyramide à niveau. L’ensemble est si harmonieux qu’il est dur d’y voir l’impact des siècles, comme pour sa voisine Sainte-Sophie. Mais le plus impressionnant reste la grandeur de tout ce qui se trouve ici.

Je ressens un grand contraste entre le côté imposant de l’extérieur et la douceur chaude de l’intérieur. Ce contraste me fait penser à la perception de l’islam en général. Peut-être que les gens, lorsqu’on parle d’islam, perçoivent l’extérieur de la mosquée bleue et se limitent à cette grandeur, à cette raideur, alors que l’intérieur est doux comme le tapis qui recouvre le sol, beau comme les ornements des murs, lumineux comme les vitraux des fenêtres et beaucoup de paroles et préceptes, d’or comme les fils tressés qui reprennent les paroles du prophète. Comme m’a dit Philippe quand je suis arrivé, ça donne envie d’y croire.

à la Une

Sansmpaka 1, le départ

Voilà, j’ai écrasé ma dernière cigarette en Suisse, la main un peu tremblante, je dois l’avouer. Impossible de dire quelle émotion me faisait ça, mais ça doit plutôt être un énorme mélange qu’une simple émotion. On m’avait prévenu que ce voyage serait un concentré d’émotions, et je crois que je suis déjà bien dans le bain.

Petit détail qui m’a fait un peu peur, j’ai déjà galéré à allumer mon ordinateur pour écrire ces quelques lignes. Un bon point pour m’apprendre à accepter et résoudre les imprévus. Il était juste en mode veille prolongée, ce con.

Je suis dans le vol pour Istanbul et par chance, à côté du hublot. De là-haut, la neige des sommets se confond avec ses cousins les nuages, un tableau tacheté, bariolé et magnifique. J’ai aussi pour vous les toutes premières images de ce périple, le décollage de mon premier avion. C’est moche un aéroport, mais c’est parfois plein de significations, surtout dans un jour comme celui-ci.

En fait, je parle de mon voyage comme si tout était clair, mais je pense que, lorsque je vous ai touché  un mot de ce projet, autour d’une bière ou d’un bon repas, tout ne l’était pas. Je pars donc maintenant pour Istanbul, qui est la première étape de ce projet. J’ai hâte de voir Philipe, mon camarade de sciences po’, qui va terminer son bachelor à Istanbul, et  qui m’a gracieusement proposé de venir lui rendre visite. Les adeptes de la géographie souligneront que mon voyage en Afrique commence à la porte de l’Asie, mais je suis sûr qu’ils ne m’en tiendront pas rigueur. Ensuite, de là je m’envolerai pour Beyrouth, chez Rayan, dont je compte bien vous parler. Après quelques jours là-bas, direction le Caire. De là, commencera mon voyage « en solitaire », mais je ne vais sûrement pas rester seul très longtemps. A partir de ce moment-là, ma seule deadline sera d’être à Bukavu  (région du Kivu, en RDC) pour la période de Noël. Pour m’y rendre, j’ai une ébauche de plan, mais surtout le cœur comme boussole et la raison comme protecteur. Les deux Soudans ne sont pas très stables actuellement, et l’Erythrée non plus, je n’ai pas besoin de vous faire un dessin. (Petit détail, le temps d’écrire cela, j’aperçois dans le hublot Trieste et la méditerranée, le monde est vraiment petit).  Mais le reste n’est pas fixe. A Bukavu, je retrouve ma mère et je vais essayer de la suivre et de la découvrir dans son rôle d’ambassadrice « d’Un Seul But », notre association familiale dont je vous parlerai plus amplement en temps voulu.  J’ai hâte de la voir à l’œuvre. Mi-janvier, c’est Alexandra, ma chérie, que je vais retrouver. Je vais la chercher à Kigali, pour ensuite traverser la Tanzanie, dans le fameux train « TAZARA », qui nous emmènera  au bord de l’océan Indien. A partir de là rien n’est fixe, mais tout est possible, les principales villes d’Afrique australe étant reliées par le train. Et je compte finir au Cap, car je ne peux pas aller plus loin en direction du Sud. Mais je pense que c’est déjà un bon début , où en tout cas une belle fin !

J’ai hâte de pouvoir vous donner des nouvelles de Philipe et d’Istanbul, d’ailleurs Ataturk approche, et non de Gaulles, tu n’as pas le monopole des symboles nationaux transformés en aéroport.

PS: Les premières images arrivent, mon hôte, vidéaste de passion, va m’initier à l’art du montage.

A bientôt !