N’ayez pas peur du titre, vraiment. Il peut être un peu effrayant, mais les seules grenades que j’ai vu ici sont délicieuses et poussent sur les arbres. Les seuls fragments qu’elles contiennent sont comme de petits rubis sucrés.
Je suis bien arrivé au Liban, même si je me suis un peu planté avec mon vol. En effet, je suis arrivé avec 4 heures d’avance à l’aéroport. Mais bon il vaut mieux ça que l’inverse. Rayan et son père m’ont réceptionné à mon arrivée à l’aéroport de Beyrouth. Je savais que mon premier passage à Beyrouth serait court. La famille retourne dans leur village d’origine pour se voir et passer le week-end ensemble. Un petit dèj’, une douche et c’est parti pour le Sud.
On part en voiture, Rayan au volant. Je m’attendais à un plus long voyage, mais 2h suffisent pour atteindre le village, proche des frontières israéliennes et syriennes. Sur la route, on passe un poste un peu spécial, des militaires bordent la route que nous empruntons sans que cela ne semble étrange aux occupants des voitures. J’ai appris après coup que les étrangers avaient besoin d’une autorisation spéciale pour se rendre dans cette région. Heureusement, Rayan et sa famille m’ont assuré qu’il n’y avait pas de problème pour moi et qu’avec eux, tout irait bien. Je les crois sur parole. La raison de ce checkpoint ? Il y a quelques mois, deux syriens sont allés dans cette région pour tirer une roquette sur Israël de manière à attiser les anciens troubles de la région. Donc ce ne sont que des précautions et un petit suisse en vacances dans une famille originaire de là-bas ne devrait pas poser problème.
Nous arrivons alors à Markaba, notre destination. J’avais été prévenu que l’endroit serait vétuste, et à raison. Un petit jardin, deux pièces et une salle de bain. C’est là que vivait leur grand-mère. La maison se trouve en haut d’une colline et offre une vue imprenable sur toute la région. Magnifique, on dirait le Jura, en un peu plus désertique. J’ai l’impression d’être transporté dans les images de la Bible, que j’imaginais durant mes années de catéchisme. Tout est différent ici. Je goute des figues, des citrons et des grenades, un fruit que je n’avais jamais gouté auparavant. Tout est pris à la source, à même les arbres. Là, je rencontre le reste de la famille. Une petite famille m’avait-on dit, mais pourtant, nous sommes au minimum une douzaine. Il y a les frères et soeurs de Rayan, des enfants… et certains manquent à l’appel ! Leurs prénoms sont ceux de Saints musulmans. Cette famille est chiite, très croyante et pratiquante. Ainsi, chacun prend un petit moment dans la soirée pour s’éloigner et prier. Peu de gens parle anglais, encore moins français, Rayan me prête donc sa voix pour la communication. Après le souper, un des meilleurs de ma vie, les gens me questionnent sur moi, la Suisse et l’Europe, notre vision du Liban ou les habitudes et croyances. Rayan peut m’aider car elle est venue en Suisse et à Berlin quelques temps. On me pose aussi une question sur la guerre en Suisse et ma réponse, concernant la guerre du Sonderbund, les fait pleurer de rire. Après ce qu’ils ont vécus c’est compréhensible. Les hommes fument le narghilé, on boit du thé en mangeant des petites graines salées. Toute la famille a le sourire, est unie et est très accueillante. J’ai toujours la meilleure place, le plus beau fruit, la plus belle brochette. A une certaine heure, Hussein, le beau-frère de Rayan pose son narghilé, part quelques minutes et revient avec une petite boite carrée. Je lis en français dessus : 25 Cartouches – 9 millimètres. Il entre dans une des pièces et en ressort avec deux fusils, des « baroudis » comme on dit ici. Il rigole en me voyant devenir livide et m’invite à venir chasser avec lui et son beau-frère, le lendemain matin. Ce que j’accepte un peu perplexe mais curieux. La cible, les petits oiseaux de la région. Ils en ramèneront quand même une douzaine.
Avant d’aller me coucher dans la chambre des hommes, je passe par la salle de bain et remarque, au mauvais moment, l’absence totale de papier. J’observe autour de moi et identifie un petit pommeau, situé à côté des toilettes; une « douche à fesse ». J’en avais déjà entendu parlé, mais je l’expérimente pour la première fois. C’est exotique, mais très efficace.
Le lendemain matin, départ pour la chasse. On prend la voiture, avance de quelques centaines de mètres, puis la dépose à la sortie du village et on commence à chasser. Ma cible à moi, les cactus, j’évite les cibles vivantes, par conviction et par peur de faire un faux mouvement. Et étonnement, je n’en rate aucun. Ils ont l’air de penser que je suis doué. C’est très impressionnant de se servir d’un baroudi. Le bruit, le recul de l’arme et l’impact de la balle me sont nouveaux et je dois l’avouer, peu agréable. Mais l’expérience est intéressante.
Je pars ensuite avec Rayan et Ali, son père, qui me parle de l’histoire de la région, de sa famille, de ses terres. Je goute aux fruits, à même les arbres sauvages de la vallée. Je rencontre un cousin, qui nous offre le café dans sa maison en construction. En rentrant à notre sommaire résidence, Rayan me demande de lui donner un cours de français, ce que je fais avec plaisir. Pour me remercier, elle m’apprend quelques rudiments d’arabe. J’apprends les bases, les formalités et les mots courants, mais je ne suis pas très bon. J’ai de quoi travailler maintenant. Après le repas, la famille discute dans le jardin et beaucoup de cousins éloignés viennent prendre des nouvelles. Je joue aussi avec Ali (Loulou) et Jawad (Gougou), les deux bébés de la famille. Ils ne parlent pas encore mais on se comprend. Rayan me convie à une partie de foot, et m’humilie tellement elle joue bien. Elle m’explique qu’elle a gagné le championnat de futsal avec son équipe cette année. Elle joue aussi dans l’équipe de son université et dans une des meilleures équipes féminines du Liban. Même blessée, elle me met un nombre incalculable de petits ponts. Le foot lui permet d’étudier; elle a obtenu une bourse pour jouer dans l’équipe de l’uni. Une belle opportunité pour elle. Vous ne la connaissez pas encore, mais je vais vous parler plus amplement d’elle d’ici peu.
La fin de la journée se déroule calmement. On me met juste au défi d’aller chercher des grenades dans un arbre, ce que je fais à la surprise générale. Je gagne en respect, même si j’en avait déjà trop du fait de mon origine et des choses que je symbolise. J’apprends aussi cette après-midi là que nous sommes dans un des fiefs du Hezbollah et que la famille à une grande admiration et une grande sympathie pour cette organisation. Pour eux, ils représente la libération du Liban face aux envahisseurs israéliens ou syriens et protège leur intégrité politique et religieuse. Tout le monde en parle avec un grand sourire et beaucoup d’estime. On m’explique aussi que les drapeaux qui bordent la route sont ceux de l’organisation ou de branches affiliée, que certains morceaux joués à coin dans la voiture sont produit par l’organisation. D’après eux, il n’y a aucune animosité de la part de ces adhérents, seulement une volonté de justice et de protection nationale. Ce sont ces motivations qui expliquent leur entrée dans la guerre en Syrie, conflit qui menace directement le Liban par sa proximité. De la prévention me dit-on. Je n’adhère pas à tous ce que l’on me dit, mais le garde en tête pour ensuite aller le confronter à d’autres sources. C’est très intéressant d’apprendre ce que pense des gens qui ont vécus proche de cette organisation.
Avant de rentrer à Beyrouth, on m’emmène à la frontière israélienne. Elle est gardée par une mission des nations unies, par une dizaine de gardes philipins et deux véhicules blindés. La frontière elle-même est électrifiée et mortelle me dit-on, au cas où les dizaines de caméras qui les surplombes ne suffisent pas. Cet endroit est très impressionnant à voir. Derrière une haute colline, c’est la Syrie. Beaucoup de choses se passent et se sont passées à cet endroit et les habitants se préparent aux suivantes, car l’animosité n’est surement retombée que momentanément. Mais je suis bien accompagné et j’ai la chance de le voir à un moment calme.
En rentrant à Markaba, Rayan et son père me parlent de leurs croyances, mais le trajet est court. Je vais tenter d’en apprendre plus durant mon séjour. J’ai hâte de parler d’islam, de paix et de la fin du monde, qui est très proche selon eux. En tout cas, mon arrivée au Liban commence par une vraie aventure et beaucoup de choses que je ne pensais jamais voir ni faire de ma vie.
Wallah, j’espère que ça continuera ici, à Beyrouth !
(Ecrit le lundi 3 octobre, bon anniversaire petit frère ! )
Hey! Thibaud voyageur,reporter et photographe!! C’est tellement bien de pouvoir te suivre dans ton voyage. Continue de nous régaler avec tes récits et photos.
Bonne route!
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