Galerie Kenya 1 – La vallée du grand Rift

Galerie Kenya 1 – La vallée du grand Rift

Le campement des « pêcheurs »
Un petit blaireau
Un voleur de banane qui nous nargue, bien posé
Jack et Jonas
Luke et Jonas, le regard perdu dans le parc
La porte du paradis
L’eau surprenante du sol volcanique
Au pied du volcan endormi
Les pentes de lave ont laissé place à la nature
Au sommet
C’est pas le Kili’ mais c’était assez incroyable

Voilà la première partie de la galerie du Kenya. J’ai pensé que c’était une bonne idée de mettre des images sur le texte précédent, sans attendre la fin des récits du pays. 

J’espère que cela vous plaira. J’ai essayé pour la première fois de travailler un peu les photos, mais je tâtonne un peu. Alors si vous voyez des aberrations ou que vous avez des conseils, vraiment n’hésitez pas à me dire ! 

La vallée du grand rift

Lorsqu’on descend du matatu, la nuit commence à tomber. On aperçoit rapidement un panneau indiquant : Fisherman’s Camp. On marche alors en direction du lac, en passant à côté d’un hôtel trois étoiles. Nous arrivons devant une cabane qui s’avère être la réception. Lorsque qu’on nous indique où l’on peut planter notre tente, nous découvrons comprenons que cet endroit n’a rien à voir avec un réel village de pêcheurs. C’est plutôt un camping. Malgré cela, nous ne sommes vraiment pas déçus : l’endroit est sublime. A quatre mètres de notre petit campement, nous apercevons une famille d’hippopotame broutant en silence. La lune se lève juste derrière eux. Mais pas d’inquiétudes; même si les hippopotames causent de nombreux décès chaque année en Afrique,, nous sommes protégés par une barrière électrifiée.Après ce voyage, mes amis et moi décidons de trouver un endroit où nous pourrions boire une petite « Tusker », la bière endémique kényane. On demande alors aux gardiens du camping, qui nous proposent de les suivre jusqu’au village, qui se situe à deux pas. Ils nous montrent le chemin, et le meilleur bar de la bourgade. En arrivant, nous sommes accueillis par un petit air de Bob Marley. En discutant avec les gens de la région et en fonction de leurs conseils, nous fixons alors notre programme pour ces quelques jours. Demain nous visiterons « Hell’s Gate », un des plus petits parcs du pays. L’attrait principal est qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une voiture, nous nous y rendrons à vélo ! Le jour suivant, nous décidons de nous attaquer au mont Longonot, un volcan éteint qui offre une balade réputée pour la beauté de son paysage. Lorsque nos verres sont terminés, nous rentrons au camping pour passer notre première nuit dehors, dans la fraicheur de l’altitude et entourés des bruits intriguants du lac.

Le lendemain matin, je suis réveillé par des insultes en allemand. En sortant ma tête de la tente je vois Jonas au pied d’un arbre, le regard en l’air et les bras ballants. Quelques mètres au-dessus de lui, un petit singe mange fièrement la banane qu’il vient de lui voler. A peine réveillé j’éclate de rire. Lorsque j’observe les alentours, je vois que je suis encerclé par ces petits singes malicieux qui savent que les musungus ne sont pas toujours très alertes au petit matin. Un peu plus loin, un singe très étonnant fouille une poubelle. Il mesure plus d’un mètre et son pelage est noir, sauf son dos qui est pourvu de longs poils blancs. Voilà à quoi ressemble un blaireau du Kenya. C’est donc bien entourés que nous nous préparons. En partant, nous vérifions que nos tentes sont bien fermées, car nous ne sommes pas à l’abri de ces mignons petits voleurs.

Lorsque nous enfourchons nos vélos, la pluie commence à tomber. Mais elle n’est pas assez intense pour nous arrêter. Après quelques kilomètres, nous arrivons à l’entrée du parc. Nous sommes accueillis par le gardien et une cinquantaine de singes occupés à s’épouiller en nous regardant. Les nuages commencent aussi à se dissiper. Le parc est déjà magnifique. Un mur de roche volcanique délimite la partie droite du parc, tandis que la savane s’étend en pente douce sur notre gauche. Nous avons choisi d’emprunter le « Buffalo Trail », qui fait le tour du parc jusqu’à arriver dans la gorge « d’Hell’s Gate », la porte de l’enfer. Après quelques minutes, on aperçoit les premiers animaux de la savane : un troupeau de zèbres, puis une famille de facochères (« Pumba » en swahili) et enfin, un autre troupeau d’antilopes. D’ailleurs, lors de notre première descente, un de mes amis manque de se faire renverser par un zèbre apeuré ! C’est le seul danger du parc. Il ne comporte pas de félins dangereux, ni d’éléphants, c’est pourquoi nous pouvons le visiter à vélo et même à pied. Après deux heures de montées et des mollets en surchauffe, nous arrivons au point de vue dont nous avions entendu parlé. Après une petite collation, on décide de faire la course jusqu’en bas.
Mais arrivé en bas, Luke tarde à arriver. Nous remontons donc pour le chercher, car le chemin était difficile et on commence alors à se faire un peu de soucis. Mais il nous rejoint quelques secondes plus tard en poussant son vélo, son frein avant n’ayant pas résister aux cailloux de la descente. Heureusement, il a réussi à sauter de son vélo sans égratinure. Plus de peur que de mal en somme. Nous réparons son frein et continuons calmement, la pente étant devenue douce. Un peu plus loin, le paysage qui s’offre à nous est radicalement différent de celui que nous avions tant apprécié durant la journée. En face de nous se trouvent une dizaine de stations thermiques, crachant une épaisse fumée blanche. Etonnamment, les autorités ont laissés des entreprises exploiter le sol volcanique dont l’activité est dormante sous nos pieds. 

Juste avant d’arriver au post qui marque l’entrée de la gorge, Jack plante les freins. On s’arrête vers lui, étonnés, avant de remarquer une girafe broutant la cime des arbres à quelques mètres de la route. Elle nous regarde de haut avant de reprendre son activité. Quelques minutes plus tard, on arrive à la gorge qui n’est accessible qu’à pied. Un garde nous accompagne et au moment d’entrer dans la gorge, il fait un saut monumental et nous ordonne de ne plus bouger. Quelques mètres plus loin, un cobra s’introduit exactement où nous comptions nous rendre. Magnifique mais mortel. On fait un petit détour pour prendre une autre entrée.
Si j’avais été l’explorateur britannique qui a découvert ce site, je ne l’aurais pas nommé la porte de l’enfer, mais plutôt du paradis. Même si le petit filet d’eau qui coule ici se transforme en dangereux torrent à chaque pluie, l’endroit est plus qu’accueillant. Au-dessus du petit couloir se trouve une végétation luxuriante qui filtre magnifiquement les rayons du soleil pour donner une lumière très douce. Les murs qui nous entourent sont striés de couleurs vives, car modelés par la lave, l’eau et le soufre. A plusieurs endroits, de petits filets d’eau s’échappent des murs, créant des trainées d’un vert inattendu. L’eau est très chaude, à l’image de l’endroit et de ces couleurs. La sortie de la gorge s’ouvre sur un horizon paradisiaque, dont s’échappe le chant des oiseaux.

Sur le chemin du retour, la fatigue commence à se faire sentir. Luke est à la traine et je commence à me demander si son frein défectueux n’y serait pas pour quelque chose. Après vérification il s’avère que ce frein était trop serré et qu’il était actionné en permanence. Mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises. A la sortie du parc, la chaine de ce même pauvre Luke casse. Mais on se relaye sur le vélo cassé pour avancer.Sur le chemin, on décide d’acheter deux énormes Tilapia (poissons du lac) avec l’intention de les cuire sur le feu du camping. Je m’occupe aussi du traditionnel guacamole. Un souper délicieux et bienvenue après les efforts de la journée.

Le lendemain matin, nous organisons le trajet jusqu’au volcan avec d’autres résidents de l’hôtel. Le couple qui nous accompagne habite actuellement à Londres, mais la femme est d’origine indienne et le mari irlandais. Ils ont organisé un tour du monde, prévu sur une année, avant de fonder une famille. Ils seront d’une compagnie très agréable au cours de la journée. Luke, qui a déjà souffert hier, parait démoralisé. Le cratère est à quarante-cinq minutes de marche, qui s’avèrera être plutôt éprouvante. Mais le spectacle en vaut la peine. Le panorama augmente de portée à chaque pas, et l’idée d’atteindre le point de vue est pour moi la meilleure des motivations. Avant même d’atteindre le but de notre marche, la seule arrivée sur le cratère est déjà époustouflante. Le fond de ce monstre éteint est maintenant recouvert d’une foret jeune et dense. La pente abrupte qui y mène fait plusieurs dizaines de mètres. Deux chemins nous permettent de faire le tour du cratère en approximativement trois heures de marche. Le pic (2780m) sur lequel nous arrivons est incroyable. La vue s’étend sur des dizaines de kilomètres, la vallée du Grand Rift africain parait minuscule. Au loin, on aperçoit le lac Naivasha. Les volcans qui dorment dans la vallée se confondent à la savane verdoyante et caressent les nuages de leurs cimes. Je crois que c’est un des plus beaux endroits où j’ai fait une pause déjeuner.

Le chemin du retour se fait dans le calme, malgré les nombreux touristes présents sur le site. J’arrive tout de même à m’isoler un peu, marcher à mon rythme et à celui de Paul Simon, qui me chante mon hymne « Under African Skies ». Ce moment est très agréable et me permet de faire un peu le point. Je décide alors de reprendre la route le lendemain, en direction de l’Ouganda. 

En bas, je retrouve toute la troupe, qui sirote un Coca ou une Guinness. Oui, Guinness est même un des leaders de la bière en Afrique de l’est. Elle est même produite dans la région, aussi étonnant que cela puisse paraitre. Sur le chemin du retour, je fais part de mon plan à mes amis. Jack lui semble être complétement amoureux de l’endroit et n’est pas du tout pressé par le temps. Il restera d’ailleurs ici quelques semaines. Mais Luke et Jonas sont très intéressés par ma prochaine destination : une nuit à Nakuru, puis départ pour Kisumu et les rives du lac Victoria. Ils seront de la partie. On discute alors une dernière fois tous ensemble, en sirotant une bière au coin du feu, au bord de ce petit lac qui rend l’atmosphère vraiment magique. Une seule chose nous a interrompu : la douce course et le plongeon élégant d’un hippopotame apeuré.
NB: la galerie de cet article est presque prête, elle sera surement en ligne ce soir! 

Simba, Pete’s et Rafiki

Après ma première rencontre avec les deux Peter et une nuit réparatrice, je fais la connaissance de quelques autres pensionnaires de l’auberge. Les premiers sont trois irlandais plutôt sympas, mais pas franchement chaleureux. Ils voyagent en Afrique depuis plusieurs mois, dans un énorme 4×4 suréquipé acheté en Afrique du Sud. Après avoir passé par tous les pays de l’Afrique australe et exploré les trésors de chaque région, ils tentent de vendre leur véhicule avant de s’envoler vers une autre destination qu’ils choisiront en fonction de leurs envies du moment. Au fil de la conversation j’apprends qu’ils ont pas mal d’argent ayant travaillé pour de grosses entreprises pharmaceutiques. En tout cas assez pour accepter de payer soixante francs suisse pour un cocktail, dans un café huppé de Bâle. Ils avaient l’habitude de s’y rendre pour leur travail. A seize heure, Pete se lève enfin, les joues encore rosies par sa cuite de la veille. Il tient alors sa parole et me prend avec lui dans les baraques décrépies attenantes à l’auberge. On y retrouve l’autre Pete à son atelier, ainsi que tous les amis qu’il s’est fait depuis qu’il vit dans cette auberge. Quelques jours avant mon arrivée, il a aidé Suzy, une jeune femme très souriante, à refaire complétement l’intérieur de son petit café. A notre vue, elle nous en sert deux tasses, pour un prix dérisoire. Je rencontre aussi le boss de la ruelle : Simba. Son nom va peut-être vous faire sourire, mais il le porte très bien. Ses yeux sont perçants comme ceux des lions, et sa poigne ferme comme une patte musclée de félin. En fait, Simba veut dire lion en Swahili. Il vit dans un vieux bus rouillé, stationné à quelques pas d’ici. Grace à Peter, Simba considère comme « Rafiki », qui cette fois veut dire mon ami en Kiswahili. Cette amitié est mon plus grand gage de sécurité dans le quartier, plus que la forte présence policière, due à la proximité avec les ambassades russes et chinoises

La bus-maison de Simba, au coeur de la ruelle.

Après avoir fait quelques achats, mon ami anglais et moi nous faisons à manger. Il me propose un guacamole, qui constituera notre aliment de base ici. Il ne s’est pas passé un jour, jusqu’au départ de Pete’, sans guacamole. La soirée est à nouveau très agréable. Notre ami kényan a invité quelques proches et le feu nous réchauffe, l’air étant étonnamment frais. D’ailleurs il a plu aujourd’hui et je n’ai pas pu m’empêcher de sourire et d’aller me mouiller un peu, pour la première fois depuis deux mois. Les conversations sont vives et très enrichissantes. Les amis de Pete’ nous décrivent le quotidien des habitants précaires d’une des plus grandes villes d’Afrique de l’est. Ils ont tous des petits boulots, qui leurs permettent plus de survivre que de vivre. Ils comptent beaucoup les uns sur les autres. Si l’argent, la nourriture vient à manquer, ils n’hésitent pas à se soutenir, et parfois même entre famille également. « Same same, Share share ». Ils trouvent aussi quelques échappatoires pour oublier les difficultés de la vie. L’alcool, qui n’a pas été présent durant la première partie de ce voyage, refait irruption. Les mauvais alcools sont très bon marché ici, et parfois il leur arrive de craquer. Mais comme dans tous les moments difficiles, la communauté dans son ensemble se mobilise pour les soutenir et prévenir tout abus. Avec moi, ils sont aussi très serviables et aidants. Si je cherche quelque chose, ou que je dois me déplacer, certains n’hésitent pas à « m’escorter », me diriger. J’avais un mauvais apriori concernant le fait de demander de l’aide, en échange d’un peu d’argent. Mais faire cette expérience m’a montré que, dans ce cas de figure, tout le monde est gagnant. La confiance en est même parfois renforcée. Chacun à quelque chose de nécessaire pour l’autre, alors pourquoi ne pas partager ?

Durant la semaine, je deviens assez proche de Peter, le docteur des chaussures, qui ne se sépare jamais de son chapeau. Chaque jour, je vais lui dire bonjour et le soir, il vient immanquablement passer la soirée à l’hôtel. C’est aussi un grand fan de reggae. Comment ne pas s’entendre ? Suzy, chez qui je vais boire tous mes cafés, me fait visiter plus en profondeur la ruelle et me présente, m’introduis en quelques sortes, dans les shops et les restaurants alentours. Elle plaide pour moi lorsqu’on me demande un prix supérieur à cause de la couleur de ma peau. Mais toutes ces rencontres n’auraient pas été possibles sans Peter. A nouveau je suis arrivé ici au bon moment, porté par une chance merveilleuse.

En parallèle de ma vie hors de l’auberge, il y a aussi celle à l’intérieur de l’enceinte. Ici je rencontre des occidentaux de passage. Malheureusement les échanges sont souvent aussi courts que les séjours. Généralement, les quelques mots que l’on s’adresse se limitent à la définition de nos itinéraires respectifs. C’est la plupart du temps l’essentiel des interactions. C’est souvent autour d’une bière, lorsque l’on se retrouve sur la terrasse, que nos conversations deviennent réellement intéressantes. Un soir, un anglais assez extravagant et particulièrement écarlate, Jack, se joint à nous et nous partage sa bonne humeur, ainsi que ces récits du nord du Kenya. Le lendemain, ce sont Jonas, un Allemand de la Ruhr, et Luke, un Australien, qui arrivent et apporte un peu de changement dans la dynamique des soirées autour du feu. Puis Peter doit partir, son travail l’emmène à Arusha en Tanzanie, où il doit aller marchander un contrat avec une société minière. On s’échange nos contacts et il me fait promettre de l’appeler lorsque je passerai par la Tanzanie, avec un peu de chance, il y sera encore. Le soir même, on passe une très bonne soirée avec les nouveaux habitants de l’auberge et au fur et à mesure de la conversation, un projet prend forme. Jack, nous parle d’un petit lac, pas très loin d’ici, en plein cœur de la vallée du Rift. Il nous le décrit comme un petit paradis, entouré de volcans et de parcs. Il évoque aussi un petit village de pêcheur où nous pourrions camper. Il s’avère que Jonas, comme Jack, voyage avec une tente. Alors on décide de se mettre en route les quatre dès le lendemain. Alors que la soirée bat son plein, le plan est posé. J’ai trouvé à Nairobi tout ce que je pouvais espérer, des rencontres très enrichissantes qui m’ont appris à mieux me débrouiller dans un environnement urbain qui peut être très impressionnant et parfois un peu effrayant. J’ai pu me reposer, reprendre des forces, avant de fixer mes plans pour la suite.

Le lendemain, l’équipe ne se presse pas pour se préparer. On quitte l’auberge pour passer une dernière fois dans Nairobi, entre les bâtiments coloniaux et les tours. Nous trouvons finalement notre Matatu, d’où nous achetons quelques bananes par les fenêtres. Le bus démarre, bringuebalant, pour nous amener à notre prochaine destination : Naivasha.

Same same, Share share

Lorsque je me réveille, le dortoir est absolument vide. Tous les occupants, que j’ai essayé de ne pas réveiller hier soir, sont partis définitivement. Après avoir mangé quelques bananes, je me mets en route pour la ville. On me l’a décrite comme un repère de pickpockets, je me muni donc du strict minimum ; Un peu d’argent obtenu le soir précédent à l’aéroport, mon passeport et mon téléphone, qui me sert d’appareil photo. D’ailleurs, une de mes missions principales est de trouver une carte SIM. Je demande au gardien de l’hôtel quel chemin je dois emprunter pour me rendre au centre-ville. Il m’explique brièvement quelle route suivre, tout en m’assurant qu’il est impossible de se perdre. La rue est plutôt calme et la plupart des gens ici semble sortir ou se rendre dans un des nombreuses églises alentours.

Sur le chemin, un homme m’aborde et nous commençons à discuter. Il est plutôt petit, très maigre et doit avoir environ cinquante ans. Il se nomme Martin et parle très bien anglais. Il m’explique qu’il est professeur, mais je ne saisis pas vraiment à quel niveau il enseigne. Il m’inspire plutôt confiance si bien que j’accepte de la suivre jusqu’au campus de l’université de la ville. Une fois arrivés, nous discutons une petite heure en regardant un match de foot entre étudiant. Il est très intéressé et impressionné par le fonctionnement du système politique suisse, un sujet dont on a longuement parlé. Ici, les élections approchent, avec toutes les magouilles qui les accompagnent. L’actuel président est le fils de celui qui est considéré comme le père de la nation kényane. D’ailleurs, son nom est plutôt évocateur, cette famille se nomme Kenyatta. Lorsque j’essaye de savoir si c’est un « bon » président, Martin commence à m’expliquer l’organisation politique du pays. Ici on parle peu de parti ou de programme. En effet, c’est en fonction de la tribu d’origine du candidat que les votes se décident. On dénombre environ septante tribus différentes sur le territoire kényan, dans lesquelles sont répartis les 41 millions d’habitants. La plus connue à l’international est bien sûr la tribu des Masaïs et leurs légendes magnifiques. Mais d’après ce que l’on m’explique, l’ethnie la plus puissante actuellement, en termes de postes clé occupés au sein de l’administration et du gouvernement, est la tribu des Kikuyu, tribu d’origine du président. On m’assure aussi que selon l’origine des représentants politiques, certaines régions donc tribues, seront favorisées. C’est pourquoi les opposants au régime tentent de gagner, stratégiquement, les voix des habitants de ces régions oubliées. A côté de cette composante tribale, un autre élément revêt une place importante lors de la campagne ; promettre de lutter contre la corruption. C’est actuellement un des plus gros problèmes au sein du pays, qui n’échappe pas la situation générale du continent. C’est d’ailleurs ce pour quoi Kenyatta prétend oeuvrer, sans qu’il soit possible de le vérifier concrètement. Tout est-il qu’il a créé le Ministère d’Ethique et d’Intégrité, il se trouve d’ailleurs à deux pas de mon auberge.

Après ce petit cours de politique appliqué, Martin me propose d’aller faire un tour dans un marché en périphérie de la ville. Il veut me montrer le vrai quotidien des gens, introuvables au centre-ville. Je découvre alors le matatu. C’est un minibus qui, en plus de transporter des passagers sur des distances variables, s’arrête à l’endroit demandé par les usagers. Le tout pour une somme dérisoire. A noter aussi que le nombre de siège ne donne aucune indication sur le nombre de passagers pouvant s’entasser dans le véhicule. Ce matatu nous dépose alors à Kagema, à une vingtaine de minutes du centre-ville. A peine sorti du matatu, je ne peux pas m’empêcher de sourire. L’environnement est si proche de mes souvenirs du Burundi. La terre battue, les baraques en taules et en bois, la musique entrainante à chaque coin de rue et surtout l’anarchie organisée qui règne en maitre me replongent dans mes premières expériences d’Afrique.

Kagema

Après quelques pas, j’entends que l’on m’interpelle par un sobriquet familier Musungu, Musungu ! Ca faisait si longtemps. Même si ce nom, qui désigne les blancs en Swahili, va vite devenir pesant. Je ne peux pas m’empêcher de sourire. On se balade alors quelques minutes. Nous achetons quelques fruits magnifiques, avant de retourner vers le centre-ville. Dans le matatu, Martin m’apprend quelques mots de Swahili qui pourraient m’être utiles durant mon voyage. A notre arrivée en ville, il commence alors à me parler de ses problèmes d’argent. Je me disais bien que cette journée avait été un peu trop idyllique. Il m’aide toutefois à trouver une carte SIM et me raccompagne en direction de mon hôtel. Avant de se quitter, j’enregistre son numéro, même si je doute que je le recontacterai un jour. Je ne me sens plus réellement en confiance avec lui. Il me demande un petit billet pour payer le transport du retour. Je le lui donne. J’ai passé de bons moments avec lui.

J’arrive à l’auberge au crépuscule et me mets au travail. J’avance un peu le blog, mais la fatigue prend rapidement le dessus. Je décide de rester quand même quelques minutes sur une table de la terrasse, afin de manger un petit quelque chose. Deux hommes entrent alors par la porte et s’installent derrière moi. Le blanc, qui parle fort avec un énorme accent anglais sort alors une petite sono et commence à mettre quelques reprises de morceaux culte de la musique anglo-saxonne, mais en version reggae. Et ce qui devait arriver arriva. Jaba et les Moonraisers entament leur magnifique reprise d’Hotel California et j’éclate de rire. Je leur explique alors que le groupe est originaires de la même ville suisse que moi si bien qu’ils m’invitent à les rejoindre. Ils s’appellent tous deux Peter, l’un est kenyan et l’autre anglais. Ils seront les piliers de mon séjour ici. Chacun vient d’un milieu complétement différent. L’anglais m’explique durant la soirée, en vidant une bouteille de whisky, qu’après avoir été viré des services de renseignements britanniques, il a décidé de prendre quelques distances avec son pays d’origine. Il a alors accepté un mandat d’une société de sécurité et de renseignement privée anglaise en Afrique. Il vient de passer trois mois au Cap et maintenant il est entre le Kenya et la Tanzanie. Il m’explique aussi qu’il est tombé amoureux de l’Afrique et de ses habitants, des gens simples qui se battent pour vivre. Il m’assure aussi qu’il peut se faire beaucoup d’argent grâce aux contrats obtenus ici, mais qu’il a pour objectif de l’utiliser pour fonder une association pour aider les plus pauvres. Sa devise, que tout le quartier ici connait, est très simple ; « Same same, share share ».

Pour engager la conversation avec l’autre Peter de la table, je lui demande simplement ce qu’il est en train de mâcher. Car depuis qu’il est ici, il n’arrête pas de piocher dans un petit sac plastique et de mastiquer longuement de fines feuilles charnues. Il m’explique que c’est du « khat », la drogue du peuple ici. J’ai déjà vaguement entendu parlé de cet excitant originaire d’Abyssinie. Il m’explique que ça aide juste à être plus éveillé et le compare au café. La conversation lancée, j’apprends qu’il est « docteur pour les chaussures », selon ces propres mots. Son atelier se trouve à deux pas de mon hôtel et il me propose de passer le voir le lendemain avec Peter, ce que j’accepte avec grand plaisir. Nous passons alors la soirée à refaire le monde et à se raconter nos vies, même si l’énorme accent anglais de Pete’ rend parfois la communication un peu difficile. Au fur et à mesure de la conversation, je vois leurs yeux se rougir à cause de l’alcool et des autres substances qu’ils partagent. Au grand étonnement de mes compagnons, je me contente de boire ma bouteille d’eau en fumant quelques cigarettes. Un peu plus tard, Pete’ nous montre aussi ces talents de « freestyler » et nous fait une magnifique impro’ de rap. Malgré le moment très agréable que je passe avec eux, la fatigue me rattrape. Je les quitte sur le refrain qui va être l’hymne de mon séjour à Nairobi : « Same same, Share share ».

A demain les gars !

Les retards ont aussi du bon

Voilà, mon séjour à Khartoum est déjà terminé. J’ai sincèrement l’impression que tout est allé très vite et que mon séjour ici était trop court. Mais je me suis promis de revenir, et de ne pas me limiter qu’à la capitale la prochaine fois. Avec l’aide d’Alexandra, j’ai réservé un vol pour Nairobi il y a quelques jours. Sans aide extérieur, il m’aurait été impossible de quitter le pays, ma carte de crédit n’était pas acceptée sur le domaine internet ainsi que sur le territoire du Soudan. J’ai aussi fait attention à prendre un vol me permettant d’arriver tôt dans la journée à Nairobi, histoire de ne pas me perdre dans cette jungle urbaine.

Le matin du départ, je n’ai qu’à préparer mon sac, puis à aller dire au revoir à Thabi qui dort encore. Je croise aussi mes amis entraineurs de volley venus suivre une formation ici au Soudan. Le soir d’avant, j’ai passé pas mal de temps à discuter avec l’un d’eux. Il s’appelle Junior et est originaire du Cameroun. Il maitrise très bien le français, ce qui était très agréable pour moi. Avant de les quitter je nous remémore son visage lorsque je lui ai appris que la bière était illégale ici. On rigole une dernière fois et on se promet de se revoir un jour à Yaoundé, ou en Suisse. Etant le statisticien de l’équipe de volley féminine camerounaise, peut-être sera t’il amené un jour à visiter la Suisse ! Quoi qu’il en soit, nous resterons en contact.

Je prends alors mon sac et me dirige à pied vers l’aéroport, qui est à deux pas de mon auberge. A nouveau, la plupart des accès sont bloqués par des dispositifs de sécurité. Mais je trouve relativement facilement ma route. Je montre mon billet à l’entrée et passe le premier contrôle. J’essaye alors de changer le reste de mes livres soudanaises, mais le discours est malheureusement le même que celui entendu à Assouan. La seule monnaie disponible est celle que j’essaye de changer. Je laisse vite tomber, c’est peine perdue. Heureusement que j’ai prévu beaucoup d’avance, car lorsque je me présente à l’enregistrement des bagages, le guichetier m’annonce que j’ai une semaine d’avance. Et oui, lors de l’achat du billet, on s’est planté d’une semaine. Le guichetier me rassure : j’ai suffisamment de temps pour aller changer de billet avant que le vol du matin pour Nairobi ne décolle. Mais il faut déjà trouver le guichet en question, et avec quatorze kilos sur le dos, se dépêcher n’est pas la chose la plus facile. J’atteins finalement le bon bureau pour y trouver un jeune homme nonchalant à souhait. Mais à ma demande, il va chercher son supérieur, qui lui changera mon billet en moins de dix minutes, moyennant le paiement d’un petit supplément. Moi qui cherchais à me débarrasser de quelques livres, j’y suis en partie arrivé. Je retourne alors à l’entrée de la zone de départ et me rends tranquillement jusqu’au hall d’attente.

Je sympathise alors avec un guide touristique canadien établi en Ethiopie et une américaine ayant travaillé aux Nations-Unies. Pendant la conversation, les passagers de tous les vols de la matinée sont appelés, mais pas de nouvelles nous concernant. C’est alors qu’entre en scène mon ami du bureau. Il vient vers nous la mine tendue et nous annonce que le vol aura au minimum trois heures de retard, à cause d’un problème technique. Parfait, on est tous sûrs de rater notre correspondance, mais au moins on est une bonne équipe ! On m’assure que j’aurais une place dans le vol du soir, mais mon ami guide lui est dans une mauvaise posture. Lui et son groupe de vingt personnes devaient se rendre à Djibouti, qui n’est desservi que par un seul vol par jour depuis Addis. Ils devront passer la nuit dans la capitale et perdre une journée sur leur planning. L’avion aura quatre heures trente de retard finalement.

On arrive à Addis de nuit. Les derniers rayons de soleil nous ont permis d’observer depuis le ciel le lac Tana, la source du Nil bleu. Les lumières de la capitale sont hypnotisantes et ma seule envie lorsque je suis dans l’aéroport est de sortir et de rester quelques temps ici. Mais ce sera pour une prochaine fois. A noter aussi qu’à la sortie de l’avion, j’ai vraiment eu froid. C’est une sensation que j’avais presque oubliée mais qui est vraiment agréable après la fournaise du désert. Je me mets alors en quête d’un billet pour le prochain vol en partance pour le Kenya. Un des employés m’indique la mauvaise direction et à mon retour, je me retrouve dernier de la file. J’attends ici quarante-cinq minutes avant d’être pris en charge, mais ma patience est récompensée car j’obtiens la dernière place du vol. Un autre européen avec qui j’ai échangé deux mots quelques minutes plus tôt me demande si je vais à Nairobi. Il m’invite alors à boire une bière avec lui une fois mon attente terminée. Je le retrouve alors, mais je suis épuisé. Je me dis qu’il sera difficile d’enchainer maintenant une conversation en anglais avec un natif. Mais il s’avère qu’il parle français à la perfection, sa mère venant de Chambéry. Lui a grandi en Irlande et est maintenant basé à Nairobi. Il bosse pour MSF et était en mission de trois semaines au Darfour. La conversation est très intéressante et son expérience de l’Afrique vraiment bienvenue. Il me donne des conseils très précieux sur Nairobi et le Kenya. La bière que nous dégustons semble être une libération pour lui, en ayant été privé pendant tout son séjour. Il me fait alors penser à mon ami Camerounais. Il m’offre toutes les consommations de la soirée, sous prétexte « qu’il sait ce que c’est d’être étudiant », le tout suivi d’un petit clin d’œil.

Le vol jusqu’à ma prochaine destination se déroule sans encombre. A mon arrivée, j’obtiens facilement le visa que je convoitais deux semaines plus tôt à l’ambassade des dormeurs. Il me permettra de me déplacer librement pendant 90 jours, au Kenya, mais aussi en Ouganda et au Rwanda. Si tout semblait compliqué ce matin, tout roule le soir même. Lorsque nous attendons nos bagages, Philippe me propose de se partager le prix du taxi. En effet, mon auberge est sur la route de son appartement. Moi qui voulait arriver de jour pour me faciliter les choses, cette arrivée de nuit est bien plus agréable que ce que j’aurais pu connaitre de jour mais en me débrouillant seul. Mon ami négocie le prix du taxi, me donne quelques derniers conseils concernant la ville sur le chemin de l’auberge et me tend sa carte de visite, que je puisse le contacter en cas de coup dur. Une fois de plus, je ne sais pas d’où tombe toute cette chance.

J’arrive à deux heures du matin au gite dans lequel j’ai prévu de rester quelques jours et sympathise rapidement avec le gardien de nuit. Lorsque je découvre un lit douillet et une chaleur supportable dans la chambre, c’est la libération. Je pourrai dormir pour la première fois depuis le début de mon voyage avec une couverture qui ne sera pas inutile. Avant de sombrer dans les bras de Morphée, je me demande encore d’où peut provenir toute cette chance ? Est-ce juste un hasard ? Où la magie de l’Afrique ? Où peut-être celle du voyage ? Je n’en sais absolument rien et je me le demande encore maintenant alors que j’écris ce texte. Mais vraiment, que c’est bon ce genre d’aventure !

 

(Petite) galerie du Soudan 

Le bateau de croisière
Levé du soleil sur le lac Nasser

Le désert à Wadi Halfa
L’Hotel étoilé
Un bus magnifique
Prendre du bon temps à l’université de Khartoum
La marque reste la même en arabe
Mais pas pour l’Ovomaltine
Le parc abandonné
Mogran
Garibala et moi

Voilà une toute petite galerie de mon séjour au Soudan. C’est presque toutes les photos que j’ai fait, car je n’avais pas l’autorisation des autorités pour prendre librement des images. J’ai dû me limiter aux espaces fermé et privés, avec juste un petit passe-droit pour Mogran. 

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Mogran

Mon amie est maintenant rentrée chez elle, et les dernières nouvelles sont plutôt bonnes. Je décide, pour mon dernier jour à Khartoum, de me rendre à Mogran. Ce mot signifie convergence, réunion. C’est l’endroit où les deux Nils se rencontrent pour se diriger ensemble ensuite dans le désert en direction du Nord et de l’Egypte. Je voulais m’y rendre de bonne heure, mais j’ai encore une fois raté mon réveil, preuve que cela n’arrive pas qu’avant l’uni. Je pars alors, lorsque le soleil commence à devenir très chaud. Le chemin est assez long, mais je veux m’y rendre à pied, comme les gens d’ici. Je passe par le quartier que j’ai visité avec mon ami Eiseed, vivant et populaire. Un peu plus loin, ce sont les hôtels de luxe qui m’entourent. L’animation de la rue a disparue. L’atmosphère s’y fait très pesante, mais les passants continuent de m’adresser des sourires. Lorsque je me rapproche de mon but, après plus d’une heure trente de marche, j’aperçois une grande barrière, avec au bord du Nil bleu, un petit guichet. Je m’y rends pour demander si l’entrée se trouve ici, car je ne vois pas d’autre moyen d’accéder à la rive. Le soldat au guichet me confirme qu’il s’agit bien de l’entrée. Je paye mon billet et il m’escorte sur une partie du chemin, en m’expliquant que les touristes viennent plutôt en voiture et qu’il est étonné de me voir à pied. Puis, tel un vrai professionnel, il me donne son trousseau de clé et me dit de continuer tout droit jusqu’à croiser son collègue. Le chemin pour se rendre à Mogran est particulièrement étonnant. L’endroit est plein de carrousels démontés, de cabanes de restaurations abandonnées et de bancs cassés. Je me dis que ça doit être un ancien petit parc d’attraction pour les familles, que le temps a usé et démonté. J’aperçois alors l’autre garde qui vient à ma rencontre, marchant dans un champ redevenu sauvage entre deux balançoires rouillées. Je lui donne la clé de son collègue et lui sert la main. Il est directement très avenant et jovial, malgré son anglais assez limité. Sur le chemin, on discute comme on peut et je découvre un homme très gentil et aidant.

La barrière sur notre droite est cassée sur quelques centimètres, il s’avère que c’est la porte d’entrée. On salue au passage les deux pêcheurs souriants qui ont posés leurs lignes là, avant de se rendre à la pointe, l’endroit exact de la rencontre des deux fleuves. Le paysage est assez surprenant. A gauche, on voit le Nil blanc, très clair, qui porte magnifiquement son nom. Au-dessus de lui, un grand pont terne relie Khartoum à Omdurman. La circulation sur cet ouvrage grisâtre est difficile, comme souvent ici. Le débit d’eau est aussi très impressionnant ; malgré une petite île, scindant la rivière, qui cache une partie de l’immensité du flot. Derrière cette île, on aperçoit très bien les innombrables minarets d’Omdurman. A droite, coule le Nil bleu au milieu duquel se dresse l’île de Tuti et toute sa verdure. L’eau est telle que je l’ai décrite lors de ma visite avec Eiseed, brune et très chargée. L’île empêche aussi de voir la grandeur de cet affluent. Au loin, on entend les pompes, drainant l’eau limoneuse dans les cultures de Tuti. Et entre ces deux géants, on peut observer les couleurs des différentes eaux se mélanger. La clarté victorienne est entrainée dans des tourbillons bruns venus d’Ethiopie. Les couleurs sont très impressionnantes. L’arrière fond urbain rend le spectacle encore plus étonnant, malgré les rives verdoyantes.

Mogran

Abdelrahim, le garde, me demande alors pourquoi je ne prends pas de photos. Je lui explique que je n’ai pas l’autorisation nécessaire pour ça, ce qui le fait rire. Amusé, il me dit me donner spécialement l’autorisation, comme pour me signifier que je n’ai pas à m’en faire. Il insiste aussi pour me prendre en photo à cet endroit spécial. J’accepte, plus pour lui faire plaisir que par amour des souvenirs picturaux. Après quelques minutes je lui annonce qu’on peut reprendre le chemin de la ville. Il me propose alors de s’asseoir quelques minutes à l’ombre pour profiter de l’endroit, ce que j’accepte avec plaisir. Un vieux pêcheur vient alors vers nous et nous propose un thé. Ce serait une insulte de refuser, de plus que cela me fait très envie. Il se dirige lentement vers sa cabane et revient quelques minutes plus tard avec de l’eau chaude, du thé et du sucre. L’eau était déjà brune, avant d’être infusée, et je suis convaincu qu’elle a été puisée directement dans la rivière. Le thé est comme toujours, succulent. Le vieil homme ne parle pas un mot d’anglais mais le garde m’explique qu’il pêche toujours ici, et que tous les soirs, il emmène ses prises au marché d’Omdurman. Il vit ici dans la cabane où il est allé faire chauffer l’eau, entre deux barques grinçantes. Son fils vit avec lui et est pour le moment très occupé avec ces cannes à pêches.

Cet homme se nomme Garibala. Dès que j’entends ce nom je me dis que cet homme pourrait absolument être un personnage d’un roman de Joseph Kessel. C’est un homme simple, mais incroyablement attachant. À chaque fois que nos regards se croisent, il me sourit et plisse les yeux. Il n’y a pas besoin de parler pour exprimer de la sympathie et de la bienveillance. Lorsque nous décidons de nous en aller, je prends mon courage à deux mains et fais quelque chose qui m’avait toujours fait peur depuis le début du voyage : je demande à Garibala si je peux le prendre en photo. Il est étonné dans un premier temps, puis un sourire se dessine sur son voyage, laissant entrevoir ses dents manquantes. Alors il se lève sur ses pieds nus, ramasse son chapeau de paille et se prépare pour la photo. Il a l’air touché par cette proposition. Il se prend au jeu et prend quelques poses, puis invite Abdelrahim à se joindre à lui, et enfin moi-même. Au moment de partir, je lui redonne mon verre de thé et lui tend un petit billet. Lorsqu’il s’en aperçoit, il lève ses yeux interloqués et refuse de prendre cet argent. Il dit ensuite quelques mots à Abdelrahim pour qu’il me les traduise. Le message est très simple, il veut m’offrir ce thé, car pour lui il est normal d’agir de cette manière. Mais il insiste sur un autre aspect. Il veut que je comprenne par ce geste, le jour où je me retrouverais à sa place, j’agirais de la même manière. Il est important d’agir ainsi, sans attendre aucune contrepartie. Ces mots m’ont particulièrement touché. Si une situation permet de donner, sans demander de contrepartie, il est important de le faire. La confiance en l’autre, l’entraide, se font sur cette base et si on peut compter sur le don des autres, le monde pourrait devenir bien plus agréable et accueillant que ce qu’il n’est aujourd’hui. Il termine cette leçon de vie en me disant que si un jour ses pas l’amène en Suisse, il aura grand plaisir à boire un thé avec moi.

Garibala et Abdelrahim

Sur le chemin du retour, au côté d’Abdelrahim, je dois avouer que je suis un peu chamboulé par cette leçon d’humanité. La discussion est encore une fois très intéressante, pleine de simplicité. Il me propose de boire un café avec lui à l’entrée du parc abandonné. Le café se transforme en une multitude de café et plus de trois heures de discussion avec lui et ses amis, sous l’ombre d’un arbre. On parle de sa famille, du Soudan, mais il me pose aussi beaucoup de questions sur la Suisse et sur notre mode de vie. J’apprends qu’il vit avec sa femme et qu’il a une fille. Malgré son poste et son salaire, il est difficile pour lui de faire vivre sa petite famille. Lorsque je veux lui donner un peu d’argent pour le remercier et pour l’aider, lui aussi refuse, avec comme argument qu’il n’y a pas d’histoire d’argent entre amis. Il insiste aussi pour m’offrir toutes les boissons de la journée. Très touché, je n’ai pas d’autre choix que d’accepter. En fin d’après-midi, je décide de reprendre le chemin de l’hôtel, car malgré l’ambiance magique du lieu et de l’atmosphère, la chaleur a raison de moi. Après quelques centaines de mètres, j’entends quelqu’un qui m’appelle. Lorsque je me retourne, je reconnais un ami d’Abdelrahim. Il tient un billet dans sa main et me dit que cela est tombé de ma poche. En plus de leur hospitalité incroyable, ce sont des gens incroyablement honnêtes. Je dois avouer que je suis vraiment impressionné par ces actions. Le sourire collé sur mes lèvres ne veut pas me quitter durant tout le trajet du retour.

Le soir avant de m’endormir, je me promets à moi-même de revenir au Soudan pour mieux découvrir ce pays si accueillant. J’aimerais découvrir les campagnes et les gens simples qui se battent constamment contre le désert et l’aridité, où la politique autoritaire d’un dictateur, d’un roi des temps modernes. Et qui sont prêt à tout pour aider un visiteur, un ami qui vient à leur rencontre.

 

La fuite

Après avoir passé la journée avec mon ami Eiseed, j’ai fait une autre rencontre très intéressante à l’hôtel. Une jeune fille était arrivée le soir d’avant, le pas très pressé et la mine soucieuse. Je lui ai par hasard adressé la parole ce qui a mené à une conversation de plus de trois heures. Son parcours est plutôt singulier. Originaire de Somalie, elle est née au Canada et a vécu partout au Moyen-Orient mais aussi au Soudan et à Nairobi, son père étant homme d’affaire. Elle parle aussi quatre langues et est sur le point de finir ces études de médecine à Khartoum. Son air préoccupé n’a pas empêché la conversation d’être agréable et joyeuse. Comme toutes les femmes de sa religion elle porte le hijab et respecte scrupuleusement les règles issues de sa religion. Malgré sa culture assez occidentale, issu de ses nombreux voyages partout dans le monde et de sa naissance au Canada, nombreuses sont nos habitudes qui lui sont inconnues et lui semblent étranges. Par exemple, elle n’a jamais envisagé qu’il était possible de boire de l’alcool sans être ivre. Ou encore que je puisse aider ma mère dans les tâches ménagères. Elle est aussi très impressionnée lorsque je lui annonce que lors de ce voyage, je lave ma propre lessive à la main. Enfin, j’essaye. L’échange est très enrichissant. J’apprends aussi beaucoup sur la culture arabe, surtout en ce qui concerne le rôle de la femme, dans une société arabo-africaine. Nous en sommes venus à ce sujet lorsque j’ai plaisanté en demandant si les croyants avaient l’habitude de se recoucher après la prière du matin. Elle m’explique que les hommes le font régulièrement, mais que c’est impossible pour les femmes, surtout les premières nées de la famille. Etant elle-même la plus âgée de sa fratrie, elle a une matinée très chargée. Après avoir prié, elle doit s’occuper, avec sa sœur, de préparer ces trois petits frères et sœur pour l’école. Elle doit ensuite se préparer pour aller à l’université, mais aussi s’occuper du petit déjeuner de toute la famille. Après ses cours, c’est encore à elle que revient la tâche de prendre soin des plus petits. Elle m’explique aussi qu’il est courant pour une mère de laisser toutes ces tâches aux filles ainées de la famille, et de prendre du bon temps à la maison. Elle-même est complétement dépendante de sa famille : Impossible pour elle de sortir de la maison sans l’aval de son père. Ses frères ne sont pas non plus tenus de l’aider pour quoi que ce soit, au contraire ! Elle est même parfois tenue de nettoyer et de ranger leurs chambres. Ces restrictions sont pour elle de plus en plus dure à vivre. Le seul moment où elle n’est pas à la merci de ces coutumes est lorsqu’elle est à l’université.

Au-delà de cette conversation plutôt normale jusqu’ici, je lui demande alors la raison de son séjour ici. Sa famille vit à Khartoum, et d’après ce qu’elle me raconte, il est plutôt difficile d’imaginer sa famille la laisser partir dormir dans une auberge de jeunesse. A cette question, son visage redevient tendu et froid. Elle me demande si je veux vraiment savoir, et que si oui cela pourrait prendre un peu de temps. Comme j’acquiesce, elle commence à raconter. Elle est en fuite. Elle fuit sa prison familiale, mais surtout les violences que lui font subir son père et d’autres personnes de sa famille. Elle m’explique que la violence est assez courante dans sa culture, et que ce sont souvent les femmes qui en sont victimes. Mais pour elle, cela n’a rien à voir avec sa religion, bien plus avec les us et coutumes du pays de sa famille. Elle est originaire de Somalie et m’explique que son père n’a jamais laissé de côté sa culture d’origine. Ce type d’événement arrive, d’après elle, a beaucoup de femmes et enfants à l’intérieur des murs des maisons.

Avec l’aide de sa sœur, elle a réussi à fuir la maison sans que son père ne s’en rende compte. La meilleure solution à ce moment-là était de courir se réfugier à l’ambassade du Canada pour leur demander de l’aide. Elle espère qu’elle sera rapatriée sur le sol canadien pour se trouver enfin loin de son père. En effet, le Canada pratique le droit du sol. Y était née, elle possède donc le passeport canadien et peut légitimement faire appel à ce pays pour assurer sa protection. Dans le meilleur des cas, la délégation canadienne pourrait l’envoyer en lieu sûr au Canada et l’aider à recommencer sa vie. Elle m’explique que la réponse définitive tombera le lendemain. Cela fait maintenant quatre jours qu’elle est en fuite et son père met tout en œuvre pour la retrouver. Il a aussi pensé à l’ambassade, mais elle ne lui a donné aucune information. Actuellement, il a mandaté des gens pour vérifier les différents hôtels de la ville, et a contacté tous les amis de mon cette jeune femme qui va devenir mon amie. Mais le plus affolant, c’est qu’elle ne peut s’en sortir seule. Elle n’a pas d’argent, puisqu’elle n’est pas autorisée à sortir de la maison pour travailler. Les gens de l’ambassade semblaient toutefois confiant, et mettent tout en oeuvre pour l’aider à trouver une solution.

Je suis personnellement très touché par cette histoire et cette situation. Je lui promets que je vais tout faire pour l’aider, durant mon séjour ici.

La suite est assez longue et pleine de rebondissement. Je consacrerais cinq jours ici à chercher des informations pour elle, la soutenir et tenter de trouver des solutions. L’ambassade a refusé de l’extrader, argumentant que son père a assez d’argent pour lui payer le billet d’avion jusqu’au Canada. Cette réponse peut sembler absurde, mais parfois les méandres de la bureaucratie sont difficiles à comprendre. Les pistes que l’on creuse alors sont ses amis à l’étranger qui pourrait l’aider à sortir du pays. L’idée de partir directement au Canada est difficilement réalisable, car assez chère. Le nombre d’amis susceptible de l’aider est aussi assez petit, car de par sa situation, le seul endroit où elle a pu sociabiliser un minimum se limite à l’école. On contacte tous ses amis vivant aux Emirats Arabes Unis qui pourrait peut-être l’aider. Mais personne n’a d’argent, ou s’ils en ont, ils n’ont pas de moyen pour le lui faire parvenir. Une employée de l’ambassade, très touchée par son histoire, s’investit particulièrement pour que la situation s’améliore. Elle nous apprend aussi que son père s’est mis en tête de contacter les services de l’aéroport, de manière à fermer toutes les portes de sortie. La cage commence alors à se refermer et l’espoir à se réduire. Jusqu’à ce qu’il contacte l’ambassade pour proposer de prendre en charge le billet d’avion, avec une enveloppe supplémentaire pour subvenir aux besoins de sa fille pendant six mois. En échange, il demande à voir sa fille. Mon amie sens le piège si bien qu’elle refuse de le rencontrer, à raison. Lorsqu’elle se rend à l’ambassade pour récupérer la fameuse enveloppe, elle ne contient qu’une lettre, et 200 francs soudanais, l’équivalent de douze dollars américains.

On continue alors à chercher des amis pouvant potentiellement lui venir en aide. Mais la situation semble bloquée. Seul un lointain ami résidant en Belgique se démène réellement pour la sortir de ce cauchemar. Mais aucun moyen de payement international ne fonctionne ici, et il est très difficile de transférer de l’argent. De plus, l’argent doit être retiré par la personne à qui le virement a été fait. Présentant de trop gros risque, cette possibilité est elle aussi abandonnée.

Lorsque la situation est définitivement bloquée ; mon amie est toutefois convoquée par l’ambassade sans qu’elle ne donne de raison. J’occupe alors mon après-midi, soucieux de savoir ce qui s’y passe. La convocation s’est avérée être une rencontre, entre les parents et leur fille, sous l’œil vigilant du consul. C’est ainsi que la situation s’est réglé : son père lui a fait plusieurs promesses qui, si elles ne sont pas tenues, susciteraient des sanctions judiciaires. En aidant mon amie à porter sa valise, elle m’apprend que son père s’est engagé à lui financer un appartement en collocation le temps qu’elle finisse ses études de médecine. Elle ira ensuite vivre chez une de ces tantes aux Etats Unis. Grâce à l’aide de l’ambassade et à sa tentative de fuite, elle a réussi à obtenir quelques garanties pour une vie meilleure. Difficile d’imaginer qu’il ait réalisé la pression et l’enfer, qui ont poussé sa fille à partir dans l’inconnu, à tenter de rejoindre un endroit qu’elle ne connait pas, alors qu’elle n’est jamais vraiment sortie du cocon de sa maison familiale. Mais il semble avoir fait un pas vers elle. Reste à voir s’il tiendra ses engagements.

Alors qu’elle rentre chez elle, on se promet de se tenir au courant, moi de mon voyage un peu fou, d’ailleurs mon surnom est « Crazy Swiss », et elle de sa situation familiale. Malgré le stress et l’angoisse entre les moments de rush et de stress, on a passé de très bons moments. On a beaucoup rigolé et beaucoup échangé malgré les grandes différences culturelles et le poids de la situation. J’ai été touché lorsqu’elle m’a remercié de l’avoir accompagné durant cette épreuve, et que sans moi elle aurait eu beaucoup de mal à gérer cette situation.

Cette expérience m’a fait réaliser à quel point les gens sont enfermés, enchevêtrés dans des normes et des coutumes extrêmement contraignantes ici. Le Soudan a de mauvaises relations avec beaucoup de grandes puissances internationales. Les sanctions qui en découlent sont assurément plus contraignantes pour le peuple que pour la classe dirigeante. En plus de la mauvaise gestion du pays, les chances d’améliorer sa propre situation en dehors des frontières sont infimes. La plupart des portes sont simplement fermées. Et encore, dans le cas de mon amie, elle possède un passeport canadien. Même avec cet atout incroyable et des raisons plus que valables, il lui était impossible de trouver une solution pour quitter le pays. Cette expérience m’a fait réaliser la chance que j’ai d’être né en Suisse et de détenir un passeport me permettant de voyager partout dans le monde. Je pense que des gens dans le besoin, voire en situation de détresse, je vais malheureusement encore en rencontrer beaucoup. Bien qu’il me soit difficile de les aider concrètement, j’essaie au moins de leur montré qu’aucune barrière n’entrave la bienveillance.