Sous la chaleur des sourires 

J’utilise mon premier jour, dans la ville où les deux Nils se rencontrent, à mettre ce blog à jour. J’essaye de rattraper mon retard pris lors de ces derniers temps. Il est aussi agréable de rester à l’hôtel car la température est y plus douce que les 40 degrés atteints parfois à l’extérieur. Je ne suis sorti que pour me rendre à l’ambassade du Kenya, dans le but d’obtenir mon prochain visa. A mon arrivée, la première phrase que l’on m’a adressé était de revenir deux jours plus tard. J’insiste si bien qu’il me dirige vers le bureau de son supérieur. Après trente longues secondes à frapper à la porte, l’homme, couché sur un matelas à même le sol et un œil collé par le sommeil, me dit la même chose que son collègue. Comme je ne me décourage pas, je finis par apprendre que le visa que je convoite peut être obtenu à la frontière ou sur internet. Parfait, je peux laisser cela de côté et profiter pleinement de mon temps ici. Le soir, je contacte aussi Eiseed, mon ami rencontré sur le bateau, qui me propose de me montrer les endroits intéressants de la ville deux jours plus tard, le samedi. Je fais aussi la rencontre de Zabi, le jeune gardien de nuit. Il travaille ici pour payer ses études de sport et a appris l’anglais grâce à ce travail. Il est très serviable et est toujours disponible pour un coup de main.
En attendant de rencontrer mon ami, je passe beaucoup de temps autour de l’hôtel, avec Zabi ou des gens rencontrés dans la rue. Le jeune sportif me présente aussi ces amis, dont deux nigériens dans une situation très spéciale. Ils sont tous deux venus au Soudan pour pratiquer le foot au niveau professionnel. Mais comme cela arrive régulièrement dans le monde du sport, l’escroc qui s’était fait passer pour un agent pouvant leur obtenir des contrats n’a pas tenu ses promesses lors de leur arrivée. Sans contrat et sans argent, les sportifs sont alors livrés à eux-même pour survivre. Franck, un des deux footballers, a vécu trois mois dans la rue, mendiant pour manger. Maintenant il a trouvé un club, mais les problèmes ne sont pas terminés pour autant. Le club qui l’a engagé lui a pris son passeport et maintenant, refuse de lui payer son salaire. Il n’a reçu que vingt pourcents de l’argent que son contrat lui promettait. Même s’il aurait assez d’argent pour rentrer chez lui, comme il le souhaite, son club a son passeport et refuse de le laisser s’en aller. Son compatriote est dans le même cas de figure, prisonnier par son club, son employeur. Ce genre d’arnaques et de servilité forcée sont malheureusement assez courantes à travers le monde et ne se limitent pas seulement au sport. Après leur départ, je donne un petit cours d’anglais à mon ami Zabi, qui m’a gentillement demandé mon aide.
Le jour où je dois retrouver Eiseed arrive rapidement. Lorsque je pars le rejoindre, je sais que je dois me diriger vers la station de bus nommée « Jackson Station ». Mon ami m’a aussi donné l’addresse exacte du point de rendez-vous, en arabe, avec comme consigne de demander mon chemin dans la rue. Je pars assez tôt le matin, mais je sous-estime la distance à parcourir. Aidé par les passants, j’atteins finalement le point de rendez-vous avec vingt minutes de retard. Je me sens assez coupable et je cours dans tous les sens pour trouver mon ami. Je cherche aussi du crédit à mettre sur mon numéro soudanais, pour avoir internet et pouvoir contacter mon ami. Après avoir trouvé les petites cartes à gratter, je dois acheter des données internet, en arabe. J’ai de la chance, alors que je m’assois quelques instants pour boire un jus de fruit, le serveur me propose de l’aide. Lorsque j’arrive à atteindre mon guide de la journée, il m’annonce qu’il a eu des problèmes avec le bus et qu’il sera là dans trentes minutes. La culpabilité en moins, je lui réponds de prendre son temps et je déguste mon jus d’orange en regardant l’activité de la rue.
Le carrefour ou je me trouve reflète bien Khartoum. Si le Caire se bat contre le désert, Khartoum a abandonné le combat. Le sol est fait de sable sec, de petites pierres et de trous. Les gens vendent des babioles sur des étalages de carton, entre les échoppes plus officielle et les restaurants de rues. En fond, on peut apercevoir l’hôtel Corinthian, qui d’après Eiseed, a été financé directement par Khaddafi. Ce bâtiment futuriste dénote par rapport au reste de la ville. Khartoum est une de ces villes africaines où presque tout est construit au niveau du rez-de-chaussée. Les gens dans la rue sont de tous les teints. La diversité, de par la taille du pays, met en contact des gens proche des égyptien du sud, des tribus couchitiques d’Abyssinie ou des bantous du Sud-Soudan. Et toutes ces carnations se mélangent à merveille dans la rue. Alors que je suis perdu dans mes pensées, impressionné par la grandeur et la diversité de la ville, j’aperçois Eiseed qui m’approche avec un grand sourire.
On part alors direction l’île de Tutti, entre Khartoum et Bahti, un autre quartier situé sur la rive nord. La ville est en fait séparée en trois parties, par les deux Nils. La troisième partie de la ville se nomme Omdurman. Eiseed est un géant. Et il porte très bien sa petite moustache sur son grand visage rond. Il est très croyant et porte la Gallabia, ce long habit blanc, traditionnelle du Soudan. Sur le chemin de l’île, on fait vraiment connaissance. Il vient d’une ville à l’est du Soudan et est venu ici avec sa famille lorsqu’il avait dix ans. Il a six frères et sœurs, qui sont tous dans une position confortable et qui leur permettent de faire des études dans une bonne université de Khartoum. Comme moi, il étudie la science politique, mais concrètement, je pense que nos études n’ont pas grand-chose en commun. J’ai par exemple de la peine à saisir la pertinence d’un cours de comptabilité en science po’. Mais je pense que le pouvoir en place ne va pas laisser des enseignements trop spécifiques et potentiellement subversifs s’inscrire dans ce cursus. Mais plutôt à créer des pions dociles aptes à faire perdurer l’administration en place. D’ailleurs, mon ami ne pense pas que les choses vont changer de sitôt au Soudan. Le président est en place depuis plus de vingt-cinq ans, certaines personnes dans le pays le comparent à un roi. Mais ce n’est pas le principal problème, soutien Eiseed, car le Soudan possède un régime parlementaire. Au moment où je pense que cela est positif pour la liberté du peuple, mon ami m’apprend que le parlement est composé d’un seul parti non-élu par le peuple. La situation s’avère donc plus complexe que ce que je pensais quelques minutes plus tôt. C’est aussi pour cela qu’il a laissé tomber la contestation, même petite, et qu’il cherchera à la fin de ces études un poste dans l’administration. L’espoir de voir les choses changer est trop mince, alors autant essayer de vivre le mieux possible. Je pense que ce point de vue est partagé par la majorité des gens ici, et ailleurs.
Sur l’île, mon ami m’offre un, deux, trois thés, et refuse que je l’invite. Ici, tout le monde refuse que je participe à quelque frais que ce soit. Je suis l’invité, je dois être traité de la meilleure des manières. Autour de l’ile coule le Nil bleu, qui arrive d’Ethiopie. Un peu plus loin il rejoint le Nil blanc qui lui arrive du lac Victoria. L’eau que je vois couler est très brune, on dirait presque de la boue. Les gens d’ici ont aussi l’habitude de la boire, juste après l’avoir filtré. D’ailleurs le Nil est ce qui fait vivre le Nord du Soudan, c’est le seul accès à l’eau pour beaucoup de personnes. Ce qui donne aussi lieu à une bataille diplomatique entre l’Ethiopie, le Soudan et l’Egypte, car les pays en amont peuvent grandement influencer le cours de la rivière, et les personnes qui en dépendent.
Nous partons ensuite en direction de Nile Street, qui longe le même Nil bleu. Toutes les ambassades et bâtiments du gouvernement se trouvent ici. Eiseed voulais m’emmener dans un musée pour avoir un aperçu de la diversité culturelle du pays. Mais ici le weekend correspond au vendredi et au samedi si bien que le musée s’avère être fermé. A la place, nous nous asseyons sous un arbre et il utilise son téléphone pour me familiariser avec la culture du pays. Principalement de la musique, ce qui n’est pas pour me déplaire. En écoutant des airs de Rababa, petit luth soudanais, on échange nos points de vue sur des dizaines de sujets. Cet échange est très intéressant et j’apprends beaucoup sur le pays. Après plus d’une heure à discuter, il me propose de l’accompagner à son université et de manger un morceau. J’accepte, curieux de découvrir l’endroit.

Le campus est très sympa, avec des vieilles tables de billards devant les bâtiments. La caféteria est pleine de couleurs et lorsque l’on va rejoindre ces amis pour un dernier thé, je fais une découverte plutôt étonnante, un flacon orange attire mon attention sur l’établi du vendeur de thé. Je m’approche et demande pour regarder, avant d’éclater de rire. En grand je peux lire : Ovaltine. Serait-ce une de ces contrefaçon dont l’Afrique a le secret ? Non, l’Ovomaltine, sous le nom Ovaltine, est bien un produit de consommation courant au Soudan, et après quelques recherches, dans plusieurs pays du monde. Ses amis sont aussi très sympas et accueillants, mais malgré leur haut niveau d’études, aucun ne parle vraiment anglais. Alors Eiseed s’occupe de la traduction.
Juste avant de prendre le chemin de mon hôtel, nous croisons une petite fanfare qui fête l’obtention du diplôme de certains étudiants. Ils jouent particulièrement bien et c’est tellement entrainant que les gens dansent dans la rue. Je quitte mes amis lorsque les musiciens s’arrêtent, avec la promesse de les rencontrer à nouveau. Eiseed me donne aussi une accolade puissante dont mon torse se souviendra. Je me dirige alors vers mon hôtel, entre les sourires des gens. Il m’est difficile d’imaginer un accueil plus chaleureux, même la chaleur extérieure ne peut pas rivaliser avec celle des gens.

Et voilà un petit air de la fanfare de l’uni !

A la rencontre de la bienveillance

Après une magnifique nuit sous les étoiles, je me réveille dans une cour vide. Tout le monde est parti très tôt ce matin en direction d’Assouan ou de Khartoum. Je remarque aussi que Claudio est en pleine discussion avec un homme très barbu, de type européen. Je m’approche, curieux, et fait la rencontre de Pavel, un jeune tchèque, voyageur lui aussi. Il a tout quitté à l’âge de 28 ans, pour réaliser un projet un peu fou : voyager partout en auto-stop. Il est tout d’abord parti vers l’Est jusqu’en Iran, pour ensuite descendre en direction des pays du Golfe et l’Egypte ou il a séjourné quelque temps. Il y est resté finalement un an et a réalisé des documentaires sur quelques sujets. Il a récemment décidé de continuer en direction du Sud, avec une projet assez abracadabrant : traverser le Soudan sans un sou. Il n’a avec lui que cent dollars qui lui serviront à payer son visa d’entrée en Ethiopie. Pavel aime bien se relever des défis peu communs, parfois même plutôt inconscients. Il a essayé d’entrer en Iran sans passeport, et de dormir sans tente dans des réserves naturelles. Cette dernière expérience lui a valu d’être arrêté par un hélicoptère de l’armée. Mais ces expériences n’ont pas l’air de réfréner ses ardeurs, au contraire. Il tient un blog et est suivi par beaucoup de gens. Je pense qu’il tente de vivre les histoires les plus folles possibles pour tenir son public en alerte. Et il écrit tout, absolument tout ce qu’il vit sur internet. Il m’a aussi avoué, qu’un de ses buts était de devenir célèbre. Il fait tout ce qu’il est possible pour se faire un nom dans le monde des voyageurs-bloggeurs. Personnellement, cette manière de se mettre en scène et de rendre public chaque instant de sa vie me rappelle le concept de la télé-réalité, avec une thématique toutefois plus profonde que ce à quoi on pourrait s’attendre. Mais toujours sur le principe de montrer chaque instant de sa vie aux autres. C’est une manière de faire, un choix personnel. Si vous voulez jeter un coup d’œil, vous pouvez trouver son site ici : http://www.paveladventurer.com/ (Disponible seulement en tchèque et en anglais…)
Après quelques minutes de discussion nous allons manger tous ensemble de magnifiques fruits de la région. Nous passons notre journée à partager nos expériences et nos histoires folles vécues tout au long de notre route. La compagnie des voyageurs fait vraiment rêver. Je pars aussi quelques instants pour prendre mon ticket de bus, car le lendemain, je voudrais me rendre à Khartoum. Les gens dans la rue sont tous prêts à m’aider, m’indiquent le chemin ou encore la meilleure compagnie de bus. Apres avoir trouvé le guichet et obtenu mon billet, je retrouve Claudio avec comme mission de trouver un endroit où il est possible de regarder la ligue des Champions. Mais nos recherches restent vaines, et de tout de façon le match commence à onze heures locale, une heure où tout le monde est rentré, les cafés fermés et la ville endormie. Alors nous passons la soirée à parler, à échanger et se faire rêver les uns les autres. Mon bus étant prévu très tôt le matin, je passe la nuit debout avec Pavel, c’est vraiment un gars bien.
Je repars alors seul, mon sac sur le dos. A peine arrivé vers le bus, je remarque un homme qui dors sur un lit en métal, similaire à celui que j’avais dans la Lokanda. La jeune femme qui prépare le thé le réveil à grand cris. « Rallas, Rallas ! ». Je comprends vite qu’il s’agit de mon chauffeur qui se lève dix minutes avant le départ prévu du bus. Je le perds de vue lorsqu’un homme souriant s’approche de moi pour me demander la raison de ma présence ici. Je lui dis que je compte me rendre à Khartoum. Il m’annonce que lui aussi et m’offre un thé. Nous commençons alors à discuter avec les gens qui attendent le bus. Beaucoup sont intrigués par ma présence, mais ils semblent apprécier le moment. Le bus tente alors une manœuvre pour se frayer un chemin vers la sortie du champ qui sert de parking, et on part. Avec l’heure de retard traditionnelle de l’Afrique. Le crépuscule arrive et nous empruntons une petite route qui semble se perdre dans le désert. Je suis prêt à avaler les milles kilomètres de la journée.
A chaque pause, mon ami, dont le siège est situé de l’autre côté du bus, vient me voir et m’explique ce qu’il se passe. Mi-arabe, mi-anglais, je comprends au moins le minimum. Il me partage aussi son repas, fait de foul comme pour la plupart des gens qui voyagent avec nous. Un des moments qui m’a le plus marqué durant le trajet est la pause pipi au milieu du désert. La chaleur était tellement insoutenable que j’ai décidé de rentrer dans le bus sans réaliser le but de la pause. La température extérieure était d’environ quarante-cinq degrés, m’a affirmé mon voisin de siège. Et nous repartons, au rythme de la musique entrainante du Soudan.
A notre arrivée à Khartoum, je retrouve mes sensations des villes africaines. La ville semble être construite sur un étage et un nombre incroyable de familles et de personnes sont entassées au même endroit. La banlieue d’Omdurman est très impressionnante. Je descends alors à Khartoum centre avec mon ami qui a pris soin de moi tout au long de notre périple. Sur le moment, je pense judicieux de rejoindre mon auberge de jeunesse à pied, qui n’est qu’à quatre kilomètres. Mais la foule, la distance et la chaleur sont insupportables. J’arrive avec peine à l’hôtel, pour trouver une réception vide et des gens qui y passe sans même me regarder. Après quarante-cinq minutes, je trouve le numéro du responsable, qui me répond de la pièce d’à côté. Il y a de la place et je peux prendre mes quartiers, dans un lit tellement vieux et démonté que le matelas pend dans le vide d’un côté. Un des japonais qui partage ma chambre m’est familier. Je l’ai aperçu à Assouan, dans l’hôtel de mon ami Yuki. Ils sont en route pour l’Ethiopie et ne sont là que pour obtenir un visa. Après une courte discussion, je m’effondre sur mon lit, dans la chaleur insupportable de la région. Malgré la fatigue, je suis conquis par cet endroit. Les gens sont simples, aidants et attentionnés. J’ai hâte de partir à leur rencontre et à la découverte de la ville, dans les jours qui arrivent. 

Une croisière et un hôtel étoilé

Le soir avant le départ pour Wadi Halfa, je fais la rencontre de Claudio, un italien aussi sur la route du Soudan et de l’Afrique. Il me demande où se trouve le « guichet » pour le ferry, que je lui montre volontiers. Mais son choix de transport n’est pas encore fait. C’est donc une surprise lorsqu’il débarque le lendemain, à 10h à l’entrée de ma chambre avec son ticket et son visa en main. Il me demande comment je captais me rendre au port. Je lui réponds que j’imaginais m’y rendre en taxi. Il soupire et me somme de venir avec lui. Je le suis, un peu pris au dépourvu. Il m’explique vouloir s’y rendre en transports en commun. Même s’il ne connaît pas un mot d’arabe, il a l’habitude de voyager avec un petit budget. Il trouve alors un bus, qui nous emmène un peu plus loin. Puis un autre qui nous dépose sur le grand barrage d’Assouan, nous indiquant l’autre côté comme le départ du ferry. Nous faisons alors un peu de stop, car il est interdit de se déplacer à pied sur le barrage. Mais les locaux en sont conscients et nous sommes très vite embarqués dans un pick-up. Arrivé de l’autre côté, nous demandons notre route à un militaire qui s’esclaffe en nous indiquant le côté d’où nous venions d’arriver. Rebelote, nous montons dans le premier véhicule qui passe et le conducteur nous dépose directement au port. Après les formalités douanières, qui sont tout compte fait assez conséquentes, nous attendons de pouvoir embarquer. Ce moment d’attente nous permet d’observer le spectacle ahurissant de la bataille des cigarettes. Les voyageurs ont la possibilité d’acheter deux cartouches de cigarettes détaxées et sont littéralement en train de se battre devant nos yeux pour acquérir quelques tubes à prix réduit. Cela leur permet, à leur arriver au Soudan, de les revendre au marché noir et ainsi, générer un petit profit. Les personnes qui se battent sont aussi ceux qui transportent des télévisions, des fours, et une multitude d’appareils. Je découvrirai ensuite qu’il s’agit des businessmans de la région, qui vont de l’Egypte au Soudan pour acheter et revendre des biens et ainsi faire vivre leur famille.

Après quelques minutes, les portes du bateau s’ouvrent et les passagers peuvent commencer le chargement. Le nombre de sac, cartons et malles qui envahissent le pont est hallucinant. Tout le monde transporte le plus de biens possibles pour une éventuelle plus-value future. Claudio réserve une série de siège de la plus simple des manières : il s’y couche et s’y endort. Ce que je regretterais bientôt de ne pas avoir fait. Lors du départ du bateau, beaucoup de places sont libres, mais tout le monde est couché, de manière à réserver un endroit où dormir cette nuit. Je trouve quand même un pauvre siège au milieu de tous les hommes assoupis pour le départ. Lorsque je pars faire un tour de reconnaissance du bateau je m’aperçois que tous les passagers de la grande cabine centrale sont des femmes. Comme dans le métro du Caire, les compartiments sont distincts pour les hommes et les femmes, ce qui est un peu déstabilisant pour un occidental. Je comprends par leurs regards que je n’ai pas le droit de mettre un pied dans cet espace. Je m’aventure ensuite sur le pont, en évitant les malles et les écrans, pour observer les alentours. Ce lac est vraiment spécial : il est posé un milieu du désert. On dirait une erreur plutôt de la nature. Le barrage ayant été terminé cinquante ans plus tôt, les berges sont encore trop récentes pour accueillir la même végétation qui entoure la vallée du Nil. Sous ses eaux, j’imagine les dizaines de temples égyptiens, de maisons nubiennes, de mosquées et d’Eglises coptes qui ont été submergé. Nasser, qui est considéré comme le père de la nation égyptienne moderne pensait à créer un grand réservoir de secours et beaucoup d’électricité, mais absolument pas préserver les sites historiques et les 100’000 personnes qui vivaient là. Et le barrage qui est juste à côté de moi est un des plus grand du monde. Je ne vois pas l’autre bout. En fait, ce n’est pas un lac qui se dresse derrière lui, mais plutôt une mer intérieur longue de cinq cent kilomètres de long, que je vais traverser en une nuit. Le ferry part ensuite, avec l’heure de retard africaine, doucement, en direction du Sud.

Deux heures plus tard, je remonte sur le point pour ne pas rater le coucher de soleil. J’ai bien fait, car je suis arrivé juste à temps. Beaucoup d’autres passagers sont venus observer ce magnifique spectacle. Le disque solaire, comme l’appelait les anciens égyptiens, se fait avaler par la terre, sur un fond d’eau argentée qui le reflète. J’ai un petit extrait visuel que je vous partagerai bientôt. Je commence aussi à remarquer que les personnes qui me souriaient ont l’air de moins en moins suspicieuse de ma présence et c’est à ce moment-là qu’elles commencent à venir me parler. Même avec quelques mots d’anglais, il est facile de passer un bon moment et d’apprendre rapidement avec qui l’on parle. Et c’est assez magique, car j’ai l’impression que beaucoup de monde souhaite engager la conversation avec moi. J’utilise aussi mes quelques notions d’arabes, mais surtout pour les faire sourire, car mon accent n’est pas brillant. Mais le courant passe, on rigole beaucoup et je passe un bon moment avec chaque personne qui vient à ma rencontre. Beaucoup de gens pensent que je suis ici pour faire du business, et quand je leur parle de mon projet, ils n’ont pas l’air de comprendre. A quoi ça sert concrètement de vouloir traverser l’Afrique ? Je leur réponds que sans cette idée un peu saugrenue, nous n’aurions pas passé ce bon moment et c’est à ce moment-là que certains saisissent la raison de ma venue. Mais en plus de ces rencontres inattendues, c’est la vie que je cherche à découvrir. La vie qu’on ne connait pas en Europe, la vie de la majorité du monde. J’ai appris plus que je n’imaginais avant de partir.

Je retourne, lorsque le soleil est couché, vers ma place. C’est alors qu’un petit homme, qui me lançait des regards du coin de l’œil depuis le départ, me demande dans un très bon anglais : « Tu as faim ? ». N’ayant avalé que quelques bananes et du pain égyptien au Kiri, je lui réponds par l’affirmative avec un grand enthousiasme. « Alors vient ! » me répond-t-il. Avec un jeune membre de sa famille, il m’offre le souper, fait de pain, de fromage au piment (ça arrache mais c’est pas mal), de concombre et d’œuf durs. Une valise nous sert de table et nos mains de couverts. Je commence à m’y habituer et je dois avouer que c’est même plutôt agréable. Lors du repas, mon hôte nommé Amir m’apprend qu’il est homme d’affaire et qu’il travaille actuellement entre Khartoum et le Caire. Il fait ce trajet toutes les deux semaines pour ses affaires. Je me dis alors que c’est plutôt agréable d’être pendulaire entre Neuchâtel et Lausanne, le voyage ne dur que trois heures, et non trois jours. Lorsque nous terminons, je leur offre le thé dans la cabine restaurant. Mais ce n’a pas été facile de les convaincre de me laisser payer. Je goute pour la première fois à la fameuse hospitalité soudanaise.

Lorsque je rejoins ma place, Claudio émerge de son long sommeil. Ce gars est assez fou. Il est parti de Milan pour la première fois de sa vie à 25 ans, et depuis, il passe une dizaine de mois à voyager chaque année. Ce qui fait beaucoup de mois si l’on pense qu’il a 54 ans maintenant. Il ne rentre que pour voir ses amis, et touche une pension depuis la mort de ses parents ce qui lui permet presque de voyager non-stop sans travailler. Curieux d’en apprendre plus, je lui demande où il est allé, ce à quoi il me répond : « Partout ! Sauf en Afrique, c’est la première fois que je mets les pieds ici. ». Il m’explique alors son plan de visite pour l’Afrique, qu’il a étalé sur deux ans, avec une petite coupure par l’Asie centrale. D’abord de l’Egypte à la Tanzanie, puis un cercle dans l’Afrique australe et pour finir du Maroc au Ghana par la côte est. Puis nous parlons de ses précédents voyages et effectivement il est allé partout et dans tous les sens. Il garde juste le Moyen-Orient pour ses vieux jours, « parce que c’est près de la maison, tu vois ? ». Et encore une anecdote sympa, il a prévu d’acheter un billet pour un match de la Coupe du Monde de foot en Russie. Non pas pour le foot, mais parce qu’en achetant un ticket, il reçoit avec un visa gratuit pour environ soixante jours ! C’est toujours bon de recevoir des petits conseils de baroudeur pour certaines choses.

Après cette conversation qui m’a fait voir le monde comme s’il était minuscule, je retourne sur le pont pour observer les étoiles. Il n’y a aucune lumière pour venir ternir leur beauté et c’est un des ciels les plus purs que j’ai vu de ma vie. La dernière fois que j’ai pu observer tant d’étoile, c’était à Madagascar. La seule différence entre ces deux ciels sont les astres qui s’y trouve. Ici, je peux observer le ciel qui m’est depuis toujours familier. Au lieu de la Croix du Sud, observée sur les collines malgaches, c’est la grande Ourse qui guidait les voyageurs ici. Je décide alors d’aller me coucher et le seul banc qui reste est forcément bien placé. Je dors sur cette banquette, à pas moins de deux mètres à côté du moteur principal. Les secousses et le bruit sont énormes, mais j’arrive à avoir quand même quatre petites heures de sommeil réparateur. Je me lève à quatre heure trente pour être sûr de ne pas rater le levé du soleil. Etonnement, beaucoup de passagers sont déjà sur le pont. C’est l’heure de la première prière de la journée et les croyants passent à tour de rôle sur les petits tapis prévu à cet effet. Je m’assois alors sur une caisse et observe le rituel, qui commence à m’être familier. Quelques minutes plus tard, j’entends une voix timide derrière moi qui me dit un petit « hello ». Lorsque je me retourne, je me retrouve nez-à-nez avec un géant. Cette ombre de facilement deux mètres de haut et plus de cent kilo me demande comment je vais et s’il peut s’assoir à côté de moi. La conversation s’engage alors et je découvre un jeune homme très sympathique qui s’en sort très bien en anglais. Il s’appelle Aiseed et vie à Khartoum. Lorsqu’on fait plus ample connaissance, il me demande ce que j’étudie et à ma réponse, ces yeux s’illuminent à la lueur du crépuscule. « Moi aussi j’étudie la science politique ! » me répond-t-il. On commence alors à parler de nos études, pour ensuite passer à l’islam, une fois encore. Il a pris le temps de m’expliquer chaque période de la journée, qui est définie par la course du soleil. Et chaque prière doit être faite durant une période définie. Ce petit cours est passionnant, surtout avec, en toile de fond, le soleil qui se prépare à venir nous rejoindre. Lorsqu’il arrive, notre conversation s’arrête pour observer. Quelques minutes plus tard nous échangeons nos Facebook et nous nous promettons de nous revoir à Khartoum. J’ai trouvé mon guide, et mon informateur politique de l’intérieur.

Quelques heures plus tard, nous apercevons le port de Wadi Halfa se rapprocher. Nous l’atteignons quelques minutes plus tard, on pense alors toucher au but. Mais c’était sans compter l’efficacité de l’équipage, qui nous a permis d’accoster une heure et demie plus tard. Ils ont vraiment essayé de mettre le bateau dans tous les sens, des deux côtés du ponton, mais rien à faire, impossible de faire en sorte que les gens puissent descendre. C’est alors à l’aide d’une barque, comme transition que les passagers peuvent commencer à sortir. Avec Claudio, on doit récupérer nos passeports et remplir les fiches de douanes. Huit pour être précis, en plus des quatre remplies avant notre départ d’Egypte. Toujours une mise en page différente, mais qui recueille les mêmes informations. Le tout en répondant à un questionnaire du militaire en charge de nous faire remplir ces fiches. Aucune de ses questions ne portaient sur ma venue au Soudan, mais plutôt sur mes connaissances concernant Roger Federer. Merci mon petit passeport rouge. J’ai aussi compris la technique, étant moi non plus pas très ordré, je réaliserai plusieurs versions de mes documents important et je les répartirai un peu partout, de manière à toujours en retrouver un. C’est un tout cas l’impression que ces questionnaires m’ont fait. À peine sortis du bateau, un militaire nous aborde : « Passeport s’il vous plait ! ». On croirait à une blague, mais non c’est très sérieux. Enfin libre, nous nous dirigeons vers la navette qui nous dépose dans le petit village de Wadi Halfa, devant une lokanda. C’est le nom des hôtels bons marchés au Soudan. Le vieux réceptionniste nous demande si nous voulons un lit, où une chambre. Nous lui répondons que ça nous est égal, mais le moins cher. Il nous amène ensuite dans la cours, sort deux vieux lits en métal d’une chambre et nous souhaite la bienvenue. Nous allons donc dormir dehors, dans la cour intérieure de l’hôtel. Moi ça me va, et pour un franc cinquante, je trouve que c’est très honnête.

Claudio et moi partons ensuite en quête d’un repas chaud. On nous conseille de gouter le « Foul », plat traditionnel du Soudan, qui est composé de haricots blancs et de pain. Étonnement, il ressemble à un plat que j’ai pu gouter au Liban. C’est bon mais c’est un vrai ciment pour l’estomac. La prochaine étape de notre arrivée au Soudan se fait au poste de police, car tous les étrangers doivent s’enregistrer pendant les premières 48 heures de leur présence sur le sol national. Comme si la douane n’était pas suffisante. Nous débarquons alors au poste, passeports et patience en main. Nous passons de bureau en bureau, de policiers nonchalants à chefs nonchalants. Une heure et demie et une belle taxe d’entrée plus tard, nous sommes libres de circuler où bon nous semble dans ce qui était le plus grand pays d’Afrique avant la sécession du Sud. Et ce durant 45 jours. Je n’ai pas prévu de rester si longtemps, mon attention se portant sur Khartoum et Port Soudan. Mais au moins j’ai le choix et le temps. De retour à l’hôtel au milieu de l’après-midi, je commence à sentir la courte nuit précédente et m’endors quelques heures sur mon petit lit, dans un coin d’ombre.

A mon réveil, il commence à faire sombre, mais je suis Claudio qui m’invite pour boire un thé dans le village. Nous nous arrêtons lorsque deux jeunes nous proposent de les rejoindre à leurs tables. On passe un très bon moment, en buvant un thé au sucre aromatisé au gingembre. Je suis conquis. Nos hôtes refusent que nous payions nos consommations et nous offrent toute les boissons de la soirée, plus une carte SIM soudanaise pour moi. Ces jeunes hommes font des pieds et des mains pour quitter leur pays. Partout est intéressant à condition de quitter leur impasse d’origine. Même avec un bon poste, ils ne vivent pas comme ils le voudraient. Au point où un des deux finisse par sortir une feuille, qui est en fait un « ticket de loterie » pour l’obtention de la nationalité américaine. Ce pays le fait rêver, malgré les grands différents avec son gouvernement s’origine. Mais comme beaucoup de gens dans le monde, c’est le rêve de pouvoir l’atteindre. Après un échange des numéros de téléphone, nous prenons le chemin de notre hôtel jusqu’à ce qu’à mi-chemin, j’entende un « Tzhibo, Tzhibo ! ». Je me retourne interloqué jusqu’à apercevoir Amir, l’homme qui m’avait partagé son repas sur le bateau. Il nous invite alors pour un autre thé, ce que nous ne pouvons refuser. La conversation est alors plus profonde que la première, car les formalités sont derrière nous. J’apprends alors qu’Amir a habité 6 ans au Brésil et qu’il a visité quelques pays d’Europe. Il est aussi chrétien copte, ce qui n’est pas courant au Soudan et assez discriminé par le gouvernement. Je passe à nouveau un très bon moment. Encore une fois, il refuse que nous lui offrions le thé. A croire que l’hospitalité est inscrite dans le code génétique des gens ici. Nous nous quittons alors, lui part à Khartoum le lendemain matin, alors que je compte rester un jour de plus ici, le temps de récupérer un peu et de prendre la température de l’endroit. Il me donne aussi son numéro de téléphone et me fait promettre de l’appeler si j’ai une question, un coup dur ou juste pour prendre des nouvelles. Ce que je n’hésiterai pas à faire évidemment.

Je vais alors me coucher sur mon lit à ciel ouvert. La nuit sombre a rafraichi l’atmosphère qui est alors très agréable. J’essaye de repenser à tous les visages, toutes les discussions et tous les sourires que j’ai pu rencontrer depuis hier. Je me sens bien ici, entouré de personnes incroyable et de la chance d’avoir pu les rencontrer. Je sens que je m’approche de l’Afrique que j’ai connu, lors de mes premiers voyages sur ce continent. Ceux qui m’ont donné envie de revenir et d’apprendre tout ce que je pouvais, de voir et de rencontrer les gens qui peuplent ce continent. Je m’endors, les yeux perdus dans les étoiles qui sont juste au-dessus de moi, a portée de main. Et au creux de l’oreille, Paul Simon me chuchote sa magnifique chanson « Under African Skies », qui sera sûrement l’hymne de cette année, sous le ciel africain.

Comme promis, le couché du soleil: 


 

Galerie Egypte

Le Caire:

Première rencontre avec le Nil
Le vieux Caire islamique, Khan al-Khalili
La mosquée de Muhammad
Pyramides de Gizeh
Les dervish tourneurs
Transport au Caire et la deux-chevaux
Dans la mosquée al-Azhar
Ambiance du Caire

Le musée égyptien:

Un pharaon noir

Le marché et les artisans :

Quelques épices colorées
Le sculpteur d’ivoire, armé de sa fraiseuse à dent
L’ivoire blanc du marché noir
Le fabricant de lampe
Le tisserand et ses fils d’or
Boites, backgammons et coquillages

Balade au bord du Nil:

Au bord de l’île
Maison en bois et tours
La raison de la ville
Un pont majestueusement gardé
Khan al-Khalili
Le cimetière islamique du Caire
Taufik, Muhammad et moi, à l’endroit de notre rencontre
Ha oui, j’ai trouvé ma moto aussi

Départ pour Louxor :

Arrivé du train interdit. (Petite précision il est encore en marche!)
Depuis le train, aperçu de 3 religions du pays: la mosquée, l’église et les télécommunications
Des couleurs millénaires dans le temple du dieu du soleil
La vallée du Nil depuis le temple d’Hatchepsout
Allégorie de l’économie touristique égyptienne qui prend l’eau
Chill au bord du Nil

Assouan et la Nubie:

Plutôt impressionnant
Graffiti chrétien dans le temple sauvé de Philae
Vue du temple de Philae sur l’ancien lac d’Assouan

Voilà la galerie d’Égypte les amis. Je la poste depuis Nairobi et la fraîcheur du Kenya. J’ai aussi complètement changé de monde, passant du monde musulman au monde chrétien. Promis les récits du Soudan sont en cours et vous aurez pleins d’histoires et un petit aperçu de l’hospitalité dont j’ai été témoin.

À bientôt

Un joli point final

Malgré les galères du début, je termine mon séjour à Assouan et en Egypte sur une très bonne note. Elle efface en partie le harcèlement dans la rue et le statut de touriste qui m’a tant pesé. J’ai rencontré cet après-midi, en revenant de guichet où je me suis procuré mon billet de bateau pour le Soudan, un jeune gars très gentil nommé Mustafa. Lui aussi m’a abordé dans la rue, mais ce qu’il dégageait était différent des arnaqueurs professionnels qui sévissent dans la région. Apres les deux traditionnelles question, l’origine et le nom, il m’a invité à boire un thé dans son magasin de téléphone. Il m’a appris qu’un de ces oncles habitait depuis deux ans en suisse, dans pouvoir me dire l’endroit. Mais il parle allemand, là-bas, alors tout est excusé. Il s’en sort très bien en anglais et notre conversation est très intéressante. On parle,comme souvent ici, de la crise, mais aussi de sa famille, de ses activités et de musique. C’est une des premières fois que je peux parler de musique avec quelqu’un. J’apprends aussi à ce moment là que, même ici, Bob Marley est un symbole et est très apprécié. Il aime le reggae et la musique égyptienne, et ne fait donc découvrir le mariage des deux. Les Wailers ont accompagné le grand Mounir, roi de la musique égyptienne, le temps d’une session. Et le résultat est plus qu’intéressant! Je découvre un ovni musical dans un pays où le coran est chanté sur toutes les radios. (Si vous êtes intéressé par cet ovni, cliquez sur cette phrase !)

Lorsque je lui demande où je peux trouver un wifi correct, celui de mon hôtel n’est plus opérationnel depuis deux jours, il m’invite à utiliser celui de son shop. Je cours chercher mon ordi pour mettre à disposition mes deux nouveaux textes à ma correctrice. Apres quelques minutes lorsque j’ai tout terminé il m’invite à partager le repas avec son oncle et un ami nubien. On mange dans la bonne humeur sur un tapis à même le sol de son établissement. Il m’offre aussi du thé et du café, bien plus que ce que j’avais besoin. Lui et sa famille ont le coeur sur la main. On parle aussi d’islam, c’est un sujet que j’adore aborder ici. Apres quelques minutes de discussion, je sors mon coran, reçu au Caire de la main de Muhammad. Je crois que je lui ai fait grande impression à ce moment-là. Et à son oncle aussi. Ils sont très touchés que je m’intéresse à leur religion mais surtout que j’essaie de passer par dessus l’image parfois envoyée par les médias. Le muezzin commence alors à chanter et il arrête instantanément la musique du shop. Ce moment est privilégié et réservé aux croyants. Quelques paroles et éclats de rires plus tard, je lui dis que je dois m’absenter pour aller préparer mon sac et une réserve de vivres pour traverser le lendemain un des plus grands lacs artificiels du monde. Mais j’ai son numéro et je le retrouve plus tard pour partager un thé. Je découvre enfin l’autre face du quartier que j’ai traversé des dizaines de fois, le pas pressé par mes obligations. Tout compte fait, il très agréable et cela me réconcilie avec cet endroit. Il m’apprend aussi qu’il a des amis au Cap, et quelques contacts sont toujours bon à prendre ! Je regrette de ne pas avoir fait cette rencontre plus tôt, mais j’en ai fait bien d’autres ici. La première est l’administration que je ne risque pas d’oublier. Ensuite d’autres voyageurs comme Yuki ou encore le couple d’espagnols pressé. En tout cas, ma chance continue à jouer son rôle et je termine ce séjour en Egypte sur un très beau point final.

Les galères d’Assouan

Je suis maintenant à Assouan depuis quelques jours et je savais à mon départ de Louxor que j’avais beaucoup de choses à faire pour avoir une chance de réaliser mon nouveau plan : entrer au Soudan. Après quelques recherches et l’annulation, enfin plutôt le report, de mon passage en Ethiopie, je me suis mis en tête d’aller passer quelques jours à Karthoum. C’est aussi le seul moyen que j’ai pour ne pas revenir sur mes pas et me rapprocher du Kenya. J’ai aussi appris par mes amis Cairotes que le meilleur endroit pour obtenir un visa pour ce pays était Assouan. Toutefois, la procédure devrait prendre quelques jours. Pour avoir une chance d’avancer, je devais trouver les 50 dollars nécessaires pour l’obtention du visa le soir même de mon arrivée. Et vraiment, trouver des devises étrangères dans un pays où aucune banque et aucun bureau de change n’en délivrent, c’est pire que chercher une aiguille dans une botte de foin. 


J’ai donc dû me tourner vers la rue, et le marché noir. Beaucoup de personnes y propose du change pour acquérir ce genre de devises à un taux très préférentiel. Mais les lois du marché s’appliquent aussi à la rue et lorsque on tente soi-même de s’en procurer les prix explosent. J’ai rapidement trouvé quelqu’un, mais étonnement le prix qu’il m’a annoncé au début à vite été revu à la hausse lors de la transaction. A bout de force et de patience, j’ai accepté de perdre un peu d’argent, car le visa du lendemain était vraiment ma priorité. Après une courte nuit de sommeil, sur un oreiller rembourré avec du gravier et une douche qui n’a pas été lavée depuis Nasser, je me rends au Consulat du Soudan d’Assouan. Un nom très officiel pour quelque chose qui ne l’est pas tant. J’arrive à l’ouverture et attends une bonne demi-heure avant que quelqu’un veuille bien s’intéresser à moi. Pourtant, je dénote pas mal avec les autres prétendant au visa. On me donne alors un formulaire, mi-arabe, mi-anglais, que je remplis consciencieusement avec un japonais qui est arrivé entre temps. J’avais aussi préparé tous les documents demandés : Une copie de mon passeport, deux photos d’identité et les fameux 50 dollars. On passe ensuite de bureau en bureau, car même les employés ne semblent pas savoir où se trouvent les divers départements. Après avoir payé, le japonais et moi remettons notre passeport à une femme qui, sans lever la tête, nous demande de revenir le lundi suivant (Petite précision, l’histoire se passe un mardi). Mon ami Yuki, avec qui j’ai eu l’occasion de faire connaissance lors de nos multiples attentes, insiste pour l’avoir plus tôt, car il n’a prévu que deux mois pour se rendre en Afrique du Sud. Après un soupir plus puissant que le souffle du ventilateur, la femme nous dit alors de revenir jeudi à midi. Parfait, Yuki peut tenir ses délais et moi éviter de passer une semaine de plus à Assouan, car le ferry qui m’amènera de l’autre côté du lac Nasser part une fois par semaine, le dimanche soir. Nous faisons encore plus ample connaissance sur le chemin du retour et j’apprends à ce moment-là qu’il voyage depuis plus de deux ans et qu’il a passé deux nuits en Suisse. Il m’a fallu un grand effort pour comprendre, malgré sa prononciation un peu aléatoire, qu’il était allé à Grindelwald et Interlaken. Je sais ne pas si je comprends mieux le suisse allemand, ou l’accent japonais qui prononce des noms pareils. 


Je pense alors que le pire est passé, et je profite de passer un peu de temps avec un couple d’espagnols que j’ai rencontré à Louxor. Ils sont vraiment sympathiques et s’envolent le lendemain pour la mer rouge. Après une pizza arabe, qui est en fait un hybride entre une quiche et une pizza, je m’endors sereinement en me disant que je chercherai un hôtel plus sympa le lendemain. J’en trouve un rapidement, moins cher et placé, au milieu du souk d’Assouan. Dès que j’y ai pris mes quartiers, je me renseigne sur ce que j’aurai besoin à mon arrivée au Soudan. J’ai entendu une légende qui disait que les moyens de payement internationaux, comme ma carte visa, n’étaient acceptés nulle part dans le pays. Et cette légende s’avère être, malheureusement, vraie. Je me retrouve dans une situation presque analogue à celle de mon arrivée. Il me faut des dollars. Je pars alors dans cette mission impossible et vérifie dans les bureaux de change s’il y en a pas un qui peut me sauver. Toutes les réponses sont négatives sauf un, qui me dit pouvoir me changer mon argent. Je cours alors retirer un petit pactole. En revenant dans son bureau, me voyant sortir mes livres égyptiennes, il rigole et me réplique que j’ai mal compris. Qu’il pensait que je voulais des livres égyptiennes. Je ne suis pas de nature violente, mais si à ce moment-là j’avais pu lui faire bouffer sa caisse vide, je l’aurais fait. A cause de cet abruti qui voulait surement se payer la tête d’un touriste, je me retrouve avec une énorme somme d’argent sur moi, aucun moyen pour la changer décemment et le tout ponctué d’un petit gout amer dans la bouche. Je décide alors de jouer ma dernière carte « bureau de change » et me rendre à l’aéroport. Lors des trois checkpoints militaires qui se trouvent sur notre route, l’excuse : mon visa est à l’ambassade du Soudan, ne semble pas être suffisante. Il me faut donc parlementer avec des militaires et leur montrer une photo de mon passeport pour pouvoir avancer jusqu’au dernier checkpoint. Et pour s’approcher d’un aéroport ici, il faut une raison. J’improvise donc, surement très écarlate, que je vais accueillir des amis qui arrivent du Caire. Etant suspect, car sans document d’identité, le conducteur du taxi reçoit comme ordre de ne pas me quitter d’une semelle. Je touche enfin au but, et tombe de très haut lorsque j’apprends qu’il est impossible de pénétrer dans l’enceinte, si ce n’est pour prendre un vol. Dépité et sans grande conviction, je mime un téléphone en français ou j’apprends que mes amis ont ratés leur vol et rentre direction la ville. Ma dernière chance de me procurer des billets verts est alors un transfert d’argent, mais je ne suis même pas sûr de pouvoir les retirer en dollars. 


C’est là qu’entre en jeu mon backoffice, qui une fois de plus s’appelle Alexandra. J’ai beaucoup de chance d’être si bien entouré et accompagné. Et si ce n’était pas Alex, mes parents auraient aussi fait tous ce qu’il est en leur pouvoir pour me tirer de cette impasse, autant matérielle qu’émotionnelle. Il est tard et tout est fermé, la partie reprendra demain à l’ouverture d’un ring qui se nomme « banque du Caire ». 


J’arrive à l’ouverture pour m’assurer d’une information : celle de la possibilité de retirer des dollars si c’est ce qui est envoyé via un western union. Ce que la dame du guichet me confirme. La situation n’est pas aussi difficile qu’elle en avait l’air hier soir. Je me rends alors à la Banque Nationale car ce sont les seules de cette ville qui peuvent être capable de changer en livres soudanaise ma masse de monnaie retirée le jour précédant. Je ne reste ici que deux jours, et je n’en aurais plus l’utilité. Je dois vraiment m’en débarrasser. Si possible sans être obligé de dépenser la moitié dans une fondue à l’hôtel Mövenpick, qui trône sur l’île des Eléphants, même si l’idée peut être tentante. Mais la centaine de personnes qui attend déjà me fait rebrousser chemin. Lorsque je reçois le message libérateur de ma chérie qui me dit avoir transmis l’argent, je retourne à mon point de départ et attend mon tour. L’employé du guichet qui me sert me réplique alors que cette banque ne fait pas de transfert. J’insiste car sa voisine directe m’a confirmé l’inverse quelques minutes plus tôt. Il m’amène alors vers un de ses supérieurs qui, après avoir fait semblant de regarder dans un fichier, m’assure qu’aucun transfert n’est à mon nom et m’indique la banque d’à côté qui elle pourra m’aider. Mes nerfs commencent un peu à chauffer lorsque je lui dis que je n’irai pas à la banque d’à côté, même si elle se nomme Alexandria Bank, un nom qui fait du sens à ce moment-là. Je refuse car je sais que la Banque du Caire est la seule qui délivre des dollars lors d’un transfert. Me voyant déterminé et renseigné, il abandonne l’idée de garder ces petits dollars et m’emmène vers un autre homme, qui lui m’indique la direction du sous-sol du bâtiment. Je suis pris en charge par une femme, qui me renvoie ensuite vers un jeune gars, tout-à-fait incompétent, car il a dû demander de l’aide à 3 de ces collègues pour réaliser la transaction. J’ai tout le temps d’observer les baffons de cet établissement durant la demi-heure d’attente qui m’est alors imposée. Le sous-sol est composé de 4 salles : 3 sont utilisées pour entreposer du matériel de bureau cassé et une pour les ordinateurs et les employés. Huit ordinateurs, leurs propriétaires et leurs clients s’entassent dans ce minuscule espace. Les ventilateurs vacillants du plafond brassent de l’air chaud et dépourvus d’oxigène. Après cette demie heure, je reçois une feuille qui me permet de retirer mon dû au guichet. Lorsque je pense être au bout de mes peines je m’aperçois que la file me précédant est longue de plus de trente personnes, ce qui fait beaucoup pour les trois pauvres guichets ouverts. Il n’y aurait pas eu de problème si à midi, je ne devais pas aller chercher mon passeport à l’ambassade. Il est dix heures trente à ce moment-là et je prie pour que le rythme egyptien soit suffisant pour me permettre d’arriver à l’heure. Après quarante minutes de tapotement nerveux de mon pied, j’accède enfin au sésame. Tout ça pour quelques billets verts. 


Je saute alors dans un taxi, n’ayant pas le temps d’aller mettre cet argent à l’hôtel. En arrivant à l’ambassade, je suis accueilli par la même secrétaire que la fois précédente. Lorsqu’elle m’entend arriver, elle me dit de repasser dimanche, sans même lever les yeux. À bout de nerf, de souffle et de patience, je lui rétorque que je ne peux pas, car mon bateau quitte Assouan dimanche et que j’ai besoin de ce visa pour me procurer un ticket. Elle sort alors mon passeport du même tiroir où elle l’avait déposé et me demande d’aller attendre dans la salle prévue à cet effet. Je remarque que mon passeport n’a absolument pas bougé depuis mon premier passage. Entre temps Yuki arrive et a le même accueil. Vingt petites minutes plus tard, elle nous rend nos passeports contenant le fameux visa. Elle qui nous avait assurer devoir les envoyer au Caire, le chemin a été très rapide, pour une fois. Lorsque j’arrive enfin à l’hôtel, je n’ai même pas le temps de jubiler. Je tombe sur mon lit, puis dans les bras de Morphée, mes deux missions impossibles accomplies.


J’ai vécu ces derniers jours une expérience très forte, celle d’avoir un objectif, de tout mettre en œuvre pour l’atteindre et me heurter à une série de murs. Je n’ai pu m’empêcher de faire un parallèle avec des gens de cette région, qui vouent leurs vies à tenter de rejoindre l’Europe dans la but d’améliorer la leur et celle de leur descendance. Pourtant le visa m’a été donné facilement. Eux doivent sûrement se battre des années pour espérer en obtenir un. Ensuite, j’ai eu la chance d’avoir des gens derrière moi pour me procurer des devises étrangères. Mais je pense que beaucoup de personnes doivent se débrouiller avec le marché noir, à grande perte. Ces livres gagnées à la sueur de leurs fronts vont enrichir les trafiquants de la rue. Et je n’ai pas vécu une partie qui doit être aussi très difficile, celle de l’intégration et du travail dans un pays étranger. Si toutes ces conditions ne sont pas remplies, il y a aussi les moyens alternatifs, et les risques qui vont avec. Je n’imagine pas ce que peuvent ressentir les gens qui risquent leurs vies pour tenter de se rendre en Europe par tous les moyens, bravant le désert ou la guerre pour finir au fond de la mer, dans des camps, ou des abris souterrains. Il y a aussi la possibilité d’être renvoyé dans leurs pays d’origine, par le premier vol possible, car ils ne sont pas là légalement. Je n’ai vécu qu’une infime partie de ce genre de choses et ce n’est pas une situation et un sentiment que je recommande. Je comprends maintenant la phrase du jeune gars qui travaillait à mon hôtel de Caire. Lorsque je lui ai demandé pourquoi il voulait quitter l’Egypte, il m’a répondu qu’il voulait vivre dans un endroit où il se sentirait respecté. Cette phrase est maintenant, pour moi, pleine de sens, et je pense le sentiment de beaucoup de personnes dans le monde.

See you on the rooftop !

La deuxième étape de mon voyage en terre africaine m’a fait m’arrêter à Louxor, anciennement Thebes, lorsque l’histoire habillait les bâtiments d’or. L’hôtel que j’avais réservé m’avait, dans un premier temps, laissé perplexe par son nom. Mais j’ai bien fait de ne pas suivre mon instinct, le « Bob Marley Peace Boomerang Hotel » étant un endroit génial. Pour oublier le harcèlement constant de la rue, rien de tel qu’une petite bière à la fin de la journée à faire les rencontres qu’elle ne nous offre pas. Comme je devais m’y attendre, cet endroit est un repaire de backpacker, dont les chemins se croisent le temps d’une ou deux soirées. Première observation, il y a une grande différence culturelle entre les asiatiques, qui préfèrent rester dans leurs coins profitant du wifi, et les occidentaux qui partagent plus de temps ensemble. C’est ainsi que je me suis retrouvé entre un vieil allemand égyptologue, un couple d’espagnols survoltés, un allemand blasé et un hollandais discret. Chacun racontent des anecdotes et histoires de leurs multiples voyages. J’écoute avec attention celles de David, le hollandais, arrivant d’Afrique du Sud. Et il a de bons filons, qu’il a pu me donner les jours suivants. J’apprends aussi par ce biais que mon itinéraire n’est pas très original et que de nombreuses personnes l’ont emprunté avant moi. Ce n’est pas forcément le type de rencontre auquelles je m’attendais, mais elles sont tout aussi agréables que les autres. Et tout aussi éphémères. Ces personnes ont beaucoup de choses à m’apprendre. Malgré la brièveté des rencontres, elles sont fortes et permette aussi de faire grossir mon carnet d’adresse, si mon chemin passe un jour par celui où sont basés ces électrons libres périodiques. Et qui sait? Peut-être vais-je les retrouvé durant d’autres étapes de mon périple. Je repars d’ailleurs en direction d’Assouan avec le couple d’espagnols.

Mon séjour c’est malgré tout terminé sur une très triste nouvelle. Un ami à moi, lui aussi voyageur a continué son chemin hors de notre petite terre. Un accident de scooter à Bali l’y a contraint. Je pense fort à toi Louis, on se retrouvera dans quelques années.

« Avant la révolution, on vivait comme des rois »

Avant de pouvoir aller manger avec Muhammad, il fallait bien que j’occupe ma journée. Mon attention s’est portée sur les pyramides de Gizeh. On m’avait prévenu que cette expédition serait très impressionnante mais aussi très difficile nerveusement. Je le remarque à peine sorti du taxi, lorsqu’un homme m’approche. Il me dit que je ne vais pas dans la bonne direction, contrairement à ce que m’avait indiqué le taxi. Étonné, je l’écoute. Je comprends toutefois rapidement l’arnaque lorsqu’il m’assure qu’il est interdit d’entrer sur le site si l’on n’est pas sur un chameau. Bien essayé, mais c’était un peu gros. Un autre, quelques mètres plus loin, me fait monter de force dans sa calèche alors que je suis très fortement allergique aux chevaux. A l’entrée, un petit gars me dit de ne pas écouter ces gens, mais que si je veux un chameau il me le fera à bon prix. Alors que je souhaite simplement explorer le lieu en solitaire, je me fais harceler à chaque instant. Mais non, il a fallu se battre pendant plus de trois heures. J’ai quand même trouvé un jeune guide plutôt sympa qui m’a accompagné dans le désert, car sans guide cette zone est vraiment interdite. N’ayant pas prévu assez d’argent, je ne suis entré dans aucun des monuments principaux, car le prix officiel est mirobolant. Mais lorsque j’allais m’en aller, un vieux guide m’aborde et me propose de me montrer quelques tombes annexes. Comme je n’ai pas encore eu l’occasion d’en visiter, j’accepte son offre. C’est ainsi que je découvre un petit trafic entre les gardes et les guides. Un des gardes nous ouvre ce que l’on lui demande, en échange d’un bakchich. C’est comme ça que j’ai pu aller voir des tunnels menant aux pyramides et m’asseoir dans un sarcophage de pierre, vidé par les pillards ou les scientifiques. Certains endroits étaient très impressionnants, mais complétement nus, car tous les objets et fresques retrouvés ont été envoyé au musée égyptien du Caire. Certaines pièces avaient une ambiance très spéciale, dommage que le harcèlement constant vienne plomber la magie de la découverte de ces lieux. Lorsque j’apprends au guide qu’il ne me reste que peu d’argent, il se met en tête de me trouver un taxi très bon marché pour augmenter son propre gain. Parfait, je suis gagnant, car après la bataille des chameaux, je n’aurais pas supporté une bataille de taxi. Arrivé à l’hôtel, je remarque que le soleil était plus fort que j’avais imaginé et je m’endors sans rien voir venir.

Je me réveille juste pour mon rendez-vous. Je prépare mes affaires et sur le chemin, je reprends de l’argent pour acheter un snack libérateur. Je n’avais même plus assez d’argent pour manger après les pyramides. Sur le chemin, je reprends mes esprits. J’arrive pile à l’heure et inévitablement, Muhammad me compare à une montre suisse. Il me présente alors son ami le plus proche : Taufik. Les deux forment la paire depuis plus de 25 ans. Ils ont tout fait ensemble et tout fait ici, dans le vieux Caire islamique. Muhammad me propose alors d’aller voir une représentation de danse « traditionnelle » : une troupe de Dervish Tourneurs sont en ce moment au Caire. J’ai mis traditionnel entre guillemet car c’est une danse traditionnelle Suffi, plutôt originaire de Turquie et très implantée dans les Balkans. J’accepte avec plaisir, car j’ai souvent entendu du bien de ces danseurs. Le spectacle est impressionnant, surtout un danseur qui a tourné sur lui-même pendant 30 minutes, sans une seule pause. La musique est aussi très intéressante, parfois folle et entrainantes, menée par une dizaine de tambours, parfois calme et mélancolique, avec beaucoup de place pour les flûtes et des instruments dont l’aspect et le son est très proche des bombardes bretonnes. C’est une belle découverte. Lorsque je sors, Muhammad et Taufik m’attendent avec le repas que nous allons nous partager dans un petit troquet du quartier.

Muhammad est un petit homme, avec la peau foncée mais un regard clair et pétillant. Il est de morphologie assez ronde, accentuée par ses cheveux très courts, à même le crâne. Il a aussi un petit tic, il fait souvent balancer sa tête de gauche à droite, ce qui dans sa bande de pote, lui vaut le surnom de « nuque » en arabe. Il se tient en permanence sur une barrière devant la mosquée Al-Azhar, et fume le narghilé, en attendant de potentiels clients ou des gens à aider. Taufik lui, est à l’image des multiples excès de sa jeunesse. Bien qu’un peu plus grand que son ami, son ventre le rend très imposant. Il a les yeux un peu tirés et un visage étonnement fin. Il est très jovial et sympathique. Une des premières choses qu’il me dit est qu’il connait tout le monde au Caire, ainsi que la moitié du monde. Je me sens incroyablement bien avec eux. Je peux aller partout, et lorsque les passants me voient en leur compagnie, ils leur transmettent des messages pour moi, viennent me serrer la main et à la fin de mon séjour, me reconnaissent. Tous les soirs de mon séjour, je suis allé les retrouver pour manger et passer des bons moments avec eux. Et je suis libre de poser toutes les questions qui m’intéressent. Lorsque j’évoque la révolution de 2011, leurs visages se ferment. Cet événement marque la fin de leur âge d’or. Depuis ce moment-là, les touristes sont rares, ce qui est très dur pour les gens qui en dépendent, c’est-à-dire un tiers de la population égyptienne. L’économie du pays est en crise constante depuis cela. Le coût de la vie augmente tandis que les salaires stagnent ou baissent dans certains secteurs. Le coup d’état militaire survenu après n’a pas aidé le pays à se relever, au contraire. Lorsque je leur demande quelles sont leurs affiliations politiques, Taufik me dit qu’il rêverait du retour de Moubarak. Toutefois, il ne le dit pas car il aimait particulièrement ce président, mais parce que sous son règne, l’Egypte a connu une période « d’abondance » qui lui permettait de bien vivre sans soucis. Muhammad est plus réfléchi et ne prend pas l’ancien président comme symbole de prospérité. Il me répond qu’il s’en fout, mais qu’il attend quelqu’un qui puisse remettre l’économie du pays sur de bons rails. Nous dérivons ensuite sur le sujet de la religion et de l’Etat. Il me dit aussi qu’il est favorable à une séparation entre religion et Etat. Il ne soutient pas spécialement les Frères Musulmans, sauf s’ils sont capables de faire vivre le peuple décemment. C’est un point de vue simple, mais qui se tient et qui doit être tout à fait majoritaire dans le monde. Je me rends compte aussi que les préoccupations gauche-droite et la politisation à outrance, de tout et n’importe quoi, est vraiment un problème de Suisse. Dans un pays où l’unique vote effectué est celui pour un président, et que si le résultat ne convient pas aux familles importantes, le dirigeant est changé par la force où la manipulation politique, il est impossible d’imaginer qu’un système de démocratie directe soit possible. Ainsi qu’impossible de penser voter sur des sujets, parfois de moindre importance. D’ailleurs j’ai essayé d’expliquer les bases de l’initiative populaire et du référendum à mes amis, mais j’ai vite laissé tomber. De toute manière, comment avoir foi en la politique lorsqu’on appelle son pays « royaume de la corruption », comme le fait Muhammad ?

Lorsque je demande à Muhammad pourquoi lui et beaucoup de gens au centre-ville proposent de changer de l’argent à un taux très supérieur à celui d’une banque, il rigole. Il me rétorque ensuite que la crise qui a lieu en Egypte fait chuter le cours de la livre locale, et que s’il veut économiser, il a tout intérêt à le faire avec des monnaies stables, donc étrangères. Les dollars, les euros et même les francs suisses s’arrachent ici. Les quelques euros qu’il m’a changés serviront à payer les scolarités privées de ces enfants, car l’école publique ne vaut rien selon lui. Lui et Taufik se démènent actuellement pour offrir un bel avenir à leurs enfants, et cela se ressent lorsqu’ils parlent du futur. Dans leur discours, la plupart de leur vie est derrière eux, alors que leur descendance devra composer dans un monde qui s’annonce difficile. Quand ils parlent du passé ils ont des étoiles pleins les yeux, surtout Taufik. Il parait qu’il était très facile de faire de l’argent, surtout dans les années 90, lorsqu’il a quitté l’école pour faire du business. « I made hell of money ! » me dit-il avec son faux accent américain. Si les histoires qu’il me raconte son vraies, il a dû crouler sous les dollars. Lorsque je leur demande pourquoi ils n’avaient pas épargné à ce moment-là, ils me répondent qu’une potentielle crise économique ne leur était jamais passé par la tête, mais qu’ils le regrettent beaucoup aujourd’hui.

Toutes ces histoires je les écoute chaque soir, autour de plats incroyables et plus que copieux. Nous n’avons réussi à finir ce que nous avions commandés qu’une seule fois. Et ce qu’il reste des repas sont toujours récupérés et donnés à de pauvres gens dans la rue, en accord avec un principe de l’Islam J’ai mangé avec eux du poisson frais directement achetés et préparés au marché, du poulet à la syrienne, du poulet grillé succulent (bien que sûrement transgénique) et une des grillades de bœuf les plus tendre de ma vie. Le tout toujours accompagné de salade et de plats régionaux. J’ai d’ailleurs eu un gros coup de cœur pour les asperges à la tomate et une préparation à base d’épinard. Ces soirées sont vraiment un moment de partage et d’amitié. Taufik me fait profiter de son réseau et m’emmène visiter des lieux qui me seraient restés inconnus sans lui. Il me montre le marché aux épices sous la mosquée où Muhammad m’avait emmené lors de notre rencontre. Il me fait faire le tour des tisserands, des fabricants de lampes et de boites précieuses, des joailliers et des sculpteurs d’ivoire, ébène ou corne de bovins. Je suis vraiment émerveillé de les voir à l’œuvre. Mon attention reste crochée sur les sculpteurs et lorsque je demande à mon ami d’où provient leurs matériaux, il me répond simplement « d’Afrique ». J’insiste en haussant les sourcils : « Le marché noir ? ». « Bien sûr » me répond-il sans scrupules apparentes. « Il faut bien faire du business » me dit-il ensuite. Je sais maintenant où peut se retrouver le fruit du braconnage, et à quel point certaines personnes en dépendent. L’endroit où nous allons tous les soirs boire le dernier thé, et Muhammad fumer le narghilé, est une ruine très accueillante. Son tenancier est un vieille homme nommé Ali, qui a été victime d’un AVC. Il a la moitié du visage paralysée et des problèmes à s’exprimer. Mais il a l’air de beaucoup m’aimer si bien qu’il mobilise toutes ses notions d’anglais pour tenter de discuter avec moi. C’est un brave homme, malade et âgé, qui travaille toujours pour survivre. Ses thés sont aussi bons que sucrés. Je trouve cet homme admirable, comme beaucoup de gens ici.

C’est vraiment dur de quitter ces personnes qui m’ont accueilli à bras ouverts, et qui sont devenus mes amis. Mais avant de se dire au revoir, ils m’ont appris un proverbe d’ici : « Lorsque l’on a gouté à l’eau du Nil, on est obligé de venir la boire une seconde fois ». J’avais fait très attention à ne pas boire ce qu’ils appellent l’eau du Nil, mais le dernier soir, j’ai pris la bouteille de Sprite qui était sur la table et j’ai bu une grande gorgée. Et ce n’était pas du Sprite. Je vais devoir revenir. Ils m’ont dit de prendre avec moi ma femme et mes enfants, lors de ma prochaine visite, ce que je compte bien faire, même si pour les enfants ce sera un peu tôt. Mais j’ai vraiment envie qu’Alexandra, ainsi que mes proches qui visiteront l’Egypte puisse les rencontrer. Après avoir échanger nos adresses et les dernières informations, j’ai pris la direction de l’hôtel la tête basse et les yeux mouillés, dans une rue trop agitée pour mon état d’esprit du moment. Je dois régler les derniers problèmes de mon casse-tête avec les trains égyptiens pour partir le lendemain direction le Sud, Luxor. La première étape de mon voyage en solitaire est déjà derrière moi.

(J’ai écrit ce petit texte dans le train pour Luxor. Ce train est interdit aux étrangers et j’ai passé plus de quatre heures de ma dernière journée au Caire pour trouver un billet. Impossible. Le seul train pour Luxor que je suis autorisé à prendre est le train couchette « Super Deluxe Nefertiti Express » J’ai alors décidé de prendre un des trains interdit à mes risques et périls et d’acheter mon billet à l’intérieur. Vous savez le comble de l’histoire ? Ce sont des policiers qui m’ont amené sur le quai pour être sûr que je puisse arriver à bon port. Ce pays marche sur la tête.)

 

 

 

Galerie du Liban 

Les banlieues sud de Beyrouth
Panorama de Markaba
La salle de bain de Markaba et ma première douche à fesses (entre la douche et les toilettes)
Premier soir avec la famille à Markaba
La fierté d’un grand père
Un téléphérique
Beyrouth plage
La frontière israélienne et le drapeau du Hezbollah
Saint Charbel
Les fameux canapés
Couché de soleil à Batroun
Sur la route de Jezzine
Le musée du Hezbollah à Mlita et son exposition très imagée
Panorama de Jezzine
La chute du Jezzine
Mon Beyrouth
Le dernier jour de tristesse
Voilà (enfin) la galerie du Liban ! Désolé pour ce long silence radio mais depuis Assouan les wifis se font rare. Maintenant je suis à Khartoum et la connexion capricieuse de l’hôtel va me permettre de vous partager mes derniers articles, qui promis, vont suivre prochainement !