Dix jours après mon arrivée à Kigoma, je me prépare enfin à aller embarquer sur la raison de ma venue ici: Le MV Liemba, un vieux bateau qui a vécu bien des aventures. Malgré la longue attente, j’ai passé un magnifique séjour au bord du lac. Pour passer le temps et profiter des rives, je suis allé me réfugier quelques jours dans un camping, un peu plus loin. J’y ai rencontré de magnifiques personnes. J’ai aussi utilisé de vieux souvenirs pour cuisiner des poissons frais du lac. Comme quoi les parties de pêches au Tessin sont toujours utiles. Le mugebuka grillé à la braise est un vrai régal.
Je suis ensuite revenu dans cette ville, qui a plutôt l’air d’un grand village. Il m’est aussi difficile d’imaginer où pouvait bien rester les milliers, près d’un million, de réfugiés ayant fui les conflits burundais et congolais. Mais les voitures du HCR sont toujours là pour rappeler que les derniers conflits politiques au Burundi sont loin d’être terminés. Il reste tout de même un camp qui compte près de 100’000 personnes, près de la frontière. Est-ce que cette Afrique des Grands Lacs sera stable un jour ? Je l’espère.
Lorsque l’heure d’embarquer approche, on se rend au port avec Justin, un américain rencontré le soir d’avant. Nous ne sommes pas les seuls musungus, comme mon père l’avait été il y a dix-sept ans. Nous sommes une dizaine, mais je suis le seul à avoir acheté un ticket seconde classe. Après deux heures sous le soleil, nous sommes enfin autorisés à embarquer. Je laisse alors les autres blancs aller sur le pont alors que je rentre dans la cale, à la recherche de la cabine numéro 4. Un employé m’intercepte et me somme de me rendre dans une autre cabine. Un seul lit y est fait, j’en déduis que j’aurai la chance d’avoir une cabine privée pour le trajet. Je suis d’une part soulagé, car je n’aurai pas surveiller en permanence mes affaires, bien que partager une cabine est souvent un bon moyen de rencontrer des gens. Le pont fera l’affaire.
Le moteur se met alors à rugir. Je regarde Kigoma s’éloigner par le petit hublot. Le bruit et les vibrations du moteur sont impressionnantes. Je comprends à ce moment-là ce qu’est de voyager sur « le plus vieux ferry du monde ». Ce bateau à tout de même été amené ici par les allemands, lorsqu’ils s’étaient accaparés la région. Originellement appelé le « Von Götzen », il avait été amené en pièces détachées, par le train, mais aussi à dos d’homme, car la voie de chemin de fer n’était pas terminée. Il a aussi été utilisé pour combattre, c’était le seul vaisseau armé du lac lors de la première guerre mondiale. Lorsque les allemands perdaient du terrain dans la bataille pour le lac Tanganyika, il avait été coulé pour ne pas qu’il tombe aux mains des belges. Mais après le conflit, les nouveaux administrateurs britanniques de la région, l’ont retrouvé puis renfloué, pour en faire un ferry. Maintenant il m’emmène vers la Zambie, près de cent ans plus tard. Je vivrai quelques jours sur un pan d’histoire. Même s’il continue de voyager à perte, aucun profit n’étant généré, le gouvernement le maintient en fonction puisqu’il représente le seul moyen d’accès à la population des rives du lac. Il n’y a aucune route terrestre qui pourrait les apprivoiser et l’économie de la région dépend de cette vieille masse d’acier.
Le voyage commence magnifiquement, avec un couché de soleil discret mais très prenant. Je me poste à l’avant, à côté de l’ancre, en observant les autres passagers. Le bateau est presque vide, ce qui le rend difficilement reconnaissable en me référant aux photos prises par mon papa 17 ans plus tôt. Les marchandises ne sont pas vivantes cette fois, les ananas ont remplacés les poules et les chèvres. Je regarde aussi les autres blancs, qui sont tous posté à l’étage supérieur de la première classe. Malgré un prix presque trois fois inférieur à ceux des non-résidents, les passagers s’entassent dans une troisième classe sale et inconfortable. Je discute quelques instants avec mon ami américain et son compagnon de cabine. Ce dernier fait un voyage assez impressionnant : il a quitté Prague en septembre et à pour but de rejoindre le Cap, à vélo. Après quelques récits de voyages épiques, je vais me coucher au moment où le bateau fait son premier arrêt. En pleine nuit, les riverains arrivent sur des pirogues, pour embarquer, où réceptionner des marchandises. Le bras articulé dépose ce qui leurs sont réservés directement dans les barques, sur les flots. Il faut préciser que la Tanzanie n’a que deux ports sur le lac. Ce spectacle incroyable sera rejoué durant chacune des trente escales.
Les jours suivants se passeront au rythme des rencontres, des parties de cartes et de paysages magnifiques. Le Tanganyika est le lac des superlatifs : le plus long du monde, le second plus profond du monde (1200m), le second volume d’eau douce le plus grand du monde. Mais pour moi il est aussi le plus beau du monde.
L’impression de troubler son calme est forte lorsque l’on fend sa surface cristalline. La nuit, les pirogues semble voler, car l’eau et l’air ne se différencient pas à la lumière d’une lampe torche.
Plus on avance, plus les rencontres se consolident. Les visages sont familiers, ils commencent aussi à s’ouvrir. Le couché de soleil du second soir sera un des plus beaux de ma vie. Le ciel s’est embrasé en même temps qu’il a enflammé l’eau.
Malgré le train de vieil sénateur allemand, nous arrivons après un jour et demi de voyage à Kasanga, l’autre port tanzanien du lac. C’est là que presque tous mes amis quittent le navire. Beaucoup d’entre eux se dirigerons ensuite vers le Malawi, où nos chemins pourraient, avec un peu de chance, se croiser à nouveau. Je continue alors en direction du terminus, avec quelques autres connaissances et des « businessmans », comprenez vendeurs d’ananas, jusqu’à Mpulungu. Ce magnifique voyage se termine déjà, je suis arrivé à l’autre bout du lac. Il est devenu très important pour moi , depuis que je l’ai observé pour la première fois, à Bujumbura. Je n’étais pas bien grand, mais déjà attiré par ce géant. Il ne me reste plus que la côte congolaise à explorer, celle que j’entrevoyais depuis le pont avant du bateau. Et explorer est un bien grand mot, je n’ai fait que regarder la partie tanzanienne. Mais ce spectacle était déjà magnifique.
Après avoir attendu que le douanier répare son ordinateur (il l’a éteint et rallumé dix fois) j’obtiens finalement mon visa et me met en quête d’un endroit où passer ma première nuit zambienne. Je trouve finalement une « guest house » pourrie, avec une chambre infestée de punaise, mais ça fera l’affaire. Avant d’aller me coucher, je vais regarder encore une fois le lac. Ce soir il se déchaine car l’orage arrive. Mais les éclairs ne font pas le poids face au bruit du moteur qui m’a bercé ces derniers jours.