Mais quelle journée de dingue! Elle a pourtant mal commencé, dans le flou habituel de Beyrouth. Après un petit dej’ où j’avais l’impression d’être de trop, au milieu de toutes les femmes de la famille. J’ai ensuite commencé à m’attaquer à l’organisation de la suite de mon voyage. Ayant eu un petit problème de réservation pour mon vol, j’ai effectué, à contrecœur, la réservation de mon hôtel au Caire. J’ai trouvé un hôtel sympa, pas trop cher et bien placé, avec une chambre individuelle, pour me remettre de ce périple à Beyrouth. C’est la première fois que je pourrais dormir seul depuis 13 jours. C’est un plaisir de partager la vie de mes hôtes, mais je sens que je commence à voir besoin d’un lit ou pouvoir me poser quelques heures, seul.
Je rentre d’un week-end très intense avec Hussein, qui m’a emmener avec lui dans l’hôtel où il est employé. On est donc parti avec lui et Nasser, son cousin, direction Batroun au nord du Liban. Le frère de Rayan m’avait aussi promis que je pourrais l’accompagner dans la cuisine de l’hôtel, là où il officie. À peine arrivé, on va faire un tour vers la mer, puis direction la cuisine pour commencer le repas du lendemain. 40 personnes sont conviés au mariage qui a lieu dans cet hôtel 4 étoiles. J’acquiece à la question: sais-tu couper des patates ? 10 kilos de patates plus tard et une grosse crampe à la main, je m’attaque au pesto, puis aux raviolis fait maison. Après ça je peux enfin me reposer et le regarder diriger la dizaine d’employés de l’établissement. Il cuisine à merveille. 5 plats sont prévus: canapés, salade avec des patates froides recouvertes de saumon fumé, raviolis fait main à la sauce tomate, filets de bœuf ou saumon à la sauce champignon accompagné de purée (sa grande spécialité, réputée dans tout le Liban) et pièce montée en dessert. Après avoir terminé ce premier soir harassant, Hussein nous prépare notre propre repas, en se servant dans la cuisine. Un délice, surtout les crevettes. À 1h du matin, on va se coucher pour reprendre des forces pour le lendemain. Le matin, le chef part à son poste à huit heures trente, Nasser et moi le rejoignons, à onze heure. Il nous assure que c’est bientôt fini, mais ce n’est qu’à 16h nous servons le dernier plat. J’ai eu la responsabilité de m’occuper de certains canapés (braseola fourrée à la mangue) que je compte bien essayer de reproduire lorsque j’aurais une cuisine à disposition. Ensuite mon rôle est de couper une cinquantaine de petits légumes inconnu avant de les enduire de pesto. J’ai ensuite la chance d’endosser le rôle de goûteur, avant d’aider à préparer les assiettes. Je n’avais jamais pensé que travailler dans une cuisine pouvait être si dur, le rythme y est plus intense que ce que j’avais pensé. Lorsque tous les plats sont servis, on peut se partager les restes avec les cuisiniers et profiter du fruit de notre labeur. Ca en valait la peine ! Je n’ai même pas le temps de digérer que l’on est déjà dans la mer, chaude et calme. Après cette petite baignade, je pense enfin pouvoir me reposer, mais mes hôtes n’en ont pas décidé ainsi. On prend la voiture, direction le monastère de Saint Charbel, un haut lieu du christianisme libanais et de l’église maronite. Je visite donc ce lieu magnifique, au sommet d’une montagne, avec deux musulmans chiites, qui m’expliquent la proximité de leur religion avec le christianisme et le respect qu’ils entretiennent envers les chrétiens. Cette situation est plutôt étonnante, mais elle me réchauffe le cœur, me donne espoir en l’avenir de la région et prouve que le vivre ensemble est possible. C’est ce que je souhaite pour tous les croyants du monde et de la région. Toutefois on sent dans leur discours que la situation n’est pas pareil envers certains musulmans sunnites, les ennemis de toujours et tenus encore maintenant comme responsables de Achoura.
Lorsque nous revenons à l’hôtel, le mariage bat son plein. On y trouve des centaines d’invités endimanchés et un goût prononcé pour le kitsch. Je ne relèverai que les plus extravagantes d’entre elles: les spots visant le ciel, visibles depuis plus de 10 kilomètres, le feu d’artifice lors du passage des bagues, agrémenté par un vol de drone équipé d’une caméra pour compléter les cinq autres qui se trouvent au sol. Après ce que j’ai vu à Beyrouth, je me demande comment on peut organiser de telles cérémonies, à quelques kilomètres de scènes de pauvreté extrêmes. Mais la richesse ici, se montre. Après quelques minutes à observer ce spectacle un peu déroutant, je retrouve enfin mon lit.
Le dimanche matin je pense enfin pouvoir profiter de l’établissement, de la piscine et du wifi. Que neni, à peine debout je me retrouve dans la voiture. Au début je suis un peu déçu, mais le programme de la journée a donné raison à mes hôtes. Direction le sud du Liban, pour visiter un musée consacré au Hezbollah. Le voyage se fait au rythme de techno des années 90, de Justin Bieber et Miley Cirus entrecoupés de chansons du Hezbollah, qui a dû vendre des milliers de disques à travers le pays. Le Liban étant petit, le voyage ne dure que deux heures et même si mes oreilles saignent, cela en valait la peine. La visite du musée me permet de mieux comprendre la création et l’histoire de l’organisation et l’exposition d’arme me renseigne sur leurs moyens, très restreints au début de la résistance, surtout lorsque l’adversaire se nomme Israël. L’intelligence et la volonté ont permis de surpasser ces contraintes et de faire sortir l’envahisseur hors des frontières nationales. Ce qui est en soit véritable un exploit. Le musée est articulé autour d’armes récupérées à la fin du conflit transformées en sculptures ou simplement exposées avec quelques explications. Sayyid Hassan Nasrallah, leader actuel du Hezbollah et véritable idole des foules, à lui-même tourné la vidéo de présentation. A la fin du film, il est ovationné par les cars de chrétiens du centre du pays venus visiter cet endroit. Pour eux aussi l’organisation est synonyme de libération. À la fin de la visite, on part direction Jezzine, ou se trouve une magnifique chute d’eau, surplombée par une statue de sainte Marie. J’ai un petit pincement au cœur et une profonde pensée pour mes grands parents, qui m’ont donné une icône de cette sainte pour me protéger durant ce voyage. Ils ont choisi Marie, car les musulmans aussi la considèrent comme une sainte. L’endroit est magnifique, entouré d’une forêt de pins et de falaises monumentales. Nasser me dit qu’au printemps, on pourrait se croire au paradis, entouré d’arbres verdoyants et de fleurs colorées, au pied d’une chute de 25 mètres. Je le crois sur parole, car l’endroit se prête vraiment à l’imagination. En rentrant, nous faisons un dernier détour. Mes amis veulent me montrer un camp d’entraînement du Hezbollah, qui s’est approprié une montagne entière pour la formation de ces soldats. Le checkpoint de l’armée officielle libanaise, précédant de peu celui du Hezbollah paraît inoffensif comparé à celui que l’on aperçoit au bord de la route qui longe cette montagne. A la fin de la journée, Hussein me propose alors de retourner avec lui à Batroun, mais j’insiste pour rentrer à Beyrouth, l’endroit est beaucoup plus intéressant. Et ce choix fut judicieux, car la journée que je viens de vivre fut pleine en rebondissement !
Je reviens au problème administratif évoqué plus tôt. Lorsque j’ai réservé mon billet d’avion pour Le Caire, Rayan m’a assuré que le dernier jour d’Achoura était mardi, de manière à ce que je puisse participer à la grande marche organisée dans la capitale. Mais il d’avère qu’elle a lieu mercredi, le jour de mon vol. Après avoir écouté de bons conseils, je décide de laisser tomber ce vol et d’en prendre un autre le lendemain. Je pense pouvoir apprendre, voir et vivre des choses très spéciales ce jour là, en plus d’affirmer à la famille qui m’a accueillie mon intérêt pour le jour le plus sacré de leur religion. Une fois mon nouveau vol et ma chambre d’hôtel réservés, Rayan rentre de son stage et me propose d’aller rencontrer un cousin, ce que j’accepte avec plaisir. Après quelques minutes de marche, on arrive dans son bureau, au neuvième étage d’un bâtiment qui paraît moins délabré que ceux qui l’entourent. Je ne m’attendais tout de même pas à entrer dans le bureau d’un trader. Après les présentations usuelles, je remarque que le courant passe particulièrement bien avec ce Ali, encore un de plus. C’est le sixième Ali que je rencontre depuis mon arrivée. Entre quelques achats et ventes de barils de pétrole, on commence une conversation en allemand, ce qui est la dernière chose à laquelle je m’attendais. Il a vécu quelques temps à Hanovre et à Berlin. Il maîtrise aussi l’italien et l’anglais, ayant étudié en Italie et en Allemagne, sans jamais finir de diplôme.
Lorsqu’il éteint son ordinateur, après avoir joué avec des sommes colossales, on se lance dans une partie d’échecs, que je perd naturellement. Il joue souvent et moi presque jamais. Mais je m’en suis pas trop mal sorti. Lorsque Rayan s’en va pour la mosquée, je pars avec Ali pour l’appartement de son père, que j’ai rencontré à Markaba, peu après mon arrivée. À la télévision Saiyyd Hassan fait un discours, comme très fréquemment lors de la période d’Achoura. Ali me demande alors si j’ai envie d’aller voir l’endroit principal où est retransmis le discours, dans la plus grande mosquée de la communauté chiite de Beyrouth. J’accepte avec entrain. Deux coups de téléphone plus tard et un petit tour sur son scooter pourri, on arrive à destination et retrouve son ami. Il nous faut passer plusieurs contrôles avant d’atteindre la porte de la mosquée. Cet endroit m’aurait été complètement inaccessible sans eux. Avant d’entrer nous passons un dernier détecteur de métaux. Je peux alors pénétrer dans la mosquée, mes chaussures restent sur le côté de la salle. Plus d’un millier de personnes est rassemblé ici pour écouter leur leader, qui a manifestement un énorme talent d’orateur. Tout est rond et accueillant chez lui, mais l’esprit n’est pas quelque chose qui se voit à l’œil nu. Je ne comprend pas ce qu’il dit, mais ses gestes et ses intonations, puis ces cris me mettent sur la piste, en tout cas de l’émotion qu’il veut insuffler aux croyants et aux partisans. J’apprendrai en sortant que son discours porte sur les problèmes qu’il décèle dans la société actuelle, puis sur les croyances qu’il soutient qui débouchent sur les revendications politiques de l’organisation dont il est le chef. Il élève la voix pour parler de ce dernier thème. L’endroit gigantesque, simple mais très imposant de l’intérieur. Une grande estrade se trouve à l’avant, surplombant les centaines de personnes rassemblés ici. Le discours est en direct mais le chef est toujours caché, dans une base militaire ou un autre endroit sûr, sous haute protection de son organisation. En effet, beaucoup de personnes lui veulent du mal si bien qu’apparaitre en public est pour lui très dangereux. Les murs du bâtiment sont recouverts de toiles, sombres et rouges, ou se dessine les scènes commémorée lors de l’événement. Le guerrier Hussein est représenté à cheval ou à pied, muni d’un grand sabre et dans un décor d’orient médiéval. Le bébé et les archers sont aussi présents sur certaines toiles. La finesse et la beauté de ces toiles n’ont rien de comparable à celles dont est munie la petite mosquée de quartier ou j’ai suivi mon premier Majeless. Le public est aussi plus hétéroclites, des gens de toutes origines sont là. Des africains, des iraniens coiffés de turbans, des pakistanais et un petit suisse. Il fait plutôt tâche en plus d’être l’un des seuls qui n’est pas vêtu de noir, comme le veux la coutume. J’observe alors ce que j’ai lu, chiisme est minoritaire, mais reparti partout dans le monde musulman. À la fin de l’intervention du leader, commence mon second Majeless, très émouvant lui aussi.
À la sortie de la cérémonie, lorsque je vais chercher mes chaussures, je sens une petite tape sur mon épaule, et un monsieur, assez vieux me demande en anglais si c’est moi le « suisse ». Très étonné, Je réponds par l’affirmative. Il m’offre un sourire plein de bienveillance et de tendresse, me souhaite la bienvenue et me demande mon avis sur la cérémonie. À la fin de notre discussion, il me remercie de ma présence et me souhaite une bonne soirée, suivie d’une accolade très amicale. Je ne sais pas comment il a su que j’étais là, mais il avait l’air très reconnaissant de ma présence et de l’intérêt que je porte à leurs croyances. À voir le nombre de sourires et de petites tapes sur l’épaule que j’ai reçu à ma sortie, je crois qu’il n’était pas le seul au courant de ma présence. Mais c’est moi qui devrais les remercier de m’accueillir ainsi. J’ai été très touché par cet homme, et tout autant par ces sourires, qui succèdent aux larmes versées lors de la cérémonie.
Ma soirée c’est terminée de la meilleure des manières, quelques parties de babyfoot avec Ali et ces amis, puis une rentrée en scooter dans un Beyrouth lumineux de souvenirs et de rencontres.