J’utilise mon premier jour, dans la ville où les deux Nils se rencontrent, à mettre ce blog à jour. J’essaye de rattraper mon retard pris lors de ces derniers temps. Il est aussi agréable de rester à l’hôtel car la température est y plus douce que les 40 degrés atteints parfois à l’extérieur. Je ne suis sorti que pour me rendre à l’ambassade du Kenya, dans le but d’obtenir mon prochain visa. A mon arrivée, la première phrase que l’on m’a adressé était de revenir deux jours plus tard. J’insiste si bien qu’il me dirige vers le bureau de son supérieur. Après trente longues secondes à frapper à la porte, l’homme, couché sur un matelas à même le sol et un œil collé par le sommeil, me dit la même chose que son collègue. Comme je ne me décourage pas, je finis par apprendre que le visa que je convoite peut être obtenu à la frontière ou sur internet. Parfait, je peux laisser cela de côté et profiter pleinement de mon temps ici. Le soir, je contacte aussi Eiseed, mon ami rencontré sur le bateau, qui me propose de me montrer les endroits intéressants de la ville deux jours plus tard, le samedi. Je fais aussi la rencontre de Zabi, le jeune gardien de nuit. Il travaille ici pour payer ses études de sport et a appris l’anglais grâce à ce travail. Il est très serviable et est toujours disponible pour un coup de main.
En attendant de rencontrer mon ami, je passe beaucoup de temps autour de l’hôtel, avec Zabi ou des gens rencontrés dans la rue. Le jeune sportif me présente aussi ces amis, dont deux nigériens dans une situation très spéciale. Ils sont tous deux venus au Soudan pour pratiquer le foot au niveau professionnel. Mais comme cela arrive régulièrement dans le monde du sport, l’escroc qui s’était fait passer pour un agent pouvant leur obtenir des contrats n’a pas tenu ses promesses lors de leur arrivée. Sans contrat et sans argent, les sportifs sont alors livrés à eux-même pour survivre. Franck, un des deux footballers, a vécu trois mois dans la rue, mendiant pour manger. Maintenant il a trouvé un club, mais les problèmes ne sont pas terminés pour autant. Le club qui l’a engagé lui a pris son passeport et maintenant, refuse de lui payer son salaire. Il n’a reçu que vingt pourcents de l’argent que son contrat lui promettait. Même s’il aurait assez d’argent pour rentrer chez lui, comme il le souhaite, son club a son passeport et refuse de le laisser s’en aller. Son compatriote est dans le même cas de figure, prisonnier par son club, son employeur. Ce genre d’arnaques et de servilité forcée sont malheureusement assez courantes à travers le monde et ne se limitent pas seulement au sport. Après leur départ, je donne un petit cours d’anglais à mon ami Zabi, qui m’a gentillement demandé mon aide.
Le jour où je dois retrouver Eiseed arrive rapidement. Lorsque je pars le rejoindre, je sais que je dois me diriger vers la station de bus nommée « Jackson Station ». Mon ami m’a aussi donné l’addresse exacte du point de rendez-vous, en arabe, avec comme consigne de demander mon chemin dans la rue. Je pars assez tôt le matin, mais je sous-estime la distance à parcourir. Aidé par les passants, j’atteins finalement le point de rendez-vous avec vingt minutes de retard. Je me sens assez coupable et je cours dans tous les sens pour trouver mon ami. Je cherche aussi du crédit à mettre sur mon numéro soudanais, pour avoir internet et pouvoir contacter mon ami. Après avoir trouvé les petites cartes à gratter, je dois acheter des données internet, en arabe. J’ai de la chance, alors que je m’assois quelques instants pour boire un jus de fruit, le serveur me propose de l’aide. Lorsque j’arrive à atteindre mon guide de la journée, il m’annonce qu’il a eu des problèmes avec le bus et qu’il sera là dans trentes minutes. La culpabilité en moins, je lui réponds de prendre son temps et je déguste mon jus d’orange en regardant l’activité de la rue.
Le carrefour ou je me trouve reflète bien Khartoum. Si le Caire se bat contre le désert, Khartoum a abandonné le combat. Le sol est fait de sable sec, de petites pierres et de trous. Les gens vendent des babioles sur des étalages de carton, entre les échoppes plus officielle et les restaurants de rues. En fond, on peut apercevoir l’hôtel Corinthian, qui d’après Eiseed, a été financé directement par Khaddafi. Ce bâtiment futuriste dénote par rapport au reste de la ville. Khartoum est une de ces villes africaines où presque tout est construit au niveau du rez-de-chaussée. Les gens dans la rue sont de tous les teints. La diversité, de par la taille du pays, met en contact des gens proche des égyptien du sud, des tribus couchitiques d’Abyssinie ou des bantous du Sud-Soudan. Et toutes ces carnations se mélangent à merveille dans la rue. Alors que je suis perdu dans mes pensées, impressionné par la grandeur et la diversité de la ville, j’aperçois Eiseed qui m’approche avec un grand sourire.
On part alors direction l’île de Tutti, entre Khartoum et Bahti, un autre quartier situé sur la rive nord. La ville est en fait séparée en trois parties, par les deux Nils. La troisième partie de la ville se nomme Omdurman. Eiseed est un géant. Et il porte très bien sa petite moustache sur son grand visage rond. Il est très croyant et porte la Gallabia, ce long habit blanc, traditionnelle du Soudan. Sur le chemin de l’île, on fait vraiment connaissance. Il vient d’une ville à l’est du Soudan et est venu ici avec sa famille lorsqu’il avait dix ans. Il a six frères et sœurs, qui sont tous dans une position confortable et qui leur permettent de faire des études dans une bonne université de Khartoum. Comme moi, il étudie la science politique, mais concrètement, je pense que nos études n’ont pas grand-chose en commun. J’ai par exemple de la peine à saisir la pertinence d’un cours de comptabilité en science po’. Mais je pense que le pouvoir en place ne va pas laisser des enseignements trop spécifiques et potentiellement subversifs s’inscrire dans ce cursus. Mais plutôt à créer des pions dociles aptes à faire perdurer l’administration en place. D’ailleurs, mon ami ne pense pas que les choses vont changer de sitôt au Soudan. Le président est en place depuis plus de vingt-cinq ans, certaines personnes dans le pays le comparent à un roi. Mais ce n’est pas le principal problème, soutien Eiseed, car le Soudan possède un régime parlementaire. Au moment où je pense que cela est positif pour la liberté du peuple, mon ami m’apprend que le parlement est composé d’un seul parti non-élu par le peuple. La situation s’avère donc plus complexe que ce que je pensais quelques minutes plus tôt. C’est aussi pour cela qu’il a laissé tomber la contestation, même petite, et qu’il cherchera à la fin de ces études un poste dans l’administration. L’espoir de voir les choses changer est trop mince, alors autant essayer de vivre le mieux possible. Je pense que ce point de vue est partagé par la majorité des gens ici, et ailleurs.
Sur l’île, mon ami m’offre un, deux, trois thés, et refuse que je l’invite. Ici, tout le monde refuse que je participe à quelque frais que ce soit. Je suis l’invité, je dois être traité de la meilleure des manières. Autour de l’ile coule le Nil bleu, qui arrive d’Ethiopie. Un peu plus loin il rejoint le Nil blanc qui lui arrive du lac Victoria. L’eau que je vois couler est très brune, on dirait presque de la boue. Les gens d’ici ont aussi l’habitude de la boire, juste après l’avoir filtré. D’ailleurs le Nil est ce qui fait vivre le Nord du Soudan, c’est le seul accès à l’eau pour beaucoup de personnes. Ce qui donne aussi lieu à une bataille diplomatique entre l’Ethiopie, le Soudan et l’Egypte, car les pays en amont peuvent grandement influencer le cours de la rivière, et les personnes qui en dépendent.
Nous partons ensuite en direction de Nile Street, qui longe le même Nil bleu. Toutes les ambassades et bâtiments du gouvernement se trouvent ici. Eiseed voulais m’emmener dans un musée pour avoir un aperçu de la diversité culturelle du pays. Mais ici le weekend correspond au vendredi et au samedi si bien que le musée s’avère être fermé. A la place, nous nous asseyons sous un arbre et il utilise son téléphone pour me familiariser avec la culture du pays. Principalement de la musique, ce qui n’est pas pour me déplaire. En écoutant des airs de Rababa, petit luth soudanais, on échange nos points de vue sur des dizaines de sujets. Cet échange est très intéressant et j’apprends beaucoup sur le pays. Après plus d’une heure à discuter, il me propose de l’accompagner à son université et de manger un morceau. J’accepte, curieux de découvrir l’endroit.
Le campus est très sympa, avec des vieilles tables de billards devant les bâtiments. La caféteria est pleine de couleurs et lorsque l’on va rejoindre ces amis pour un dernier thé, je fais une découverte plutôt étonnante, un flacon orange attire mon attention sur l’établi du vendeur de thé. Je m’approche et demande pour regarder, avant d’éclater de rire. En grand je peux lire : Ovaltine. Serait-ce une de ces contrefaçon dont l’Afrique a le secret ? Non, l’Ovomaltine, sous le nom Ovaltine, est bien un produit de consommation courant au Soudan, et après quelques recherches, dans plusieurs pays du monde. Ses amis sont aussi très sympas et accueillants, mais malgré leur haut niveau d’études, aucun ne parle vraiment anglais. Alors Eiseed s’occupe de la traduction.
Juste avant de prendre le chemin de mon hôtel, nous croisons une petite fanfare qui fête l’obtention du diplôme de certains étudiants. Ils jouent particulièrement bien et c’est tellement entrainant que les gens dansent dans la rue. Je quitte mes amis lorsque les musiciens s’arrêtent, avec la promesse de les rencontrer à nouveau. Eiseed me donne aussi une accolade puissante dont mon torse se souviendra. Je me dirige alors vers mon hôtel, entre les sourires des gens. Il m’est difficile d’imaginer un accueil plus chaleureux, même la chaleur extérieure ne peut pas rivaliser avec celle des gens.
Et voilà un petit air de la fanfare de l’uni !