La vallée du grand rift

Lorsqu’on descend du matatu, la nuit commence à tomber. On aperçoit rapidement un panneau indiquant : Fisherman’s Camp. On marche alors en direction du lac, en passant à côté d’un hôtel trois étoiles. Nous arrivons devant une cabane qui s’avère être la réception. Lorsque qu’on nous indique où l’on peut planter notre tente, nous découvrons comprenons que cet endroit n’a rien à voir avec un réel village de pêcheurs. C’est plutôt un camping. Malgré cela, nous ne sommes vraiment pas déçus : l’endroit est sublime. A quatre mètres de notre petit campement, nous apercevons une famille d’hippopotame broutant en silence. La lune se lève juste derrière eux. Mais pas d’inquiétudes; même si les hippopotames causent de nombreux décès chaque année en Afrique,, nous sommes protégés par une barrière électrifiée.Après ce voyage, mes amis et moi décidons de trouver un endroit où nous pourrions boire une petite « Tusker », la bière endémique kényane. On demande alors aux gardiens du camping, qui nous proposent de les suivre jusqu’au village, qui se situe à deux pas. Ils nous montrent le chemin, et le meilleur bar de la bourgade. En arrivant, nous sommes accueillis par un petit air de Bob Marley. En discutant avec les gens de la région et en fonction de leurs conseils, nous fixons alors notre programme pour ces quelques jours. Demain nous visiterons « Hell’s Gate », un des plus petits parcs du pays. L’attrait principal est qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une voiture, nous nous y rendrons à vélo ! Le jour suivant, nous décidons de nous attaquer au mont Longonot, un volcan éteint qui offre une balade réputée pour la beauté de son paysage. Lorsque nos verres sont terminés, nous rentrons au camping pour passer notre première nuit dehors, dans la fraicheur de l’altitude et entourés des bruits intriguants du lac.

Le lendemain matin, je suis réveillé par des insultes en allemand. En sortant ma tête de la tente je vois Jonas au pied d’un arbre, le regard en l’air et les bras ballants. Quelques mètres au-dessus de lui, un petit singe mange fièrement la banane qu’il vient de lui voler. A peine réveillé j’éclate de rire. Lorsque j’observe les alentours, je vois que je suis encerclé par ces petits singes malicieux qui savent que les musungus ne sont pas toujours très alertes au petit matin. Un peu plus loin, un singe très étonnant fouille une poubelle. Il mesure plus d’un mètre et son pelage est noir, sauf son dos qui est pourvu de longs poils blancs. Voilà à quoi ressemble un blaireau du Kenya. C’est donc bien entourés que nous nous préparons. En partant, nous vérifions que nos tentes sont bien fermées, car nous ne sommes pas à l’abri de ces mignons petits voleurs.

Lorsque nous enfourchons nos vélos, la pluie commence à tomber. Mais elle n’est pas assez intense pour nous arrêter. Après quelques kilomètres, nous arrivons à l’entrée du parc. Nous sommes accueillis par le gardien et une cinquantaine de singes occupés à s’épouiller en nous regardant. Les nuages commencent aussi à se dissiper. Le parc est déjà magnifique. Un mur de roche volcanique délimite la partie droite du parc, tandis que la savane s’étend en pente douce sur notre gauche. Nous avons choisi d’emprunter le « Buffalo Trail », qui fait le tour du parc jusqu’à arriver dans la gorge « d’Hell’s Gate », la porte de l’enfer. Après quelques minutes, on aperçoit les premiers animaux de la savane : un troupeau de zèbres, puis une famille de facochères (« Pumba » en swahili) et enfin, un autre troupeau d’antilopes. D’ailleurs, lors de notre première descente, un de mes amis manque de se faire renverser par un zèbre apeuré ! C’est le seul danger du parc. Il ne comporte pas de félins dangereux, ni d’éléphants, c’est pourquoi nous pouvons le visiter à vélo et même à pied. Après deux heures de montées et des mollets en surchauffe, nous arrivons au point de vue dont nous avions entendu parlé. Après une petite collation, on décide de faire la course jusqu’en bas.
Mais arrivé en bas, Luke tarde à arriver. Nous remontons donc pour le chercher, car le chemin était difficile et on commence alors à se faire un peu de soucis. Mais il nous rejoint quelques secondes plus tard en poussant son vélo, son frein avant n’ayant pas résister aux cailloux de la descente. Heureusement, il a réussi à sauter de son vélo sans égratinure. Plus de peur que de mal en somme. Nous réparons son frein et continuons calmement, la pente étant devenue douce. Un peu plus loin, le paysage qui s’offre à nous est radicalement différent de celui que nous avions tant apprécié durant la journée. En face de nous se trouvent une dizaine de stations thermiques, crachant une épaisse fumée blanche. Etonnamment, les autorités ont laissés des entreprises exploiter le sol volcanique dont l’activité est dormante sous nos pieds. 

Juste avant d’arriver au post qui marque l’entrée de la gorge, Jack plante les freins. On s’arrête vers lui, étonnés, avant de remarquer une girafe broutant la cime des arbres à quelques mètres de la route. Elle nous regarde de haut avant de reprendre son activité. Quelques minutes plus tard, on arrive à la gorge qui n’est accessible qu’à pied. Un garde nous accompagne et au moment d’entrer dans la gorge, il fait un saut monumental et nous ordonne de ne plus bouger. Quelques mètres plus loin, un cobra s’introduit exactement où nous comptions nous rendre. Magnifique mais mortel. On fait un petit détour pour prendre une autre entrée.
Si j’avais été l’explorateur britannique qui a découvert ce site, je ne l’aurais pas nommé la porte de l’enfer, mais plutôt du paradis. Même si le petit filet d’eau qui coule ici se transforme en dangereux torrent à chaque pluie, l’endroit est plus qu’accueillant. Au-dessus du petit couloir se trouve une végétation luxuriante qui filtre magnifiquement les rayons du soleil pour donner une lumière très douce. Les murs qui nous entourent sont striés de couleurs vives, car modelés par la lave, l’eau et le soufre. A plusieurs endroits, de petits filets d’eau s’échappent des murs, créant des trainées d’un vert inattendu. L’eau est très chaude, à l’image de l’endroit et de ces couleurs. La sortie de la gorge s’ouvre sur un horizon paradisiaque, dont s’échappe le chant des oiseaux.

Sur le chemin du retour, la fatigue commence à se faire sentir. Luke est à la traine et je commence à me demander si son frein défectueux n’y serait pas pour quelque chose. Après vérification il s’avère que ce frein était trop serré et qu’il était actionné en permanence. Mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises. A la sortie du parc, la chaine de ce même pauvre Luke casse. Mais on se relaye sur le vélo cassé pour avancer.Sur le chemin, on décide d’acheter deux énormes Tilapia (poissons du lac) avec l’intention de les cuire sur le feu du camping. Je m’occupe aussi du traditionnel guacamole. Un souper délicieux et bienvenue après les efforts de la journée.

Le lendemain matin, nous organisons le trajet jusqu’au volcan avec d’autres résidents de l’hôtel. Le couple qui nous accompagne habite actuellement à Londres, mais la femme est d’origine indienne et le mari irlandais. Ils ont organisé un tour du monde, prévu sur une année, avant de fonder une famille. Ils seront d’une compagnie très agréable au cours de la journée. Luke, qui a déjà souffert hier, parait démoralisé. Le cratère est à quarante-cinq minutes de marche, qui s’avèrera être plutôt éprouvante. Mais le spectacle en vaut la peine. Le panorama augmente de portée à chaque pas, et l’idée d’atteindre le point de vue est pour moi la meilleure des motivations. Avant même d’atteindre le but de notre marche, la seule arrivée sur le cratère est déjà époustouflante. Le fond de ce monstre éteint est maintenant recouvert d’une foret jeune et dense. La pente abrupte qui y mène fait plusieurs dizaines de mètres. Deux chemins nous permettent de faire le tour du cratère en approximativement trois heures de marche. Le pic (2780m) sur lequel nous arrivons est incroyable. La vue s’étend sur des dizaines de kilomètres, la vallée du Grand Rift africain parait minuscule. Au loin, on aperçoit le lac Naivasha. Les volcans qui dorment dans la vallée se confondent à la savane verdoyante et caressent les nuages de leurs cimes. Je crois que c’est un des plus beaux endroits où j’ai fait une pause déjeuner.

Le chemin du retour se fait dans le calme, malgré les nombreux touristes présents sur le site. J’arrive tout de même à m’isoler un peu, marcher à mon rythme et à celui de Paul Simon, qui me chante mon hymne « Under African Skies ». Ce moment est très agréable et me permet de faire un peu le point. Je décide alors de reprendre la route le lendemain, en direction de l’Ouganda. 

En bas, je retrouve toute la troupe, qui sirote un Coca ou une Guinness. Oui, Guinness est même un des leaders de la bière en Afrique de l’est. Elle est même produite dans la région, aussi étonnant que cela puisse paraitre. Sur le chemin du retour, je fais part de mon plan à mes amis. Jack lui semble être complétement amoureux de l’endroit et n’est pas du tout pressé par le temps. Il restera d’ailleurs ici quelques semaines. Mais Luke et Jonas sont très intéressés par ma prochaine destination : une nuit à Nakuru, puis départ pour Kisumu et les rives du lac Victoria. Ils seront de la partie. On discute alors une dernière fois tous ensemble, en sirotant une bière au coin du feu, au bord de ce petit lac qui rend l’atmosphère vraiment magique. Une seule chose nous a interrompu : la douce course et le plongeon élégant d’un hippopotame apeuré.
NB: la galerie de cet article est presque prête, elle sera surement en ligne ce soir!